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À 38 ans et avec ma bipolarité, est-ce que je dois faire le deuil de la maternité?

Pendant que mes amies découvraient la maternité, j’étais propulsée bien malgré moi dans l’univers de la maladie mentale. Le 19 novembre 2011, ma vie a basculé du tout au tout et je n’ai jamais pu aller au bout de ce désir.
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Trente ans. L’âge de tous les possibles. Projets de carrière, maison, voyage, bébé. Rien ne nous arrête; la vie va à la vitesse grand V et on prend de l’expansion tout naturellement. On pense que rien ne peut nous atteindre; que les histoires tragiques, c’est pour les autres.

C’était mon cas. J’avais bâti une solide carrière d’ergothérapeute en santé mentale et je réalisais une maîtrise en réadaptation. J’étais depuis dix ans dans une relation de couple qui me comblait. Mes amies commençaient à avoir des enfants et je voulais moi aussi vivre cette expérience.

Or, le 19 novembre 2011, ma vie a basculé du tout au tout et je n’ai jamais pu aller au bout de ce désir. En ce jour funeste de novembre, je me suis retrouvée pour la première fois à l’urgence psychiatrique de l’hôpital Saint-Luc. Je manquais affreusement de sommeil, j’avais des idées délirantes que moi seul comprenais et je me sentais paranoïaque. D’après le médecin de garde, je faisais une manie psychotique.

Ainsi, pendant que mes amies découvraient la maternité, j’étais propulsée bien malgré moi dans l’univers de la maladie mentale.

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Un peu avant cette soirée passée à l’hôpital Saint-Luc, j’avais commencé à m’impliquer dans un parti politique provincial. Dans mon for intérieur, c’était évident que j’étais plus douée que les autres membres pour trouver des idées innovantes. Mon esprit était vif et je faisais plein de liens, comme si mon réseau neuronal s’était complexifié. Au bout de quelques jours, je suis devenue convaincue qu’un homme au sein du parti, X, était amoureux de moi. Je le percevais comme étant narcissique et manipulateur. Je croyais qu’il voulait me contrôler. J’étais certaine qu’il sombrait dans la folie et jamais, une seconde, je n’aurais pu penser que c’était moi qui perdais le contact avec la réalité.

Mon chum a tenté, tant bien que mal, de comprendre mon raisonnement en notant mes propos délirants, mais force est de constater que nous ne partagions pas la même réalité. Qui plus est, toute mon attention était fixée sur X.

Cet automne là, tout doucement, sans que nous nous en rendions compte, mon chum et moi avons commencé à nous distancier.

Au cours de l’année suivante, j’ai souffert d’une dépression majeure qui m’a soutiré toute ma joie de vivre. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Cette situation nuisait considérablement à ma vie de couple car j’étais incapable d’être pleinement présente pour mon chum. J’étais tellement centrée sur ma guérison que je n’avais plus d’énergie pour lui. Plus d’énergie pour aucun projet commun.

Les jours et les semaines ont passé, j’ai cessé ma médication, puis j’ai tranquillement retrouvé mon élan vital. J’ai repris mon travail d’ergothérapeute et je me sentais enthousiaste face aux nouveaux défis que j’avais à relever. Ma bonne humeur est devenue contagieuse, si bien que mes collègues me sollicitaient de part et d’autre pour que je m’engage dans différents comités. Je disais «oui» à toutes les demandes et je n’avais plus conscience de mes limites. Rapidement, mon état s’est détérioré. Je suis retombée en arrêt de travail et je me suis retrouvée à l’hôpital Douglas.

À l’urgence, j’ai fait l’expérience de l’isolement et de la contention, ce qui m’a grandement humiliée et traumatisée. Lorsque je suis arrivée sur l’unité d’hospitalisation, je me sentais en véritable détresse et je ne sentais pas que le personnel accueillait cette souffrance qui était en moi. Je me suis alors tournée vers les autres patients pour obtenir du réconfort. Je me suis notamment tournée vers un patient, Y, qui affichait une grande confiance en lui-même et qui tentait à sa façon de me rassurer, bien qu’il fût lui-même dans un état instable.

À l’occasion, mon chum venait me visiter et je lui disais que je ne voulais plus être avec lui. Bien sûr, mon jugement était altéré par la maladie et cela a considérablement réduit notre capacité à communiquer. C’est au cours de cette hospitalisation que mon chum a décidé de s’acheter une maison. Un véritable fossé s’est alors creusé entre nous.

Au total, il aura fallu quatre épisodes pour que mon trouble bipolaire se stabilise. Ma dernière psychose m’a laissé un goût particulièrement amer. En effet, lorsque je suis revenue à la réalité, je me suis rendu compte que j’avais perdu ce qui m’étais le plus précieux, ce qui constituait mon identité: ma vivacité d’esprit. Je devais dès lors composer avec des problèmes de mémoire et de concentration.

Sans ma vivacité, j’ai commencé à me sentir moins désirable. Avec mon chum, la relation est devenue plus froide, nous sommes devenus plus distants physiquement et émotionnellement À ce jour, nous n’avons pas retrouvé notre intimité ni notre complicité d’avant. Notre couple a été usé par les multiples épreuves que nous avons traversées.

Retrouverons-nous un peu d’intimité? Difficile à dire. À 38 ans déjà, la perspective d’avoir un enfant naturellement est très mince. D’autant plus que mon chum affirme ne pas vouloir d’enfants pour le moment. Voudra-t-il en avoir avec une autre femme? Cette question me taraude l’esprit.

C’est possible.

“Mon amour-propre a été fortement ébranlé et je souhaite le rebâtir avec délicatesse.”

Si je ne deviens pas mère, ce sera certes une grande épreuve de vieillir seule. Pas d’enfant à aimer plus que moi-même. À qui raconter des histoires. Avec qui jouer. À qui répondre aux grandes questions de l’existence. À consoler. À éduquer. Pas d’enfant à qui je pourrais transmettre ma singularité. Pas d’enfant pour me soutenir dans mes vieux jours.

Par ailleurs, je me pose cette autre question. Maintenant que je suis stable sur le plan psychiatrique, mon chum voudra-t-il adopter un enfant avec moi plus tard, sachant que nous aurions besoin de soutien extérieur?

C’est possible aussi.

Quoi qu’il arrive, ma sagesse me dit, qu’en réalité, le plus important n’est pas tant d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant, mais de m’aimer moi-même en dépit de toutes les épreuves que j’ai dû affronter. Mon amour-propre a été fortement ébranlé et je souhaite le rebâtir avec délicatesse. En prenant soin de moi, en cultivant mes passions et en rencontrant des personnes qui croient en mon potentiel.

Que je sois désirée ou non, je sais que j’ai beaucoup à apporter aux autres, notamment ma résilience et mon humanité.

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