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Mon anxiété me paralyse, mais ce n’est pas un motif raisonnable pour mon employeur

Je suis intervenante en toxicomanie dans un CIUSSS. Et comme mon travail n’est pas jugé essentiel actuellement, on veut m’affecter en CHSLD, et ça me terrifie.
bunditinay via Getty Images

Cette semaine, j’ai parlé à mon médecin de famille qui me suit depuis au moins 20 ans. Elle connaît tous mes problèmes de santé mentale. Après tout, les 14 comprimés que je prends chaque jour ont été prescrits par quelqu’un.... et qui de mieux que mon médecin de famille pour me suivre.

Je suis en arrêt de travail depuis près de deux mois. La cause sur le papier médical: anxiété importante. Il y a quelques jours, elle m’a annoncé que l’anxiété en raison de la COVID-19 ne serait plus un motif accepté par les CIUSSS. Elle aurait reçu des consignes de la santé publique disant que comme le virus n’allait pas se terminer de sitôt, la peur de l’attraper n’était vraiment pas un bon argument.

Je n’ai pas peur. Je suis terrifiée. Je suis intervenante en toxicomanie. À cause du délestage, j’ai été prévenue qu’on m’enverrait dans un CHSLD de Montréal. Mon travail avec les personnes qui souffrent d’un trouble d’usage de substances, ce n’est pas aussi essentiel.

“Je ne veux pas être responsable du bien-être physique et psychologique de gens qui ont été placés dans un de nos mouroirs publiques.”

Je n’ai pas peur. Je suis terrifiée. Je suis intervenante en toxicomanie. À cause du délestage, j’ai été prévenue qu’on m’enverrait dans un CHSLD de Montréal. Mon travail avec les personnes qui souffrent d’un trouble d’usage de substances, ce n’est pas aussi essentiel.

Ça fait plus de 15 ans que je fais mon métier. J’adore ce que je fais. Je n’ai aucune compétence avec les personnes âgées. Je n’ai aucune formation avec cette clientèle. Et, même si je sais que ça ne se dit pas, je n’ai aucun intérêt pour cette clientèle. J’adore ma grand-maman et je tente d’en prendre soin du mieux que je peux, mais je ne veux pas être responsable du bien-être physique et psychologique de gens qui ont été placés dans un de nos mouroirs publics.

Mon médecin m’a dit qu’elle peut demander à ce que je ne travaille pas avec la clientèle vulnérable, comme en CHSLD, mais mon employeur risque de refuser... Les CHSLD, c’est exactement où mes collègues travaillent pendant la pandémie.

Je suis intervenante spécialisée dans le traitement des dépendances. Je ne suis pas infirmière. Je ne suis pas préposée aux bénéficiaires. Je ne suis pas non plus une employée des services techniques. Je ne suis pas une de ces héroïnes. Je n’ai pas cette force... du moins, pas pour le moment. Le serais-je un jour? Je ne sais pas... Mais juste à y penser, mon coeur commence déjà à s’emballer.

“Je fais d’horribles cauchemars, je tremble de tout mon corps, je pleure et j’ai l’impression que l’oxygène de la pièce manque et je suffoque.”

Malgré ma médication pour m’aider à dormir, je dors en moyenne trois heures par nuit. Ce sommeil, quand même léger, est la majeure partie du temps entrecoupé de crises de panique. Je fais d’horribles cauchemars, je tremble de tout mon corps, je pleure et j’ai l’impression que l’oxygène de la pièce manque et je suffoque. Mon conjoint fait ce qu’il peut pour m’apaiser, mais la plupart du temps, je me rendors puisque je suis totalement épuisée suite à la crise.

Mon médecin m’a dit qu’elle voulait que je retourne au travail la semaine prochaine. Même si je lui ai tout raconté ce que je vis. Mais ce n’était pas assez. Elle revenait toujours à ces maudites directives de la santé publique. En plus de tout ça, mes deux enfants sont à la maison et juste de penser à ce que je devrai faire avec mes deux filles me terrifie encore plus... ce n’était toujours pas assez.

J’ai éclaté en sanglots. Elle n’arrivait pas à m’entendre tellement je pleurais. Je l’ai suppliée. Je lui ai promis de continuer mon suivi avec mon programme d’aide aux employés. Je lui ai promis de braver mes peurs le plus possible. Pour moi, ça signifie, entre autres, d’aller à l’épicerie.

Finalement, mon médecin a accepté de me laisser jusqu’à la mi-juin en me disant clairement qu’après, je devrai aller travailler. Et elle m’a quand même avisée que les CIUSSS, en ce moment, sont de vrais requins et qu’ils risquent de refuser de me payer pour la suite de cet arrêt de travail. Un autre stress... encore! Je ne sais tellement pas ce que je vais faire. Je commence à regarder les offres d’emploi, je n’ai pas le choix...

J’ai pu lire en début de semaine que plus de 600 employés dans le milieu de la santé sont retournés au travail. Considérant ce que j’ai dû vivre, je me demande combien de ces personnes étaient réellement prêtes à retourner au travail et combien n’ont juste pas eu le choix.

Je travaille en santé mentale. Je gère les hallucinations, la paranoïa, l’anxiété, la dépression et des crises suicidaires. Si une employée qui a des problèmes de santé mentale se fait traiter ainsi... j’ai peine à imaginer ce que les usagers subissent.

*Isabelle est un nom fictif. L’intervenante a souhaité préserver l’anonymat.

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