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Arrêté par la police de New York en pleine manif: «Si c’est ainsi qu’ils traitent un journaliste blanc»

Après la mort de George Floyd, une mobilisation historique contre la violence policière a conduit à l'arrestation de près de 2000 personnes à New York, moi y compris.

ÉTATS-UNIS - Au cours des derniers jours, des milliers de New-Yorkais ont assailli les rues des cinq quartiers de la ville, mettant le feu aux voitures de police, bravant les coups de bâton et souffrant des vaporisateurs de poivre dans les yeux, le tout pour pouvoir crier un message urgent au monde entier : “Fuck the police”.

Ils ont marché dans Manhattan, où le New York Police Department a abattu Patrick Dorismond.

Dans le Queens, où le NYPD a tiré 50 balles sur Sean Bell.

Dans le Bronx, où un policier du NYPD a étranglé à mort Anthony Baez.

À Brooklyn, où le NYPD a tiré sur Nicholas Heyward Jr, âgé de 13 ans.

Et ils ont marché sur Staten Island, où le NYPD a coupé le souffle à Eric Garner.

Près de 2000 manifestants ont été arrêtés en cinq nuits lorsque la plus grande ville américaine a rejoint la mobilisation nationale contre la brutalité policière. Un mouvement dans près de 140 villes. Une agitation de masse telle que ce pays n’en a pas connu depuis plus d’une génération.

Il y avait des moments à New York où on avait l’impression que cette coalition multiraciale de manifestants, menée principalement par des jeunes de couleur, reprenait les rues du NYPD, une force policière plus grande que certaines armées qui terrorise les résidents noirs et bruns depuis sa création.

On avait l’impression que de plus en plus de gens ici en étaient venus à remettre en question le monopole des flics sur la force et à embrasser l’idée radicale de couper les fonds du service de police, ou même le rêve abolitionniste d’un New York sans le New York’s Finest (surnom que nous donnons à la police de la vile) du tout.

C’est ainsi que New York’s Finest a explosé de violence.

Les vidéos du tumulte sont devenues virales. Un flic roulant à vive allure dans une voiture de patrouille au milieu d’une foule de manifestants. Un flic enlevant le masque d’un homme — porté pour se protéger du coronavirus — et le pulvérisant de poivre de Cayenne au visage. Un autre utilisant une portière pour frapper un homme. L’un d’eux pointant une arme sur les manifestants. Un autre poussant une femme sur le sol si fort qu’elle a fait des convulsions. Et un autre disait ”Tirez sur ces enfoirés″ sur la fréquence radio de la police. Et la liste est longue.

J’ai vu des policiers brutaliser et arrêter des gens avant d’être violemment arrêté moi-même.

Et pourtant, dès lundi 1er juin, le gouverneur démocrate de New York, le maire de la ville et le président républicain du pays s’étaient mis d’accord sur des solutions similaires à toute cette agitation : réprimer ce soulèvement historique avec plus d’agents armés de l’État.

Pour les manifestants, il semblait que leur gouvernement ne les avait toujours pas entendus, et ne les avait probablement jamais écoutés au départ.

“La seule putain de manière qu’ils comprennent”

Samedi, dans le quartier de Flatbush à Brooklyn, des milliers de personnes se sont rassemblées devant la station de métro de Parkside Avenue sous le soleil de l’après-midi pour une série de discours avant les marches de la journée. Les gens étaient aux fenêtres et habillant de banderoles “Black Lives Matter” les escaliers de secours tout en écoutant les orateurs en bas.

Un homme du nom de Kerbe Joseph demande à la foule par un mégaphone : “Savez-vous à quel point c’est la merde d’allumer les infos et de voir un autre négro qui te ressemble mort?” (sic).

“Si vous êtes blanc, ajoute Joseph, et que vous n’êtes pas dans la foule, ni sur la ligne de tir, ni sur le toit à crier ‘Black lives matter’ à New York… alors, foutez le camp!”

Joseph et les autres intervenants, tous noirs ou hispaniques ou amérindiens, ont invoqué les noms d’Américains dont les récents meurtres ont déclenché des manifestations dans des dizaines de villes du pays: Breonna Taylor, sur laquelle la police a tiré à Louisville, Kentucky; Ahmaud Arbery tué par balle en joggant en Georgie par un ancien policier et son fils; et George Floyd, tué à Minneapolis le 25 mai, lorsqu’un policier a pressé un genou dans le cou de Floyd en le serrant comme un étau.

“Nous sommes George!” clamait la foule.

Constance Malcolm, mère de Ramarley Graham, 18 ans, tué par la police de New York en 2012, a été rejointe à la tribune par son fils Chinoor Campbell, qui n’avait que 6 ans lorsqu’il a vu un policier blanc tirer sur son grand frère désarmé dans sa propre maison.

Il y a quelques années, Malcolm m’a montré le tapis de bain taché de sang qu’elle gardait sur une étagère dans sa maison, depuis que la balle du flic a déchiré le cœur de son fils. Elle ne pouvait pas se résoudre à le jeter, disait-elle.

Malcolm a participé à de nombreuses manifestations contre la brutalité policière dans cette ville, et je lui ai rendu visite une fois alors qu’elle dormait sur le trottoir devant un bâtiment du ministère de la Justice à Manhattan, pour demander une enquête des droits civils concernant le meurtre de son fils.

Mais devant la foule à Flatbush ce samedi, Malcolm a soutenu que de telles actions non violentes n’ont tout simplement pas accompli ce qui doit être accompli.

“Nous voyons tous les pillages et les incendies de bâtiments et tout ce qui se passe, et ils nous traitent de voyous”, a déclaré Malcolm, en référence à toutes les instables manifestations à travers le pays, en particulier à Minneapolis, où les manifestants ont saccagé puis incendié un commissariat de police.

“Je ne cautionne pas les incendies et tout cela, a-t-elle poursuivi, mais c’est la seule putain de manière qu’ils comprennent!”

La foule s’est mise à gronder. Peu de temps après, Malcolm s’est emparé d’une banderole sur laquelle était écrit “Justice pour George Floyd”, son fils à ses côtés, et a mené la foule qui commençait à défiler dans les rues.

Des chants de “Qui assure notre sécurité? Nous assurons notre propre sécurité!” et “NYPD, sucez ma bite!” et “Fuck the police!” ont empli l’avenue Flatbush.

Les locaux — dont beaucoup sont restés coincés chez eux, sans travail et à l’abri de l’épidémie de Covid-19, qui a dévasté des quartiers à prédominance noire et brune de la classe ouvrière comme Flatbush — se sont entassés sur les trottoirs pour observer et parfois se joindre à la marche à leur tour.

Un vieil homme à l’intérieur d’une bodega a expliqué à un autre vieil homme ce qu’était la marche, en pointant du doigt son genou, puis son cou.

Les personnes dans les voitures — y compris les travailleurs sanitaires dans un camion à ordures, ou encore les conducteurs des “fourgons à un dollar” de Flatbush, qui sont régulièrement harcelés par la police de New York car ils offrent des déplacements bon marché aux habitants d’un quartier où le métro est peu développé — ont klaxonné pour encourager les manifestants.

Les travailleurs des ateliers automobiles sont sortis de leurs hangars pour danser et lever le poing en signe de solidarité. Une femme en pleurs a crié “Je vous aime tous” par la fenêtre de son appartement au quatrième étage.

Les manifestants ont défilé à travers les pâtés de maisons. Un organisateur noir a réprimandé les manifestants blancs, leur demandant de rester à l’arrière, afin que les voix noires et brunes demeurent en première ligne.

Certains dans la foule ne voulaient pas parler aux journalistes, et pourquoi le feraient-ils? La presse locale et nationale, à prédominance blanche, a souvent entretenu la peur des New-Yorkais noirs ou a servi de sténographe à la police de New York.

Un SUV de la police de New York en feu le 30 mai.
REUTERS
Un SUV de la police de New York en feu le 30 mai.

Samedi, alors que le jour se couchait, certains manifestants ont mis le feu à un premier véhicule du NYPD, une voiture de patrouille. Les flammes ont jailli des vitres, juste au-dessus des autocollants de la voiture déclarant “la courtoisie, le professionnalisme et le respect” du service de police. Les manifestants ont averti les autres de ne pas s’approcher trop près au cas où la voiture exploserait.

Des policiers en tenues antiémeutes ont repoussé les manifestants. Un camion de pompiers est arrivé, a éteint le feu et est reparti. Des lignes de combat se sont ensuite formées.

Le NYPD se tenait en rang au milieu de la rue, près d’une station-service Shell. Les manifestants ont formé une ligne face à eux. Des manifestants noirs et blancs ont appelé les manifestants blancs à rejoindre la ligne de front. Les manifestants blancs ont obéi.

Un cycle s’est ensuite mis en place : les manifestants lançaient des projectiles sur les flics — bouteilles en verre, pierres, et parfois des feux d’artifice — puis les flics chargeaient dans la foule, plaquaient et arrêtaient les manifestants avant de les traîner jusqu’aux fourgons de police qui les attendaient. Ensuite, les deux camps reprenaient leur position.

Michael, un avocat de Brooklyn, se tenait sur le trottoir pendant un bref moment de répit avec son ami Jerome. Ils n’ont pas révélé leur nom de famille.

“La violence n’a pas commencé avec les voitures de police en feu ou les bouteilles de verre qui volaient dans les airs”, a soutenu Michael. “La police a elle-même commencé la violence il y a longtemps.”

“Une semaine sur deux, un jour sur deux, nous entendons une autre histoire d’un homme noir abattu ou d’une femme noire abattue, et ce n’est pas juste, et puis ils s’en tirent, et maintenant, ça suffit”, a déclaré Michael.

“Nous sommes fatigués, et, non, nous ne voulons pas être ici à détruire des voitures de police et à détruire nos propres quartiers, mais c’est la façon de — » poursuivait Michael avant que son ami Jerome ne l’interrompe.

“J’en ai marre d’entendre ces conneries sur le fait que ‘nous détruisons notre propre communauté’, a déclaré Jerome. “Arrêtez de nous dire que nous détruisons notre propre communauté. Nous ne possédons absolument rien de ce qui se trouve ici, putain!”

Tout au long de la journée, certains manifestants brandissaient des pancartes appelant à couper les vivres du NYPD, une mesure qui a commencé à émerger parmi la gauche radicale pour prendre progressivement plus de place ces dernières années. L’idée est de réaffecter une grande partie de l’énorme budget annuel de 6 milliards de dollars du département de police et de l’investir plutôt dans le logement, l’emploi, les services de santé (notamment de santé mentale) et d’autres solutions non policières aux problèmes de sécurité publique.

“Imaginez que tout cet argent, ou une partie de cet argent, soit redistribué dans les communautés, dans les écoles désaffectées, dans notre système de santé”, m’a dit Michael alors que la police se préparait à porter de nouvelles accusations. “Genre, pourquoi pas! Ce sont les communautés qui en ont besoin, et pourtant nous ne voyons pas cela. Nous voyons juste des voitures de police qui patrouillent”.

Autour de nous les policiers étaient de plus en plus en colère. Lorsqu’ils ont chargé cette fois, un policier blanc a crié “Venez ici, bande d’enculés! Salopes!” tout en pourchassant un jeune homme noir.

Une femme qui m’a dit s’appeler Jennifer L. a hurlé après un policier qui venait de plaquer et d’arrêter un manifestant.

“Ils n’ont aucune raison d’avoir peur”, disait-elle d’une voix tremblante. “Nous devrions avoir peur! Nous devrions avoir peur! Et eux, de quoi ont-ils peur? Oh, quelques bouteilles. Quelques bouteilles?! Et si c’était un genou? Et si c’était un genou sur la nuque?!”

Tout près, un jeune couple de blancs se tenait, stupéfait et silencieux, se tenant par la main et regardant au loin à travers tout le chaos. Leurs masques contre le coronavirus étaient tachés de bicarbonate de soude, utilisé pour contrer le spray au poivre qui avait laissé leurs yeux rouges et irrités. Ils avaient été malmenés lors de la dernière charge de la police, ont-ils expliqué. Un policier avait frappé la femme à l’estomac avec une matraque.

Ils ont refusé de me dire leurs noms. “Nos noms n’ont aucune importance dans toute cette affaire”, a dit l’homme. “Les seuls noms qui doivent être répétés sont ceux des vies perdues”.

Après, chaque fois que les flics ont chargé, les manifestants se sont rassemblés, fixant leurs attaquants lourdement armés, se préparant à l’assaut suivant. Ils chantaient: “Dites son nom! Breonna Taylor!” et “Dites son nom! George Floyd!”

Ils ont nargué les flics en chantant “NYPD, sucez ma bite!” et sont montés au sommet d’un bus abandonné dans la rue par son chauffeur, les bras tendus comme si, pour un instant, la ville où ils vivaient leur appartenait réellement.

Les lignes de bataille ont commencé à se clairsemer. Les flics se sont mis à courir après les manifestants tout au long de l’avenue Church, tandis que les hélicoptères tournaient au-dessus de nos têtes, braquant parfois leurs projecteurs sur les mêlées dispersées.

J’ai commencé à filmer la charge de la police alors que je reculais avec un groupe de manifestants qui battaient en retraite, ma carte de presse suspendue à mon cou.

Un flic en plein sprint s’est dirigé vers moi et m’a heurté à l’épaule en passant. Il a crié “Dégagez de mon chemin”, alors qu’il y avait beaucoup de place autour de moi.

J’avais regardé les flics malmener de jeunes New-Yorkais toute la journée, en pressant leur visage dans le béton et en les maudissant. J’étais très énervé.

“Va te faire foutre”, ai-je dit au flic.

Il a subitement arrêté de charger les manifestants et est revenu vers moi, m’enfonçant une matraque dans la poitrine et me cognant contre le trottoir.

Je ne sais pas combien de flics se sont empilés sur moi, mais il y en avait beaucoup. Un genou ou un pied a pressé ma tête et mon cou sur le béton. Des mains tiraient sur mes jambes et sur mes bras, les écartelant dans différentes directions tandis que des voix différentes émettaient des demandes incongrues.

“Mets ta main gauche derrière ton dos!” Mon corps était tordu, et il m’était impossible de le faire. “Cesse de résister!” Je ne résistais pas.

Je leur ai demandé de regarder ma carte de presse. Je leur ai dit que j’étais journaliste. Je les ai suppliés de récupérer mon téléphone, qui m’était tombé des mains pendant l’interpellation.

“Ferme ta gueule”, m’a dit un flic.

Quand ils m’ont menotté et m’ont relevé, un flic blanc, sans masque et avec de la rage dans les yeux, s’est approché à quelques centimètres de mon visage. “Putain de connard”, m’a-t-il dit.

Encore et encore, ma carte de presse bien visible sur mon cou, j’ai supplié les policiers de prendre mon téléphone, inquiet de perdre une si grande partie de ce que j’avais documenté ce jour-là. Les flics ont refusé, le laissant dans la rue avant de m’escorter jusqu’au fourgon de police.

Je me suis dit : Si c’est ainsi qu’ils traitent un journaliste blanc…

Cet article a d’abord été publié sur l’édition américaine du HuffPost.

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