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Cancer du sein: faire face à sa propre mortalité à 27 ans

Mon cancer du sein est à la fois l'expérience la plus terrifiante que j'ai jamais vécue, tout en étant la meilleure chose qu'il me soit arrivée. Pour le comprendre, voici mon histoire.
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Stéphanie Alexandra Joseph a gagné sa bataille contre la cancer du sein, non sans avoir lutté de toutes ses forces. Voici son histoire.
Courtoisie
Stéphanie Alexandra Joseph a gagné sa bataille contre la cancer du sein, non sans avoir lutté de toutes ses forces. Voici son histoire.

Mon cancer du sein est à la fois l’expérience la plus terrifiante que j’ai jamais vécue, tout en étant la meilleure chose qui me soit arrivée. Mes proches ne comprennent pas vraiment cette façon de penser. C’est le résultat de tout un cheminement. Pour le comprendre, il faut faire un bond de plus de trois ans dans mon passé.

J’avais alors 27 ans et je me sentais on top of the world! Ma carrière d’actrice démarrait enfin, j’avais atteint un poids qui me satisfaisait et, pour la première fois de ma vie, ma carte de crédit était payée au complet! Sans parler du fait que je commençais une nouvelle relation amoureuse.

Indéniablement, la vingtaine me souriait et je me sentais invincible.

Ce jour où l’inimaginable m’est arrivé

Le moment fatidique est survenu par un bel après-midi du mois de décembre. Après avoir découvert une bosse dans mon sein gauche en prenant ma douche, j’ai consulté mon médecin qui m’a fait passer une batterie de tests. Après un mois d’échographies, de mammographies et de biopsies, le diagnostic est tombé: cancer du sein, grade 2, stade 3.

«À mon âge? Sérieux? C’est possible?»

Au cours des premiers jours, les questions ont explosé dans ma tête. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour mériter ça? Est-ce que j’ai mangé un hamburger de trop? Trop de chocolat? Etc. Mais celle qui revenait avec le plus de force était: POURQUOI? Pourquoi moi? Malheureusement, il n’y a pas de réponse. Il n’y a aucune raison précise pour justifier cette malchance, cette injustice.

J’ai observé toutes sortes de réactions de la part de mon entourage face à mon diagnostic: «Le cancer du sein, c’est pas une maladie de Blanches, ça?» Je l’ai entendue souvent, celle-là! Il faut dire que les Anick Lemay, Geneviève Borne et Lulu Hughes représentent plus le type de visage généralement associé au cancer du sein, soit une Caucasienne dans la quarantaine. Pas une jeune femme noire dans sa vingtaine! Les minorités visibles au Québec ne sont pas toujours représentées dans les campagnes de sensibilisation et c’est pourquoi j’ai souvent eu droit à des propos démesurés. Il faut que ça change!

Face à la maladie, une question d’attitude

J’ai toujours cru que peu importe la situation difficile à affronter, l’important, c’est l’attitude qu’on adopte. Dans mon cas, j’ai vu deux choix: rire ou pleurer. Alors dès la tombée du diagnostic, j’ai décidé de prendre le tout avec humour, car les larmes n’auraient rien changé.

Peut-être aurais-je dû pleurer plus souvent, mais je ne voulais pas me laisser aller sur la pente du désespoir. Sûrement par peur de ne pas pouvoir remonter ensuite. J’ai utilisé l’humour pour protéger mes proches, mais surtout pour me protéger de moi-même. En «riant» de mes traitements et de mes symptômes, j’ai créé une bulle protectrice autour de moi qui avait l’avantage de dissimuler les fois où je tombais en morceaux, en secret.

Oui, en secret, car je refusais que mes proches me voient aussi faible. J’ai toujours été Steph la forte, la femme solide et mature qui prenait soin des autres. Jamais je n’ai eu à dépendre de quelqu’un et je refusais de commencer à cause du cancer. Certains voyaient cela comme de l’obstination. D’autres, comme de la force morale. À mon avis, c’était simplement ma façon de gérer. Ma façon de faire face à la maladie en gardant la tête haute.

Stéphanie Alexandra Joseph, pétillante de santé car elle est aujourd'hui guérie!
Courtoisie
Stéphanie Alexandra Joseph, pétillante de santé car elle est aujourd'hui guérie!

Le plus difficile n’est pas le diagnostic

Le plus difficile n’est pas d’être brave en recevant un diagnostic de cancer, mais bien de rester brave et optimiste pendant la durée des traitements. Mon équipe médicale et moi avions un plan de match vers ma rémission qui, initialement, devait s’étaler sur neuf mois.

Au départ, je tenais bon en me disant qu’il ne restait plus que cette étape-ci à franchir ou X nombres de semaines à «survivre» aux traitements. Mais non, mes espoirs ont été brisés. Les traitements n’ont pas fonctionné comme prévu, je suis obligée de tout recommencer, deux cycles de chimio ont été rajoutés, etc. Chaque fois, je recevais une gifle: la ligne d’arrivée s’éloignait de plus en plus. Ce qui ne devait prendre que quelques mois au départ se sera finalement étalé sur près de trois ans...

Moi qui m’étais préparée à faire un sprint jusqu’à la santé, mon parcours du combattant ressemblait désormais à une course à obstacles... vers un futur incertain. Mon moral en a pris un sérieux coup. Il me fallait faire face à la possibilité que tout cela ne finisse peut-être... jamais. C’est facile de s’informer sur la procédure médicale à suivre (les traitements de fertilité préchimio, les types de chimiothérapie, les options de chirurgie), mais personne ne parle de ce qui nous affecte le plus: l’épuisement mental.

Le cancer, un véritable marathon mental!

Garder le moral, coup après coup, pour ne pas abandonner tient parfois du miracle. Après plus d’un an de chimio, juste après ma première chirurgie, je me souviens clairement avoir confié à mon copain de l’époque: «Je ne me souviens plus de ce que c’est que de ne pas avoir mal. De se lever le matin et se sentir normale. Sans aucun effet secondaire. Je suis tannée d’être moi».

J’avais lutté si longtemps pour rester Steph que, sans m’en rendre compte, j’étais devenue ma maladie peu à peu. Mon apparence, mon invalidité, mon impuissance, absolument tout dans ma vie criait «CANCER!» et j’en avais marre. Je ne me souvenais plus comment c’était, d’être assise et de manger un simple repas sans nausée, sans coups de chaleur, sans douleur, sans neuropathie. Bref, être humaine, être normale. J’étais vidée. À cette époque, j’aurais tout donné sans hésiter pour passer une journée dans la peau de quelqu’un d’autre.

Par esprit de rébellion (et aussi pour mon moral), j’ai choisi de vivre dans le déni et de m’investir dans tout et n’importe quoi. Je refusais de parler de mes traitements et de mes symptômes. À chaque brunch entre amis ou coup de téléphone de la famille, je leur demandais de me raconter leurs problèmes personnels et je me faisais un devoir de les régler. Cette distraction me faisait du bien. Avec le recul, je réalise que j’avais surtout besoin d’avoir le contrôle. Mon corps m’avait trahi, ma vie foutait le camp et je ne voyais aucun futur se dresser devant moi. J’avais besoin d’avoir le pouvoir de changer quelque chose, aussi petite et futile cette chose soit-elle.

Toucher le fond et y voir sa propre mortalité

Le jour où tout était censé prendre fin, après tous les traitements de chimio et la chirurgie, je me suis rendue à l’hôpital le sourire aux lèvres et le cœur léger. C’était terminé. Ma vie allait reprendre son cours!

Enfin, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que mon médecin m’annonce calmement: «Madame Joseph, après analyses, nous avons découvert que des cellules cancéreuses ont résisté. Nous avons épuisé tous les traitements dans la liste pour votre type de cancer. Celui-ci est le dernier. S’il ne fonctionne pas...».

Silence. Il n’a pas terminé sa phrase et ça, ça m’a tuée.

Pendant le moment lourd de sens qui a suivi, j’ai littéralement senti une partie de moi mourir. L’innocence teintée d’optimisme que j’avais entretenue m’avait quittée. Cette journée restera gravée dans ma mémoire jusqu’à ma mort. Ç’a été LE moment où j’ai vraiment compris que j’avais une maladie mortelle et que je pouvais y rester.

C’est à l’aube de la trentaine que j’ai été confrontée à ma propre mortalité.

Je refusais d’abandonner. Un énième plan de match a donc été établi avec mes médecins: j’allais devoir endurer sept autres mois de chimiothérapie et subir une double mastectomie. J’allais me faire enlever les deux seins!

C’est la dernière année de combat qui a été particulièrement lourde en pertes. J’ai eu énormément de deuils à faire: ma relation amoureuse se terminait, une tante est décédée, mon grand-père était en phase terminale et je devais accepter que je n’allaiterai jamais les enfants que je désirais avoir. C’était trop. Là, j’ai eu du mal à gérer.

Ce qui a fait la différence, c’était de pouvoir me fier au support moral de mon équipe médicale, de ma famille et de mes amis. Ils ont été incroyables et je ne trouverai jamais les mots pour décrire à quel point leur implication m’a touchée. Ils m’ont tous sauvé la vie, chacun à leur manière.

Donner du sens à l’expérience

Aujourd’hui, je constate qu’avoir eu un cancer du sein si jeune m’a permis de me redéfinir en tant que personne et surtout en tant que femme noire et future mère. Tous les aspects de ma vie ont été touchés par cette maladie et ma vie d’adulte est modelée par cette expérience.

Qui suis-je maintenant? Quel est le but de ma vie? Ça rimait à quoi, tout ce cirque? Que vais-je faire du temps qu’il me reste? Déjà que trouver sa voie n’est pas chose facile, après un cancer, c’est l’enfer. Mais en plus de la force que cette épreuve m’a donnée, je réalise que le fait d’avoir côtoyé la mort pendant plus de deux ans m’a enlevé ce filtre que nous avons tous appris à intégrer dans notre personnalité depuis l’enfance. Vous savez, ce filtre qui nous apprend à être politically correct et à faire attention à ce que l’on dit pour être socialement accepté?

Vers la fin de mon aventure cancer, épuisée, j’en étais rendue à un point où, pour la première fois de ma vie, le regard des autres n’avait aucune importance à mes yeux. Je me moquais totalement des conventions sociales, des règles non écrites et des questions superficielles. J’étais libre!

Je ne portais pas de perruque pour couvrir ma perte de cheveux, je ne me maquillais plus et j’allais faire mon épicerie en pyjama. Je me foutais de ne pas entrer dans les standards de beauté, car l’enjeu ici était énorme: je me battais pour ma vie. Mon teint verdâtre, mes ongles qui tombaient et mon visage sans sourcils étaient devenus mes médailles de guerre. Je les arborais avec fierté, sachant que je menais un combat ultime que peu d’élu(e)s pouvaient comprendre. Après avoir vécu pareille épreuve, on se rend vite compte que tout devient quantifiable. Est-ce que j’ai du temps et de l’énergie à perdre pour argumenter sur tel sujet? Cela va-t-il changer quelque chose de concret dans ma vie? Non, alors au suivant!

Cette nouvelle façon de me concentrer sur l’essentiel m’a rendue plus relaxe, plus détachée et moins susceptible. Les petits pépins de la vie ne m’embêtent plus. Après tout, je suis en santé et c’est tout ce qui compte! Je n’ai juste plus de temps à perdre avec pareilles futilités. Je suis reconnaissante au cancer de m’avoir apporté ça.

Stéphanie (à droite) aux côtés des deux porte-paroles de la campagne, Mélanie Maynard et sa fille Rosalie Bonenfant.
Courtoisie
Stéphanie (à droite) aux côtés des deux porte-paroles de la campagne, Mélanie Maynard et sa fille Rosalie Bonenfant.

Aujourd’hui, guérie, j’ai décidé de donner un sens à cette expérience, pour qu’elle ne me soit pas arrivée pour rien. Je continue de me redéfinir, mais à travers tout ça, je veux partager mon savoir et mon vécu le plus possible. En devenant ambassadrice pour la Fondation cancer du sein du Québec, j’aide à sensibiliser les jeunes femmes à ce fléau qu’est le cancer du sein. De cette manière j’ai l’impression de redonner un peu à mon tour.

La 12e édition de la campagne Osez le donner est en cours, jusqu’au 5 juin prochain. Donnez vos soutiens-gorge usagés dans les boutiques La Vie en rose partout au Québec. Pour chaque soutien-gorge, 1$ est remis à la Fondation cancer du sein du Québec!

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