CINÉMA - Au lendemain des BAFTA, tout le monde ne parle que de lui. Joaquin Phoenix, récompensé du prix du meilleur acteur pour son rôle dans “Joker”, a sensiblement marqué les esprits avec un discours puissant contre le racisme dans l’industrie du cinéma, ce dimanche 2 février à Londres. De quoi rappeler à certains le geste fort de Marlon Brando en 1973.
“Nous envoyons un message très clair aux personnes de couleur, à savoir que vous n’êtes pas les bienvenus ici”, a dénoncé le héros subversif du film de Todd Philips. Loin de lui l’envie de faire “un discours moralisateur”, l’Américain de 45 ans a battu sa coulpe: “J’ai honte de dire que je fais partie du problème. Je n’ai pas tout fait pour que les tournages sur lesquels j’ai travaillé soient aussi diversifiés que possible”.
“Je pense que c’est à ceux qui ont créé, perpétué et profité d’un système d’oppression de le démonter. C’est à nous de le faire”, a terminé Joaquin Phoenix sous des applaudissements venus rompre le calme plat qui régnait dans la salle.
Quelques heures après son discours, cette dénonciation du racisme systémique est saluée par de nombreux acteurs et actrices de l’industrie du cinéma. Sur Twitter, Viola Davis, productrice et actrice dans “How to get away with murder” notamment, commente “l’honnêteté, la solidarité et le courage” de Phoenix. Tandis que la réalisatrice de “L’Adieu”, Lulu Wang, décrit “l’inconfortable silence qui a rempli la salle pendant un long moment” avant de remercier l’acteur.
Bien sûr, Joaquin Phoenix est loin d’être le premier à pointer du doigt l’omniprésence des mâles blancs dans les cérémonies de remises de prix et plus globalement dans l’industrie du cinéma. Dès 2016, le hashtag #OscarsSoWhite avait émergé devant l’absence totale de diversité dans les catégories reines de la cérémonie hollywoodienne. En janvier dernier, le réalisateur britannique Steve McQueen s’était érigé en porte-parole du mouvement #BaftaSoWhite.
Pourtant la prise de parole forte et engagée de l’anti-héros de “Joker”, qui n’en est pas à sa première, laisse à penser qu’elle pourrait atteindre son apogée ce dimanche 9 février lors de la cérémonie des Oscars à Los Angeles. Alors que Joaquin Phoenix est là aussi nommé au titre de “meilleur acteur” aux côtés d’Adam Driver ou Leonardo Di Caprio, ira-t-il jusqu’à refuser son éventuel prix pour marquer ses convictions?
Si l’on se permet d’imaginer un tel scénario, c’est que l’engagement de Joaquin Phoenix en rappelle un autre qui croise l’histoire des Oscars. En 1973, Marlon Brando, alors au sommet de sa carrière, était le grand favori à l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans “Le Parrain” de Francis Ford Coppola. Oui mais voilà, alors que la rumeur d’un boycott bruissait depuis quelques jours, l’icône du cinéma est bien absente ce soir-là.
Au moment de l’annonce de sa victoire, une jeune femme aux deux longues couettes brunes monte sur scène, refuse de prendre l’Oscar et déclare: “Bonsoir, mon nom est Sacheen Littlefeather. Je suis Apache et je suis la présidente du National Native American Affirmative Image Committee. Je représente Marlon Brando à cette soirée.”
Devant une salle silencieuse, elle poursuit: “C’est à regret qu’il ne peut accepter cette très généreuse récompense, en raison de la manière dont sont traités les Indiens d’Amérique aujourd’hui par l’industrie cinématographique.” Une décision surprise de l’acteur accueillie par des huées comme des applaudissements alors que des affrontements entre les autorités et les militants amérindiens de Wounded Knee (Dakota du Sud) avaient agité le pays quelques jours plus tôt.
Dans une lettre plus longue rédigée par Marlon Brando et publiée dans la presse à l’issue de la cérémonie des Oscars 1973, il dénonce le fait que les rôles principaux de personnages amérindiens sont incarnés par des acteurs blancs dans les westerns, tandis que les Amérindiens sont relégués aux seconds rôles. “L’industrie du cinéma est responsable de la dégradation de l’Indien en faisant de son personnage une caricature, le décrivant comme sauvage, hostile et diabolique, écrit-il. (...) Quand des enfants indiens regardent la télévision ou des films, et lorsqu’ils voient comme leur race y est représentée, leurs esprits sont blessés d’une façon qu’on ne peut pas imaginer.”
Près de 50 ans plus tard, le manque de diversité et d’équité à l’écran comme derrière la caméra est toujours au cœur du débat. Et tout porte à croire que la 92e cérémonie des Oscars ce dimanche 9 février à Los Angeles sera inévitablement marquée par ces discussions, que Joaquin Phoenix soit ou ne soit pas auréolé d’un prix ce soir-là. Reste à voir si cette prise de conscience aura, elle, de réelles conséquences sur l’industrie.
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