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Budget 2019: le personnel soignant a-t-il gagné à la loterie?

Nous pensons que cette mesure est suffisante pour que le gouvernement paraisse bien, en sachant très bien que cela ne change rien.
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La somme n’interdit pas le recours au temps supplémentaire obligatoire devenu un mode de gestion.
sturti via Getty Images
La somme n’interdit pas le recours au temps supplémentaire obligatoire devenu un mode de gestion.

Le 21 mars dernier, le gouvernement caquiste a déposé son premier budget comportant des réinvestissements dans les services publics de santé. Parmi les réinvestissements, celui tant attendu concerne l'embauche de main-d'œuvre additionnelle dans le réseau public.

À cet effet, ce sont 200 millions de dollars qui serviront à embaucher «davantage d'infirmier(e)s, d'infirmier(e)s auxiliaires, de préposé(e)s aux bénéficiaires et d'autres professionnels du domaine de la santé et des services sociaux», peut-on lire dans le budget. Le gouvernement souhaite mettre l'accent sur l'embauche de personnel infirmier. C'est pourquoi notre analyse gravite autour de ces trois titres d'emploi.

Est-ce que la somme proposée est suffisante pour répondre aux besoins criants dont nos membres nous font part? Ce texte présente le meilleur scénario possible pour le réseau de la santé et les implications dans la pratique. Avons-nous gagné à la loterie?

Meilleur scénario possible

Le réseau de la santé et des services sociaux compte 1750 points de services sur le territoire du Québec. Un point de service est décrit comme un endroit physique où il est possible de recevoir des services de santé. Cela comprend, entre autres, les hôpitaux, les CLSC, les centres de réadaptation et les CHSLD.

En supposant que les besoins sont uniformes, bien que ce ne soit pas le cas, on obtient le montant disponible pour l'embauche de personnel pour chaque point de service. Ce simple calcul nous permet d'arriver à 114 285$.

En sachant le salaire annuel brut de chaque type d'emploi (voir le prochain tableau), il est possible de déterminer des «possibilités d'ajout de personnel» avec une masse salariale additionnelle de 114 285$.

⊕Notez bien que le salaire annuel ne comprend pas les avantages sociaux, ni les différentes primes applicable (soir, nuit, fin de semaine ou soins critiques). Cette omission se veut volontaire afin de conserver un niveau de simplicité pour le lecteur et d'établir le meilleur scénario possible.
Courtoisie
⊕Notez bien que le salaire annuel ne comprend pas les avantages sociaux, ni les différentes primes applicable (soir, nuit, fin de semaine ou soins critiques). Cette omission se veut volontaire afin de conserver un niveau de simplicité pour le lecteur et d'établir le meilleur scénario possible.

Les possibilités restent limitées malgré tout. Le deuxième tableau résume les combinaisons possibles d'ajout de personnel pour chacun des points de services au Québec. Trois options sont donc possibles afin de se rapprocher le plus possible de la limite, dans le cadre de cette analyse, fixée à 114 285$.

Courtoisie

Implications dans la pratique

En avançant l'hypothèse que les besoins sont uniformes à l'échelle de la province, chaque point de service choisirait la combinaison qui correspond le plus à ses besoins. Deux questions fondamentales se posent.

La première s'articule autour du quart de travail. Un soignant travaille habituellement sur un même quart de travail: de jour, de soir ou de nuit. L'ajout de personnel implique que ce soit fait que pour un quart de travail seulement alors que les services sont rendus majoritairement 24 heures par jour.

La seconde question s'oriente autour du service dans lequel le soignant est ajouté. Cela devient complexe particulièrement pour les grands hôpitaux divisés en différents services. Qui gagnera la loterie: l'Urgence, la pédiatrie, la gériatrie, la médecine interne, les cliniques externes, le bloc opératoire, la salle d'accouchement ou les soins intensifs?

Si le gouvernement croit régler les problèmes avec de l'argent, il rêve en couleur: c'est de la pensée magique.

En pratique, l'ajout de personnel soignant est apprécié, mais elle demeure nettement insuffisante pour répondre aux besoins. Par exemple, l'Urgence pourrait avoir une infirmière additionnelle pour le quart de nuit et la gériatrie pourrait compter sur un préposé aux bénéficiaires sur le quart de soir. Pour le reste des unités de soins et des quarts de travail: meilleure chance la prochaine fois.

Aucun changement possible

Les derniers paragraphes représentent le meilleur scénario possible en tenant compte hypothétiquement que les besoins sont uniformes à l'échelle de la province alors que ce n'est pas le cas. Les besoins sont clairement plus criants dans certains secteurs, par exemple, les soins aux personnes âgées en CHSLD. Ce faisant, les ressources financières devraient probablement être distribuées de manière non-uniforme.

Cela implique qu'un point de service pourrait bénéficier de plus que 114 285$ pour répondre à ses besoins en personnel soignant. Cela impliquerait que d'autres points de services reçoivent moins d'argent. Selon cette logique, ce serait également possible qu'un point de service ne reçoive que très peu d'argent, voire aucun, puisque les besoins sont plus importants ailleurs.

Nous croyons que le financement du personnel soignant devrait être revu à la hausse de manière plus importante pour assurer la qualité des services de santé publics. Si la santé est un droit constitutionnel au Canada, il est essentiel que nos décideurs nous donnent les moyens comme professionnels de soigner adéquatement dans des conditions saines.

L'argent ne règle pas tout

L'ajout de 200 millions de dollars ne règle pas les problèmes plus profonds du réseau. Cela ne garantit pas que les conditions dans lesquelles les soignants prodiguent des soins s'améliorent. Cela ne donne pas le droit aux travailleurs de dénoncer publiquement les lacunes du système qui nous empêchent de rendre l'ensemble des soins requis de manière sécuritaire.

La somme n'interdit pas le recours au temps supplémentaire obligatoire devenu un mode de gestion. Nous pensons que cette mesure est suffisante pour que le gouvernement paraisse bien, en sachant très bien que cela ne change rien.

Finalement, l'enveloppe additionnelle de 200 millions de dollars peut sembler énorme. Toutefois, cette mesure ne permet pas à elle seule de promettre une prestation de soins de qualité et sécuritaire pour toute la population du Québec. Si le gouvernement croit régler les problèmes avec de l'argent, il rêve en couleur: c'est de la pensée magique.

Essentiellement, la gestion devrait être imputable de la mauvaise planification de la main-d'oeuvre qui déteint sur la qualité des soins offerts à la population tout en bénéficiant d'un plus grand pouvoir d'exécution.

L'espoir de voir les choses s'améliorer ne réside pas seulement dans l'argent, mais plutôt dans une approche où les soignants et les patients partagent le réel pouvoir décisionnel sur les soins et leur organisation avec la sphère politique.

Les signataires:

Yan Giroux, infirmier clinicien

Phénix Beaudoin Cloutier, infirmière clinicienne

Marie-Pier Bertrand, infirmière clinicienne

Cedric Lalonde, pharmacien

Anna-Karina Prieur, infirmière clinicienne

Étienne Talbot, infirmier clinicien

Nathalie Bourque, auxiliaire en santé et services sociaux

*Les auteurs sont membres du conseil d'administration de l'Association interprofessionnelle et interdisciplinaire en santé du Québec

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