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L'espace humanitaire est-il en voie de disparition?

Il est urgent d'identifier les causes qui contribuent à l'escalade de la violence envers les travailleurs humanitaires.
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Depuis le début du conflit en Syrie, des hauts responsables du conseil de sécurité de l'ONU mettent en garde la communauté internationale contre la détérioration de la situation humanitaire. Ils lancent des appels, malheureusement en vain, pour que l'on fasse tomber les obstacles qui entravent la fourniture de l'aide humanitaire à la population civile. Il est clair que l'espace humanitaire est menacé.

L'espace humanitaire n'est pas une notion soumise à des frontières ou limitée à certains territoires déterminés. L'espace humanitaire est un espace symbolique qui se caractérise par la mise de l'avant de certaines valeurs morales et humaines visant à aider et protéger des populations en besoin, le tout à l'écart de la politique.

C'est dans cet esprit que fut fondée en 1864 la Croix-Rouge, qui soutient le principe d'un espace «neutre» dans lequel les blessés peuvent être secourus au nom des principes d'humanité et du respect de la dignité.

Dans cette foulée, de manière graduelle, le droit international humanitaire a pris naissance et a évolué au fil des années et des guerres, pour finalement être codifié lors des quatre conventions de Genève de 1949.

Aide humanitaire en Afghanistan.Crédit : ICRC / STOESSEL, Marcel. 14 mai 2006 (CC BY-SA 2.0).

Les conventions de Genève ont confirmé l'application des règles du droit international humanitaire, non seulement aux conflits entre États, mais également aux conflits non internationaux, soit les guerres civiles. Ces conventions ont pour but de protéger toute personne qui ne participe pas (ou plus) aux combats, dont les civils, le personnel médical ou religieux et bien sûr les travailleurs humanitaires.

Pour que l'espace humanitaire se conçoive et existe, il est cependant nécessaire que les diverses organisations humanitaires puissent jouir d'une certaine liberté d'intervention et que leur travail soit exécuté sans entrave et en toute sécurité. Or, cela n'est plus le cas. Au contraire, le personnel humanitaire est de plus en plus pris pour cible et on assiste depuis quelques années à une augmentation fulgurante des agressions contre les travailleurs humanitaires.

En effet, le rapport du groupe de consultants Humanitarian Outcomes publié le 19 août à l'occasion de la Journée mondiale de l'aide humanitaire confirme que l'année 2013 a établi un nouveau record concernant le nombre d'agressions visant les travailleurs humanitaires : plus de 460 agents issus d'ONG et des Nations Unies ont été victimes d'attaques dans le monde, soit une hausse de 48 % par rapport à 2012.

Dans l'espace humanitaire relatif à chaque situation donnée, on constate que divers intervenants souvent aux intérêts opposés se côtoient. On observe de plus en plus que l'aide humanitaire est associée à des considérations politiques, militaires ou religieuses, et est aussi souvent étroitement liée aux considérations géopolitiques et économiques des grandes puissances. À cet égard, la situation actuelle qui prévaut en Syrie résume bien la complexité des nouveaux conflits et, malgré la trêve partielle négociée le 11 février dernier, déjà les parties en présence ont peu d'illusions de voir un apaisement durable.

En l'absence de mesures concrètes pour garantir la sécurité et le bon déroulement des missions humanitaires, plusieurs ONG ont déjà suspendu leurs activités dans certaines zones.

Plusieurs exemples récents sont très éloquents : l'organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) a annoncé au mois d'août 2013 son retrait de Somalie après 22 ans de présence continue dans ce pays. Le président international de Médecins sans frontières justifia ce départ dans les termes suivants : «en raison du déséquilibre insoutenable entre les risques auxquels nos équipes sont confrontées, les compromis que nous devons faire et notre capacité à fournir une assistance aux victimes somaliennes».

Dans un contexte similaire, le 10 janvier 2016, suite à de récents bombardements visant des hôpitaux au Yémen, la pédiatre québécoise Joanne Liu, qui est aussi, incidemment, présidente internationale de MSF, s'insurgea contre ces attaques et s'exprima ainsi : «si les belligérants des pays où nous travaillons ne respectent pas le droit international humanitaire, mon personnel va peut-être me dire : "je n'ai pas envie d'aller là"».

Finalement, Action contre la faim (ACF) s'est vu dans l'obligation de suspendre sa mission humanitaire dans certaines zones en Centrafrique en l'absence de mesures et de garanties visant la sécurité de ses travailleurs humanitaires.

Lorsqu'une ONG décide de suspendre ses activités ou est empêchée d'agir pour des raisons de sécurité, cela a un impact énorme et engendre un nombre important de victimes collatérales, puisque souvent la survie d'une partie d'une population donnée dépend de la distribution d'une aide humanitaire et ou de l'accès à des soins médicaux.

À ce titre, mentionnons que Médecins sans frontières, dont les activités couvraient les soins de base aux chirurgies lourdes, a soigné plus de 300 000 Somaliens au cours du premier semestre de 2013. Action contre la faim a apporté une aide alimentaire en Centrafrique à plus de 360 000 personnes. On peut donc affirmer qu'en définitive, ce sont les populations civiles qui paient le prix fort et subissent les conséquences les plus importantes des violences faites aux travailleurs humanitaires.

Dans ce contexte, il est urgent d'identifier les causes qui contribuent à l'escalade de la violence envers les travailleurs humanitaires, ce qui contribue au rétrécissement, voire même, la disparition de l'espace humanitaire dans certaines zones.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH), de nombreuses raisons expliquent l'augmentation des agressions contre les travailleurs humanitaires. En premier lieu, il faut souligner le changement de la nature des conflits. Autrefois, les guerres opposaient généralement des États et leurs armées respectives, tandis qu'aujourd'hui la majorité des conflits prennent naissance entre des factions distinctes de groupes rebelles armés souvent de confessions religieuses différentes au sein d'une même nation, et ceux-ci n'hésitent pas à s'en prendre aux civils et à avoir recours à des actes de gangstérisme pour consolider leur pouvoir.

Le BCAH souligne également le fait que la militarisation croissante de la distribution de l'aide crée une confusion et associe le travailleur humanitaire aux soldats. Finalement, puisque les organisations humanitaires sont généralement subventionnées, leur indépendance et leur neutralité sont souvent remises en cause et sont perçues comme un prolongement du monde occidental.

Tant que la communauté internationale permettra que le blocus de l'aide humanitaire soit utilisé comme une arme de guerre et un instrument de négociations, il est indéniable que l'espace humanitaire continuera, peu à peu, à rétrécir.

Christophe Nault,

Étudiant en études internationales au Collège Jean-de-Brébeuf.

Pour l'article complet avec références : monde68.ca

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