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Le cancer du sein masculin est encore tabou, voici pourquoi j'ai choisi d'exposer le mien

Huit ans après ma première opération, j’ai décidé de vivre avec mes cicatrices et d’en parler.
Mikel Séblin
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Mikel Séblin

Je souhaite aborder le thème du cancer du sein masculin afin d’informer tout homme de son existence. Le but n’étant pas de dramatiser ou de choquer, mais d’informer.

J’ai choisi de communiquer principalement par le biais d’une belle photo artistique réalisée par les soins de Madame Agathe Catel, qui s’est investie à mes côtés pour mettre l’esthétique en évidence sans filtre et sans tabou. Le but étant de ne rien cacher, d’informer.

Depuis mon adolescence j’ai toujours été gêné par mes seins que je trouvais gros. Pour moi, seules les femmes avaient des seins, j’avais peur du regard des autres, des moqueries. Il était très compliqué de vivre avec ce «handicap». J’évitais de me mettre torse nu et je dissimulais ces glandes mammaires développées de manière excessive sous des chemises et t-shirts amples. J’ignorais totalement qu’il pouvait y avoir des conséquences plus graves!

À l’âge de 34 ans environ, j’ai décidé d’effectuer des recherches sur internet et j’ai constaté que je n’étais pas le seul homme à avoir des seins. La lecture des avis sur internet m’amène à prendre rendez-vous chez le médecin.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Dénoncer une situation? Vous pouvez envoyer votre témoignage à propositions@huffpost.com et consulter tous nos témoignages.

Son diagnostic fut rapide, j’avais une gynécomastie, mot bizarre, que j’entendais pour la première fois. Il m’explique qu’il s’agit d’une pathologie fréquente, mais difficilement assumée par les hommes. Je n’étais donc pas seul à ne pas assumer!

Les «seins», «gynéco», «mastie», avec un vocabulaire pareil, je reste dans l’univers féminin. La gynécomastie c’est quoi? C’est un développement excessif des glandes mammaires chez l’homme. Elle peut toucher un sein (gynécomastie unilatérale) ou les deux (gynécomastie bilatérale). Dans mon cas, c’était bilatéral!

Le fait de mettre un nom sur cette maladie m’a rassuré d’un point de vue social, je me suis senti soutenu. Le médecin généraliste me recommande un spécialiste à l’Institut du Cancer de Montpellier pour prendre rendez-vous.

Une gynécomastie peut donc être cancéreuse?

Je ne l’imaginais pas.

Le jour de mon rendez-vous, on m’appelle en disant «c’est au tour de Madame Séblin». La secrétaire s’en excusera par la suite en voyant que j’étais un homme.

L’étape de la première opération de la chirurgie de la gynécomastie arrive. Elle consiste à procéder à l’exérèse (ablation bilatérale dans mon cas) de la glande mammaire, associée au retrait des masses graisseuses pour que la poitrine épouse de manière harmonieuse les muscles pectoraux. Enfin, j’allais devenir un homme en quelques sortes!

Un mois après l’opération, on effectue la correction de l’hypertrophie. Il en résulte une cicatrice cachée dans l’aréole. J’étais tout beau, mais ma joie sera de courte durée, car le chirurgien m’explique que toute la graisse qui a été enlevée avait été analysée. C’est à ce moment-là qu’il évoque le cancer, plus précisément le pré cancer. Il m’explique que mes glandes mammaires pourraient développer un cancer et qu’il va devoir m’opérer à nouveau, enlever les deux tétons tout en ratissant un peu plus large afin d’empêcher le développement d’un cancer.

Une deuxième opération

C’est pour cette raison qu’il avait utilisé le mot «pré cancer» que je continue à utiliser: pour moi, cela signifie que je n’ai pas eu de cancer. Aussi, par respect peut-être pour les personnes qui ont eu recours à ce traitement lourd qu’est la chimiothérapie, contrairement à moi.

Cette deuxième opération se révéla beaucoup plus difficile que la première. Très douloureuse, je suis rentré chez moi avec des drains. Ils étaient entrés à vifs dans ma chair avec de petits tuyaux fins reliés à deux petites bouteilles sous vide. Les drains permettent d’éliminer les sérosités de la zone opératoire.

Je n’avais pas le droit de conduire, mais la douleur était telle que j’ai pris ma voiture pour me rendre à la clinique la plus proche en hurlant. J’ai demandé aux infirmiers de trouver une solution pour me soulager rapidement.

J’ai ensuite enchaîné avec des séances de pansements à domicile, avec une infirmière fort heureusement bienveillante qui s’était occupée de moi lors de ma première opération. Rien que le fait d’évoquer cet épisode, j’ai l’impression que ces douleurs se réveillent… c’étaient des moments très difficiles.

Une troisième opération

Six mois plus tard, une troisième opération a été programmée.

Je rentre désormais dans la phase dite de «reconstruction» ou «chirurgie réparatrice», en aucun cas d’une «chirurgie esthétique»! Les mots ont leur importance, on va tenter de réparer, et non de rendre plus beau ! Il faut dire que toutes mes opérations se sont étalées sur plusieurs années et quand vous travaillez dans la restauration, en tant que manager, vous ne pouvez pas vous permettre de vous absenter. J’ai travaillé très souvent avec des douleurs atroces et des pansements qui parfois saignaient, je n’avais pas d’autres choix! Mes enfants étaient âgés de 3 et 8 ans, je ne leur avais pas dit ce que j’avais, par crainte de les effrayer, mais ils avaient fini par comprendre.

Une fois la reconstruction terminée, on m’envoie chez un médecin tatoueur, afin de redessiner mes mamelons. J’étais heureux et me disais que j’allais enfin pouvoir profiter des beaux jours en me mettant torse nu. Sauf que j’ai dû attendre la cicatrisation pour pouvoir tatouer; mes cicatrices n’étaient pas prêtes.

“Je ne suis pas prêt à assumer le regard des autres sur moi.”

Le médecin m’a proposé des séances de piqûres et de laser pour pouvoir les blanchir. Elle m’expliqua que j’avais des cicatrices chéloïdes. Des boursouflures fibreuses surviennent, créant sur la cicatrice, un volume important, une excroissance de peau de couleur rouge ou brun foncé selon la carnation du patient. Les carnations des personnes asiatiques, métissées et noires sont davantage sujettes à cette anomalie de la peau. Originaire de l’île Maurice, j’étais donc concerné. Cette surcicatrisation est moins fréquente chez les personnes de type caucasien.

Les chéloïdes ne s’estompent pas, je consulte plusieurs chirurgiens afin de reprendre mes cicatrices. Durant des mois, piqûres de Kenacort, laser, etc., mais rien n’y fait.

Briser le tabou du cancer du sein masculin

En 2019, huit ans après ma première opération, j’ai décidé de vivre avec mes cicatrices et d’en parler. Je ne trouvais pas assez d’informations sur les hommes ayant eu un cancer ou un pré cancer du sein.

J’ai compris que c’était un sujet tabou.

À la plage, je ne me mets pas torse nu. Je ne suis pas prêt à assumer le regard des autres sur moi. Mes enfants me demandent souvent de rentrer dans l’eau avec eux mais je refuse toujours, sauf si la plage se vide.

Au fil du temps, j’ai pris sur moi et j’ai décidé de publier une photo de moi, torse nu sur les réseaux sociaux afin de sensibiliser sur le cancer du sein masculin et la gynécomastie. Je n’ai pas vu le regard des autres mais leurs mots ont été chaleureux et très encourageants.

Ma démarche fonctionne, l’information circule, on en parle, et je suis le plus heureux des hommes!

Ce texte a initialement été publié sur le HuffPost France.

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