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Une anthropologie marxienne de l'islam: comment la déviance devient une culture

À partir des récents attentats, il s'agit de penser la catégorie de nouveau lumpenprolétariat. Marx définissait le lumpenprolétariat comme une catégorie de la population socialement amorphe et stérile politiquement, ne possédant pas de conscience politique.
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Pour appréhender la question de la radicalisation idéologique et le problème de l'instrumentalisation religieuse, nous avons choisi de la penser dans le cadre d'une réflexion sur la notion de radicalisation idéologique. À partir des récents attentats, il s'agit de penser la catégorie de nouveau lumpenprolétariat. En son temps, Marx définissait le lumpenprolétariat comme une catégorie de la population socialement amorphe et stérile politiquement, ne possédant pas de conscience politique, cette catégorie sociale était perçue comme un élément contre-révolutionnaire. Une forme de catégorie grise, agrégat de petits bandits, de voleurs et d'escrocs en tout genre, les "bas-fonds" de la politique en somme qui, de par leur faible conscience politique, pouvaient aisément être utilisés à des fins perverses par les dominants. Le lumpenprolétariat se trouve dans les zones grises de la société, avec une culture de la marge, il est l'outil de toutes les idéologies réactionnaires, de tout pouvoir obscurantiste. Partant de là, on peut assimiler ces terroristes comme une nouvelle forme de lumpenprolétariat. Ils s'inscrivent pleinement dans un rapport périphérique vis-à-vis du centre ; par centre, il faut entendre la société de manière générale. Le centre, c'est la société. Et ces radicaux salafistes sont précisément à la périphérie, à la marge.

Or, le tour de force conceptuel de ce groupe social, en tant que dominé, est précisément de renverser cette logique : centre/périphérie. L'idéologie du salafisme radical a ceci de particulier qu'elle se pense au centre tout en retranchant les Autres à la périphérie. Ils se perçoivent comme les éléments d'une continuité empathique, spirituelle et politique avec la Syrie, l'Irak, la Palestine. Et c'est précisément cette inversion des ordres qui donne tout l'allant de cette idéologie. Ils se pensent au centre, tout en étant à la périphérie, et c'est justement par cette même périphérie, en tant que périphérie, qu'ils peuvent faire ce qu'ils font. Ils utilisent la périphérie comme rampe de lancement de leurs idéaux et de la diffusion d'une forme de pouvoir symbolique. « Les musulmans d'Europe » comme entité métaphysique, et plus particulièrement ceux de France, sont donc directement visés en tant qu'objet de pouvoir par le radicalisme identitaire.

En somme, il importe peu à ces gens, comme peuvent erronément le penser certains d' « islamiser » la France ou l'Europe. Leur seule volonté au contraire, est bel et bien de se maintenir dans une périphérie pensée comme un centre. Plus la distinction entre les « musulmans » et les « non-musulmans » se fera persistante, mieux se porteront les radicaux s'auto représentant comme "les élus de la « voie-droite »". En ce sens, il s'agit là d'une véritable logique identitaire, à la manière de l'extrême droite, dans laquelle la perspective d'une ré-émigration vers les terres d'un islam légitime en premier lieu (exemple : Irak/Syrie), ou d'un islam historique (pays du Maghreb ou du Moyen-Orient), dans un second temps, devient structurante. Le but étant de rapatrier symboliquement les musulmans de France (et d'Europe) dans l'Oumma (communauté des musulmans). Le terme de « Jihad » qu'ils utilisent, est mutilée, son usage est manipulé idéologiquement : son premier niveau qui est l'effort intérieur, est effacé pour maintenir un second, qui celui de la guerre défensive, celui-ci est instrumentalisé et devient l'usage extensif que les radicaux utilisent dans leurs projets de terreur guerrière. Il s'agit pour eux d'accroitre l'idée de deux « peuples », nationaux musulmans et nationaux non-musulmans, avec une vision victimiste. Il s'agit pour eux de reproduire les délimitations théologiques du Moyen-Âge, fondées sur la distinction entre : dar-al-islam (Maison de l'islam), dar-al-harb (Maison de la guerre) et dar-al-kufr (Maison de la mécréance). L'Occident et la France en particulier devient pour eux dès lors, à la fois un dar-al-kufr et un dar-al-harb.

Les mécanismes du discours idéologique salafiste radical :

Le salafisme en tant qu'idéologie provient notamment des courants littéralistes et fondamentalistes de l'islam wahhabite notamment d'Arabie Saoudite. Ce courant est lui-même une nébuleuse où se déclinent diverses sous-courants, les piétistes, les militants, etc. Les terroristes se réclament d'un sous-courant du salafisme, de type idéologique et politique. Si l'on reprend la généalogie rhétorique du discours radical, on s'aperçoit en premier lieu d'un travail de fond exercé sur les « valeurs » par un processus de dés-historicisation de l'histoire de l'islam. Toute dés-historicisation présuppose dès lors, la sécrétion de mythe et du sacré, en ce sens, du pur et de l'impur, du profane et du sacré, de l'originel et de l'innovation. Cette dés-historisation fonde dès lors, son rapport au temps sur le mode d'un néo éternel-retour. L'histoire se répète. L'évènement contemporain n'est pas autre chose qu'une microradiographie du Temps sacré fondateur et originel qui fonde, cristallise les autres modes d'être à venir. On recherche donc dans un passé métahistorique, la compréhension du temps présent. Ce passé transcendant est censé donner la norme et la voie de l'être et du devoir-être.

En ce sens, pour ces salafistes radicaux français, la période que nous vivons est celle de la période mecquoise : le but étant de basculer de cette période de minorité, de faiblesse, de martyrologie, vers la période médinoise synonyme de puissance guerrière et politique. Ainsi, la répression subjectivement ressentie par ces islamistes français est perçue comme une épreuve de Dieu censée leur faire revivre les épreuves des pieux-anciens : le rejet du voile, de la barbe, l'exclusion sociale, l'exclusion à l'emploi, les lois de 2004 ou autres sont tout autant de facteurs traduits comme étant des éléments objectifs d'un rejet fondé sur un rapport au sacré. Cette conception non seulement coupe le monde en deux : entre « les musulmans » qui seraient donc bons par essence, et les « non-musulmans ». Cette mise en frontière se double d'une seconde délimitation de la part des radicaux entre d'une part, « musulmans rigoristes » considérés comme les « vrais musulmans », et les « musulmans non pratiquants », accusés d' être « déviants », « occidentalisés », « laïcs » et « mécréants ». Le résultat est net, plus de 90 % des victimes des attentats des radicaux fondamentalistes dans le monde sont musulmans. Ainsi la lecture radicale d'un corpus interprété de manière littéraliste vise à établir un programme d'action messianique dans lequel les terroristes se situent comme une « avant-garde élue de Dieu », qui se doit de détruire tout « État impie », ainsi que de rompre tout lien avec ledit État dont le militant islamiste n'a absolument rien à attendre en sa qualité de « taghout » .

Il faut également prendre en compte que cette lecture n'est pas faite par des intellectuels au vrai sens de ce mot, mais par ce que Gramsci appelle des intellectuels prolétaroides, des clercs-déclassés ou des semi-clercs. Cette rencontre entre ces activistes et ces clercs-déclassés leur permet de déterminer plusieurs nouveaux espaces d'investissements idéologiques et physiques. Ils produisent dès lors une contre-orthodoxie, qu'elle soit strictement théologique ou politico-sociale. Ils déterminent une orthodoxie nouvelle, une doxa de la défiance contre l'orthodoxie traditionnelle.

Ainsi, pour reprendre Becker, la doxa de la défiance devient vis-à-vis de la norme une nouvelle orthodoxie légitime.

L'espace social dans lequel ils se meuvent, en tant qu'espace social "vide", ce dernier leur offre un champ d'action et d'expression assez large permettant ainsi un changement de comportement plus aisé, d'où le basculement dans l'action par des prêches, ou plutôt des contres-prêches, productions et traductions de vidéos, ou traductions d'écrits de ces mêmes leaders radicaux, petits écrits sous format PDF etc., et/ou, passage à l'action parfois violente. Tout ce registre-là est possible parce que la marge, en tant qu'espace social, le permet.

Tous ces éléments permettent en quelque sorte de construire une contre-société permettant de réifier la réalité et réaliser le rêve aristocratique du paria. Le paria se fait aristocrate par une relecture du Texte, une essentialisation de la tradition, il change la géographie traditionnelle des rapports de force symbolique, voit dans le modèle mythologique moyen-oriental, un idéal à atteindre et à réaliser et se pense lui-même, comme une sorte de soldat d'avant-garde de cette Oumma du jihad, au cœur même de la « bête » occidentale. Elle engendre une forme d'affirmation de soi, de volonté de puissance, de reconquête d'une dignité perdue : Le paria passe donc du statut de paria social, à l'élu de Dieu et par la même, le sauveur de l'humanité.

Ici, ce lumpenprolétariat bénéficie d'une sous-traitance politique particulièrement efficace à même de re-politiser ces parias. Dès lors, déplorer le sort des musulmans dans le monde, de la Palestine, de la Syrie, de l'Irak, sous le mode de la victimisation et de la culpabilité devient une formule rhétorique privilégiée de ce registre pré-politique. De même, l'inculcation d'un « contre-savoir » à même d'analyser correctement le réel, devient un élément fondamental. Ans l'optique de ces salafistes radicaux, il s'agit de poser une sorte d'internationale du radicalisme, ou les sources islamiques sont militarisés par la médiation d'une interprétation idéologique du coran, d'où la finalité d'inculquer une grille de lecture textualiste ; le savoir islamique à l'aune des sources scripturaires légitimes permettant ou limitant le risque de déviances éventuelles.

Ainsi, la construction des ces valeurs de fermeture et d'exclusion permettent de légitimer son comportement vis-à-vis de cet espace de la marge.

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Avril 2018

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