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La question à 1000$: un antispéciste, ça mange quoi en hiver?

Véganisme, antispécisme, végétalisme... Petit guide pour comprendre les défenseurs des droits des animaux.

Les militants pour la défense des droits des animaux ont fait beaucoup de bruit au cours des derniers mois, orchestrant notamment des coups d’éclat visant plusieurs restaurants montréalais, dont le Manitoba. Mais entre véganisme et antispécisme, il peut y avoir tout un monde. Cours 101 d’éthique animale appliquée.

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«J’suis pas spéciste, mais...»

Si on connaît bien les concepts de racisme et de sexisme, le spécisme est un terme plutôt obscur pour la moyenne des ours.

«Le spécisme, c’est l’idéologie selon laquelle les êtres humains ont le droit d’asservir ou de réduire à de simples ressources les autres animaux pour nos fins», explique Valéry Giroux, chercheuse en éthique animale reconnue comme une sommité dans le domaine.

Par opposition, l’antispécisme est «une position qui rejette l’appartenance à l’espèce comme critère de discrimination morale», résume la chercheuse.

L’idéologie rejette aussi l’argument selon lequel la vie ou le bien-être d’un animal a une valeur morale moindre que la vie humaine parce qu’il est moins intelligent ou n’a pas certaines capacités cognitives sophistiquées comme la conscience de soi, le sens de responsabilité morale ou la capacité à se projeter dans l’avenir, par exemple.

«Le problème quand on évoque cette idée, c’est qu’on sait bien que ces capacités ne sont pas un critère pertinent quand vient le temps d’attribuer une valeur morale aux humains», explique Mme Giroux. «Certains être humains, [comme les bébés ou les personnes en situation de handicap intellectuel] ont des capacités cognitives plus limitées que celles de certains animaux.»

Croire que la vie d'un poisson à moins de valeur que la nôtre parce qu'il n'a pas les mêmes capacités cognitives que nous, c'est un exemple de spécisme.
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Croire que la vie d'un poisson à moins de valeur que la nôtre parce qu'il n'a pas les mêmes capacités cognitives que nous, c'est un exemple de spécisme.

Pour résumer grossièrement: comme on ne croit pas qu’on devrait manger les bébés parce qu’ils sont moins développés sur le plan cognitif, les antispécistes estiment que ce n’est pas une bonne raison pour manger un poisson.

«Le discours spéciste selon lequel les capacités cognitives des membres de certaines espèces justifient qu’on les considère comme inférieurs et qu’on les exploite, c’est un discours foncièrement capacitiste et extrêmement affolant pour la justice humaine», estime la philosophe, qui est aussi juriste spécialisée en droit des animaux.

Tous les véganes ne sont pas antispécistes...

... Mais tous les antispécistes sont véganes. Confus? Clarifions quelques termes.

Le végétalisme réfère à la diète (où on ne mange aucun produit issu de l’exploitation animale). On peut donc être végétalien, mais porter du cuir ou faire du rodéo.

Le véganisme est plus large. La Vegan Society, qui a créé le terme en 1944, le définit en tant que «philosophie et mode de vie qui tend à exclure, autant qu’il est possible, toutes formes d’exploitation et de cruauté faites aux animaux afin de se nourrir, se vêtir ou dans n’importe quel autre but». Exit les spectacles de Cavalia et les cosmétiques contenant du collagène animal, par exemple.

Mais même si on choisit de ne consommer aucun produit issu de l’oppression animale, nos arguments pour le faire sont peut-être spécistes, affirme Jade, une porte-parole du groupe antispéciste Direct Action Everywhere (DxE) Montréal.

Voyez le coup d’éclat de DxE Montréal au restaurant Joe Beef, en janvier:

«Le véganisme et l’antispécisme n’ont rien à voir avec l’environnement ou la santé humaine. Les gains pour l’environnement et la santé sont réels, mais ces arguments-là sont spécistes parce qu’ils excluent toujours les animaux», explique la militante, qui ne souhaite être identifiée que par son prénom.

«On n’a pas besoin d’être antispéciste pour être végane, renchérit Valéry Giroux. On peut continuer à adhérer au suprémacisme humain, tout en pensant que c’est injuste d’asservir les autres animaux pour des usages qui ne sont pas nécessaires.»

Mais pour Carl Saucier-Bouffard, professeur d’éthique appliquée au Cégep Dawson et présentateur de la mini-série Éthique animale, diffusée en 2013, les motivations ont bien peu d’importance si le résultat est qu’on respecte les droits fondamentaux de tous les animaux.

«Moi, je suis un conséquentialiste. Ce qui compte, c’est la conséquence. Alors j’applaudis tous les végans, peu importe ce qui les a amenés au véganisme», affirme-t-il.

«Autres animaux non-humains»

Lorsqu’on connaît les principes de base de l’idéologie, on comprend mieux pourquoi les antispécistes utilisent l’expression «autres animaux non-humains» pour parler des chats, des poissons et des cochons, par exemple.

Sur le plan biologique, l’humain est un animal. Or, si on croit que l’espèce humaine n’a pas une valeur morale supérieure aux autres espèces, il peut sembler réducteur de différencier «les humains» et «les animaux».

Mais si l’être humain est un animal biologiquement programmé pour manger de la viande, peut-on lui en tenir rigueur?

«Je mettrais un point d’interrogation sur le mot “programmé”», s’objecte Carl Saucier-Bouffard.

«Si on était vraiment tous programmés pour faire des choix d’avance, génétiquement ou biologiquement, il n’y aurait pas de valeur ou d’intérêt à étudier l’éthique. On pourrait dire: “on ne peut pas juger tel individu, c’était dans ses gènes de violer des femmes”», illustre M. Saucier-Bouffard.

Des militants de l'association L214 organisent une manifestation contre la consommation de viande à Toulouse, en France, le 16 octobre 2019.
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Des militants de l'association L214 organisent une manifestation contre la consommation de viande à Toulouse, en France, le 16 octobre 2019.

Ce raisonnement explique aussi, en partie, pourquoi les antispécistes ne tiennent pas rigueur aux prédateurs qui tuent une proie, par exemple. «Lorsqu’un ours mange un saumon, c’est le cycle de la vie. L’ours n’est pas un oppresseur. Ce n’est pas du spécisme», avance la porte-parole de DxE Montréal. Pourquoi pas?

«Il faut regarder ce qu’on fait en justice humaine et faire la même chose quand vient le temps de traiter les autres animaux», clarifie Mme Giroux. «Quand on regarde la justice humaine, tout le monde a des droits fondamentaux. Mais ce n’est pas tout le monde qui ont des devoirs moraux envers les autres.»

«Les bébés, par exemple, ne peuvent pas être poursuivis en justice même s’ils tuent quelqu’un, parce qu’ils ne sont pas considérés comme étant responsables de leurs actes», illustre-t-elle. C’est d’ailleurs le principe qui justifie les verdicts de non-responsabilité criminelle dans notre système de justice.

«C’est un peu comme ça qu’est considéré le prédateur dans la nature. L’ours n’étant pas un agent moral, rien ne l’empêche d’avoir des droits mais on ne peut pas lui imposer une obligation morale, parce qu’il n’est pas en mesure de comprendre», explique la philosophe.

Le «mensonge» de l’élevage éthique

Lorsque des militants antispécistes ont vandalisé des restaurants montréalais pour protester contre un projet coopératif d’abattoir artisanal, plusieurs les ont accusés de s’attaquer à la mauvaise cible.

«Oui, nous avons du sang sur les mains. Celui d’animaux qui ont eu une vie heureuse, entourés de nature et d’humains fondamentalement bons», ont résumé sur Facebook les propriétaires du restaurant Manitoba. «Nous réfléchirons à votre critique, nous évoluerons, mais nous aimerions voir votre énergie militante se déployer auprès des mégaproducteurs déconnectés plutôt que chez des restaurateurs somme toute, assez gentils.»

Le groupe Direct Action Everywhere n’a pas revendiqué ces coups d’éclats dans trois restaurants. Mais selon Jade, ce genre de critiques ne tient pas la route.

«Bien faire quelque chose de mal, c’est impossible», soutient-elle. Qu’on parle d’élevage éthique, de poules en liberté, d’élevage bio, on est toujours dans un contexte d’oppression. On fait juste se complaire dans le mensonge.»

«On est en 2020. Pourquoi on est encore en train de tuer des animaux?» martèle-t-elle.

«Consommer des produits d’origine animale, c’est un choix qu’on fait», renchérit Carl Saucier-Bouffard. «Et à Montréal, le choix de ne pas le faire est de plus en plus facile parce qu’il y a un nombre de restos végans, de livres de recettes végans et d’ingrédients végans croissant.»

«Je suis très confiant que n’importe qui qui prend la peine d’accomplir des recherches approfondies sur la question va aboutir à des conclusions très similaires aux miennes», conclut-il.

À VOIR: Un groupe antispéciste dénonce les conditions de vie des poules pondeuses (attention, ces images peuvent choquer)

À l’heure des réseaux sociaux et de l’information en continu, on n’a pas le temps de tout lire. Dans sa rubrique La question à 1000 $, le HuffPost Québec revient sur une question qui fait jaser et vous aide à la décortiquer dans moins de temps qu’il n’en faut pour boire une tasse de café!

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