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Au Liban, un photographe éclaire un peu le quotidien d'enfants syriens

Sourire franc et regard de braise, ce photographe de 50 ans, qui a couvert les guerres du Liban et d'Irak, sillonne depuis des mois le pays pour apprendre aux petits Syriens quelques rudiments de photographie
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Dès l'arrivée de notre petit convoi dans un camp de réfugiés syriens de la vallée de la Bekaa dans l'est du Liban, à quelques coudées de la frontière syrienne, accourent des dizaines d'enfants, certains pieds nus. Il y a dans le coffre de nos voitures des cartons remplis de vêtements usagés, des chaussures, des jouets et, surtout, des caméras jetables. Mais d'abord on discute avec les hommes.

«On montre aux enfants à manier la caméra, on les laisse prendre des photos pendant une heure ou deux, ensuite on vous donne les cadeaux», explique le photographe libanais Ramzi Haidar. S'il n'y avait pas ces «cadeaux» offerts par des particuliers libanais, le chef de ce camp de bric et de broc, comptant plus d'une centaine de Syriens, ne nous permettrait pas de rester sur place. Le chef est facile à reconnaître: c'est celui qui dispose d'une vraie tente et de la plus grande antenne satellite.

Le billet se poursuit après la galerie

Alors que son pays croule sous l'afflux de réfugiés, Ramzi a décidé d'apporter une petite lumière dans la noirceur quotidienne des enfants syriens. Sourire franc et regard de braise, ce photographe de 60 ans, qui a couvert les guerres du Liban et d'Irak, sillonne depuis des mois le pays pour apprendre aux petits Syriens quelques rudiments de photographie, avec l'aide d'une poignée de bénévoles.

«La photo est un moyen artistique et surtout pacifique de s'exprimer qui aidera peut-être ces enfants plus tard à trouver un emploi», dit Ramzi. C'est pourquoi il a fondé en 2007 l'association Zakira avec laquelle il a effectué un projet similaire avec des centaines d'enfants et d'adolescents dans les camps de réfugiés palestiniens du Liban. Leurs photos ont été publiées dans un livre et exposées au Liban, aux États-Unis et en Europe.

«On laissait l'appareil pendant une semaine aux petits Palestiniens pour qu'ils aient le temps de photographier leur quotidien. Avec les Syriens, ce n'est pas possible, ils sont trop démunis. Quand on a fait ça la première fois, on est revenu au camp pour se faire dire que les caméras avaient été vendues», raconte Ramzi.

Les enfants syriens sont aussi, selon lui, plus violents. En plus d'avoir été parfois témoins d'actes d'une extrême brutalité, les petits Syriens ont été arrachés à leur pays qui est depuis 2011 à feu et à sang. Les petits Palestiniens sont eux nés au Liban et ont grandi dans un environnement pauvre, mais relativement plus stable. Dans le camp syrien, tous les enfants croisés ont dit ne pas aller à l'école depuis parfois trois ans.

Il faut dire que le Liban, un pays politiquement instable comptant son lot de pauvreté, n'a pas les infrastructures nécessaires pour accueillir tout ce monde. Les autorités libanaises ont récemment annoncé avoir fermé leur frontière avec la Syrie, mais celle-ci reste très poreuse.

Quelque 1,2 million de Syriens sont officiellement réfugiés dans ce pays de quatre millions d'habitants grand comme la région québécoise de l'Estrie. Imaginez seulement le casse-tête et les tensions que causerait l'arrivée dans la région de Montréal de plus d'un million de réfugiés, en quête de nourriture, d'un toit et souvent d'un boulot au noir.

Et c'est sans compter les 450 000 réfugiés palestiniens et les milliers d'Irakiens qui se sentent parfois abandonnés à l'instar des Chamoun - une famille chrétienne ayant fui en 2008 les violences sectaires en Irak - et que j'ai rencontrés dans un taudis de la banlieue de Beyrouth. Le père, un ancien menuisier, la mère et leur fils de 25 ans attendent depuis des années un visa pour les États-Unis.

Des réfugiés qui attendent, il y en a partout au Liban. Des mendiants ont envahi Hamra, l'artère commerciale de Beyrouth, et ses environs, dormant au milieu des ronds-points et squattant là où ils le peuvent. Dans le camp palestinien de Burj Al-Barajneh, dans la banlieue de Beyrouth, les Palestiniens semblent désormais beaucoup moins nombreux que les Syriens à qui on loue des mansardes au prix fort (400 dollars par mois, presque le salaire mensuel minimum au Liban).

Dans la Bekaa, les camps de fortune ont poussé comme des champignons sur des bouts de terrain que des Libanais louent aux réfugiés ou qu'ils leur laissent en échange de leur main-d'œuvre. Des camions passent de temps à autre remplir les citernes d'eau sur lesquelles on a inscrit: « ne peut être vendu ». Quant à l'électricité, il suffit de se brancher illégalement sur le réseau, une pratique très répandue dans les quartiers déshérités de Beyrouth.

À travers les allées boueuses d'un camp de toile - fait avec des affiches électorales ou publicitaires qui avaient été mises au rebut -, Ramzi donne aux enfants des idées de photo: «tu vois cette femme portant un bidon d'eau sur la tête? Tu vois ces garçons en train de couper du bois? »

Tout se passe bien, mais il y a quand même pas mal de tensions. Ramzi et son équipe étaient déjà passés dans ce camp. Et un volontaire s'est étonné de ne pas voir la couverture qu'il avait remise lui-même à une vieille femme. « Confisquée par le chef », lui a-t-on glissé.

Au moment de donner les cadeaux, tout va se gâcher. Le chef trouve que c'est trop peu. Il crie, gesticule, arrache les vêtements des mains des enfants en pleurs. Il veut les cartons qui sont destinés à un autre camp. «Sinon reprenez tout et foutez le camp», crie-t-il. Silence. On repart. Quelques minutes plus tard, le chef appelle Ramzi pour s'excuser et lui demander de ramener les cartons...

Certains camps de réfugiés ont tout simplement reproduit le modèle du régime syrien où un chef et sa bande font la loi. Classique. Nous voilà arrivés dans un autre camp, moins d'un kilomètre plus loin. Je vois déjà les enfants gambader en riant vers Ramzi.

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