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La fois où j’ai donné naissance pendant que mon grand-père mourait

Je n’aurai jamais pu lui dire «bye». Parce que j’étais trop occupée à devenir une maman.
Thanasis Zovoilis via Getty Images

«Il était une fois une mère correcte» est une chronique qui témoigne des hauts et des bas de la vie de parent. Parce qu’avoir des enfants, ça veut dire raconter des histoires avant l’heure du dodo, mais ça nous place aussi dans des situations inconnues, absurdes ou de vulnérabilité... qui font de très bonnes histoires à raconter!

Ma première fille est née le 21 mars, le premier jour du printemps. Avouez que c’est une belle date de fête. Et en plus, elle a un prénom de fleur (je vous promets que je n’y avais pas pensé lorsque nous avons choisi son nom, bien avant mon accouchement). Toute sa vie, son anniversaire sera synonyme du printemps, du renouveau, des bourgeons qui poussent et de plein d’autres affaires cutes – bon, ok, sauf les années où l’équinoxe est le 20. Mais pour moi, son anniversaire sera aussi toujours un rappel de la mort de mon grand-papa. Parce que, voyez-vous, pendant que j’étais en train d’accoucher, il y a un peu plus de trois ans, mon grand-père vivait ses dernières heures, dans le même hôpital. Et je n’aurai jamais pu lui dire «bye». Parce que j’étais trop occupée à devenir une maman.

C’est comme l’analogie parfaite de ce que c’est, devenir parent. Avant de vivre ce grand chambardement, on nous répète sans cesse que devenir parent, ça veut dire que dans tout ce qu’on fera, on ne passera plus jamais en premier. Le sommeil, les activités, le travail… Tout sera relégué au second plan.

Même quelques mois plus tard, quand on va avoir VRAIMENT envie d’arrêter dans un service à l’auto pour aller se chercher un café, parce qu’on aura passé une nuit assez moyenne, mais qu’on va se demander si ça ne va pas réveiller la p’tite, qui dort sur le siège arrière de la voiture... – ok, non, ça, c’est pas tant faire passer le bébé en premier, c’est égoïste, on veut juste qu’elle dorme et qu’elle ne se tape pas une crise sur le chemin du retour.

***

Mon grand-père a reçu un diagnostic d’Alzheimer et de Parkinson plusieurs années avant que je devienne maman. Nous l’avons vu décliner tranquillement. Il a dû quitter la résidence où il habitait, puisqu’il n’était plus assez autonome, pour aller en CHSLD. Il avait des bons et des moins bons jours, mais il ne s’est jamais rendu au point où il ne nous reconnaissait plus, heureusement (en fait, on a appris plus tard qu’il n’avait pas officiellement l’Alzheimer, même s’il avait eu des symptômes de démence qui y sont associés).

Dans les dernières semaines de ma grossesse, il s’est beaucoup affaibli. Il a attrapé une pneumonie qui l’a envoyé à l’hôpital. Et comme j’étais pas mal sur le point de popper, je n’ai pas pris la chance de me rendre sur cet étage et de peut-être chopper un virus. J’étais déchirée, mais ma famille m’a convaincue de ne pas y aller.

À deux étages l’un de l’autre

Le 20 mars, je me suis rendue à ce même hôpital parce que j’avais crevé mes eaux. C’est aussi à ce moment que le personnel médical qui suivait mon grand-père a signifié à ma famille qu’il vivait probablement ses derniers jours.

Le 21 mars au matin, j’accouchais (après une loooooongue nuit) de ma petite merveille. Ma famille accourait voir mon grand-père, au quatrième étage, pour lui faire ses adieux. Et descendait ensuite au deuxième nous voir, pour venir constater que malgré tout, la vie continuait.

«C’est vraiment dans cet ordre-là qu’il faut le faire», ai-je entendu mon père – revenu en catastrophe de la France – dire à ma tante, qui avait les yeux plein d’eau mais le sourire béat aux lèvres, pendant qu’elle observait ma petite fleur qui s’éveillait.

Le matin du 22 mars, alors que j’étais toujours à l’hôpital, je me souviens avoir dit à mon père que je voulais qu’il m’emmène voir mon grand-papa. Il était hésitant. Je me remettais d’une césarienne, j’avais besoin de repos et de profiter de ces premiers instants avec ma fille. J’ai insisté. On a convenu qu’il repasserait me chercher avec une chaise roulante sur l’heure du lunch.

Mais quand mon père est revenu, la conseillère en allaitement venait juste d’arriver dans ma chambre. Parce que, voyez-vous, on vous apprend dans les cours prénataux qu’une fois votre bébé sorti: hop, vous n’avez qu’à le prendre de cette manière très facile et à le placer en madone inversée (pour vrai, j’ai jamais maîtrisé cette position d’allaitement) pour qu’il se mette à téter votre lait, pour que se crée ensuite une relation de symbiose entre cet enfant parfait et vous; le tout, le sourire aux lèvres, avec en arrière-plan des arcs-en-ciel, des licornes et la musique de Tricot Machine.

Mais... comment je vous dirais ben ça? C’est comme pas mal plus compliqué que ça, l’allaitement, dans les faits. Et ma belle fleur, elle ne voulait pas téter. J’en étais rendue à me scraper les seins à la cuillère. Donc, la conseillère en allaitement venait juste d’arriver dans ma chambre pour observer la prise du sein (c’est fou, toutes ces expressions qui sont rendues normales, quand on devient parent, hein?). J’ai donc dû dire à mon père que je ne pouvais pas y aller. J’avais le coeur gros, mais j’étais aussi très angoissée par le fait de ne pas pouvoir allaiter, et je sentais que si je n’y arrivais pas, je serais une mauvaise personne, une mauvaise mère et un peu la cause de tous les maux sur Terre (on y reviendra dans un prochain billet, si vous voulez bien).

Et est arrivé ce qui devait arriver: mon grand-papa est mort moins d’une heure plus tard. Pendant que, deux étages plus bas, son arrière-petite-fille vivait ses premières heures.

«On a eu le temps de lui dire»

Un peu plus tard, ce jour-là, ma grand-mère est descendue me voir et rencontrer ma fille. Pour elle, ce bébé était comme la preuve que la vie continuait.

«On a eu le temps de lui dire qu’il était devenu arrière-grand-père encore une fois avant qu’il parte», m’a dit ma famille, comme pour m’apaiser.

Encore aujourd’hui, je m’en veux. Pourtant, je sais bien que je n’aurais pas pu faire les choses autrement. J’étais occupée à donner la vie. Puis le sein. Mais il reste que je n’ai pas pu dire au revoir à mon petit grand-papa adoré, celui qui venait chez mes parents comme si c’était sa deuxième maison, celui que j’ai tant vu passer la tondeuse, donner un coup de pinceau, celui qui allait me reconduire à mes cours de chant, qui m’appelait «ma p’tite sacripante» avec son sourire espiègle.

La petite bette à gauche, c'est moi, avec mon grand-papa Yvon et mon frère Maxime, il y a (à peine) quelques années
Courtoisie
La petite bette à gauche, c'est moi, avec mon grand-papa Yvon et mon frère Maxime, il y a (à peine) quelques années

«Je pense que c’est mieux que tu l’aies pas vu dans cet état-là», a tenté de me rassurer mon père.

Sur le coup, j’ai eu de la peine. Mais ça me semblait irréel, en même temps. Je me souviens de ce cocktail d’émotions assez particulier. De ce vide laissé par la mort, et de cette joie, de cette pâmoison créées par la naissance. D’ailleurs, toute ma famille qui venait me visiter à l’hôpital me le disait. Je ne sais plus si c’était le manque de sommeil ou l’émotion, mais je n’arrivais pas à dire grand-chose. Juste à fixer ma chambre beige, bouche-bée.

Le ressac

C’est surtout quelques jours plus tard, pendant les funérailles, que ça m’a frappée.

Je n’ai pas pu lui dire au revoir. Et là, pendant que ma fille âgée de quelques jours vivait sa première sortie – dans un salon funéraire, très glamour – et roupillait dans les bras de mon chum, sur le petit banc, pendant la cérémonie, c’est là que les larmes se sont mises à ruisseler. Que j’ai réalisé que je ne le reverrais plus jamais.

J’entendais les hommages prononcés par mon père, par mon frère, par ma tante, eux qui avaient veillé mon grand-père dans les derniers moments de sa vie. Des mots tellement touchants. Et moi, qui n’avais pas eu la force de composer quelque chose et qui avais encore moins le courage de m’avancer pour parler devant tout le monde, la batterie à terre, dans une tenue post grossesse vaguement acceptable. Moi, j’écoutais, et je braillais. Je sentais encore une fois que j’étais spectatrice de cette étape de ma vie pourtant très importante – le premier de mes quatre grands-parents qui me quittait. Et en même temps, je me tournais vers ma fille, qui dormait paisiblement, et mon coeur débordait d’amour.

Et c’est aujourd’hui que je réalise que ce moment-là, celui-là même où je suis devenue mère, était le plus… – comment dire? – parental de toute ma vie.

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