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Pub sur Internet: 5 raisons de ne pas être rassuré

On nous a conditionnés pour accepter les atteintes à la vie privée comme le prix à payer pour utiliser Internet. Ces atteintes impliquent généralement que notre moteur de recherche nous envoie des pubs plus «ciblées» dont on croit qu'elles ne sont pas vraiment dangereuses. Après tout, ce ne sont «que» des pubs et elles sont «anonymes».
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AFP

On nous a conditionné pour accepter que la vie privée n'existe plus.

On nous a conditionnés pour accepter les atteintes à la vie privée comme le prix à payer pour utiliser Internet. Ces atteintes impliquent généralement que notre moteur de recherche nous envoie des pubs plus "ciblées" dont on sous-estime la dangerosité. Après tout, ce ne sont "que" des pubs et elles sont "anonymes".

L'idée qu'un tel ciblage n'est pas dangereux repose sur cinq suppositions fallacieuses.

  • Plus les pubs sont ciblées, mieux c'est pour nous.
  • Les pubs sont "anonymes".
  • La publicité ne peut pas faire de mal.
  • S'inquiéter de la vie privée ne vaut que pour les "mauvaises" gens ; les "honnêtes" gens n'ont pas besoin d'intimité.
  • Les pubs ne nous coûtent rien et permettent aux entreprises "de qualité" comme Google de nous proposer des services "gratuits".

1. Non ! Des pubs mieux ciblées ne sont pas meilleures pour nous.

Il existe une science de l'évaluation des prix, du travail récompensé par un prix Nobel d'économie, qui travaille précisément sur le lien entre informations et prix. Grâce aux modèles les plus précis d'évaluation des prix, les vendeurs savent exactement combien chaque acheteur est prêt à dépenser, ce qui leur permet de proposer ce prix. C'est bien sûr très bénéfique pour les vendeurs, puisque l'acheteur paye alors le maximum de ce qu'il aurait dépensé.

Imaginons que vous ayez absolument besoin de vous rendre à Chicago pour une urgence familiale. Juste avant de booker, vous envoyez quelques sms et vous recevez quelques mails, tous évoquant l'urgente nécessité de ce voyage. De mon côté, je m'ennuie et mon meilleur ami aussi. Je lui envoie plusieurs sms, je reçois plusieurs mails, et nous envisageons d'aller dîner près de chez lui, à Chicago. Vous et moi commençons alors à recevoir des pubs pour des vols et des hôtels à Chicago, vous pour votre urgence, moi pour mon coup de tête. Lequel d'entre nous va obtenir les meilleurs tarifs ?

Des publicités plus ciblées bénéficient au vendeur, pas au consommateur. C'est pourquoi Google dépense des dizaines de milliards par an pour envoyer des annonces ciblées, et que des magazines et des journaux sont au bord de la faillite en vendant des publicités de façon traditionnelle. Les pubs ciblées permettent aux entreprises de faire le tri des consommateurs les plus rentables pour elles. Avec de meilleures informations, elles peuvent faire payer d'avantages certains consommateurs plus "désirables". C'est pourquoi certaines pubs Google ont un coût par clic bien supérieur à d'autres.

Une publicité ciblée n'est pas meilleure pour vous. Google gagne des milliards, et des entreprises les payent des milliards pour vos clics, et elles le font parce que le résultat immédiat de cette stratégie est vous les payez vous-même des milliards de plus.

2. Non ! Des publicités anonymes et inoffensives ne sont ni anonymes ni inoffensives pour nous.

Utilisons maintenant un exemple moins anodin et plus flippant. Imaginons qu'un consommateur est revenu d'un enterrement de vie de garçon bien arrosé, s'étant déroulé à New York, et qu'il ne se rappelle plus vraiment de la soirée. Il se soupçonne d'avoir eu des rapports non protégés avec une ou plusieurs personnes, dont il pense qu'elles étaient des professionnelles rémunérées. Il a peur. Il cherche sur Google l'incidence des porteurs du HIV/Sida parmi les prostituées professionnelles de New York et se retrouve encore plus effrayé.

Il vérifie alors le temps de latence entre un rapport sexuel non protégé et l'apparition des anticorps visible lors d'un test du HIV. Il réalise alors que son test apparaîtra comme négatif même si le test HIV est obligatoire pour sa compagnie d'assurance. Les anticorps ne pourront pas être détectés si vite après une exposition au virus. Il fait un peu plus de recherche pour établir qu'il ne sera pas coupable de fraude à l'assurance s'il nie avoir été exposé au virus HIV ; après tout, il n'est pas certain d'avoir été exposé.

Peu de temps après, il reçoit une pub pour une police d'assurance pour des personnes lui ressemblant, avec le même genre de vie, dans un groupe d'âge approprié, célibataires et non fumeurs. Le taux proposé pour cette assurance semble excellent. Devrait-il cliquer sur la pub ?

Vous savez comment les pubs ciblées anonymes fonctionnent, n'est-ce pas ?

Avant qu'il ne clique, seul le moteur de recherche du vendeur qui propose cette publicité sait qui il est.

Au départ, la compagnie d'assurance sait seulement que leur pub spécifique a été envoyée à un groupe d'hommes inquiets de leur exposition possible au VIH/sida, et pressés d'acheter une assurance avant d'être éventuellement testés positif à l'exposition au VIH. Toutefois, une fois que l'homme a cliqué sur cette pub spécifique, et qu'il arrive sur le site internet de la compagnie, celle-ci sait tout ce qu'elle a besoin de savoir sur lui. La compagnie d'assurance a acheté le droit de cibler des pubs à un groupe d'individus, bien évidemment de façon anonyme. Mais cette compagnie a acheté le droit d'envoyer cette publicité à un groupe d'hommes célibataires qui ont cherché l'incidence du HIV parmi les prostituées professionnelles de New York, le temps de latence exact du HIV avant d'être testé positif, et ce qu'un postulant doit légalement divulguer aux compagnies d'assurances à propos d'une exposition possible au HIV/Sida lorsqu'il soumet son dossier. La compagnie a alors les informations dont elle a besoin pour une discrimination tarifaire très précise !

Est-ce qu'il voudrait que la compagnie d'assurance sache tout sur lui avant qu'elle ne lui propose un tarif ? Quel tarif pensez-vous qu'elle lui offrira si elle se base sur ses recherches sur Internet ? Est-ce qu'elle va alors exiger ses informations d'identité réelles et tout simplement le black-lister ?

Vous pourriez rétorquer que son attitude n'était pas éthique et qu'il essayait d'arnaquer la compagnie d'assurance et vous auriez probablement raison. Mais vous ne pouvez pas soutenir que cliquer sur la publicité est sûr parce qu'il a "simplement" cliqué sur une publicité ou qu'il est en sécurité parce que les publicités sont proposées de façon anonyme.

3. Non ! Les publicités ne sont pas gratuites pour nous.

Bien sûr qu'elles ne le sont pas. Google fait payer des dizaines de milliards de dollars pour les publicités et pour fournir aux entreprises un accès à leurs consommateurs. En conséquence de ces publicités, les coûts des entreprises augmentent. Les prix des voyages aériens augmentent par milliards de dollars quand le prix de l'essence augmente. Le prix des voitures augmente quand le cours de l'acier ou de l'aluminium monte. Les entreprises paient les coûts des publicités Google et ces coûts plus élevés conduisent à des tarifs plus élevés pour les consommateurs.

4. Les "honnêtes gens" ont aussi besoin de vie privée !

On entend parfois que les gens qui ne font rien de mal n'ont pas besoin de vie privée. Mais tout le monde en a besoin. Quiconque a déjà laissé une grosse ardoise dans un bar, puis s'est rendu au cinéma et a payé son parking avec la même carte de crédit pourrait avoir l'air de conduire après avoir bu, même s'il est le conducteur désigné après une fête d'anniversaire. Tout le monde peut faire quelque chose qui peut être mal interprété. Tout le monde peut faire quelque chose, envoyer un sms, poster quelque chose, sans vouloir qu'une compagnie d'assurance ou un employeur éventuel le sache.

5. A qui le tour ? Où cela s'arrêtera-t-il ?

Une fois que la société et le droit ont accepté les atteintes à la vie privée d'une entreprise, il est difficile d'empêcher les autres de faire de même.

Pourquoi ne pas laisser les entreprises de téléphonie mobile Verizon, AT&T et Comcast enregistrer et exploiter tous les flux qu'ils transportent : les messages, les données, et bien sûr leurs propres enregistrements de vos historiques de sms, mails, et recherches sur Internet ? Après tout, si vous les envoyez par Internet, votre fournisseur d'accès à Internet ou votre fournisseur de services mobiles transportent les données et pourraient facilement les enregistrer et les analyser.

MasterCard et Visa veulent eux aussi rentrer dans le catalogage et la revente de données, et de revente. Et ils proposent les mêmes fausses promesses d'archivage anonyme. Il est difficile de dire qu'ils ne devraient pas avoir le droit d'exploiter l'historique de vos achats si Google peut exploiter tous les autres éléments de votre historique qu'il possède.

Quid de votre prêtre ou de votre rabbin ? Que se passerait-il si l'archidiocèse de Chicago voulait vendre des informations sur les confessions qu'il entend et envoyer des pubs à des groupes de pécheurs, anonymisés comme il se doit ?

Que se passerait-il si votre psychothérapeute proposait de vendre ses informations, permettant des publicités anonymes soient envoyées à un éventail de personnes ayant des problèmes ? et si votre médecin de famille se mettait lui aussi à vendre des informations, permettant que des pubs anonymes soient expédiées à des groupes d'individus souffrant des mêmes maladies ?

Quid des entreprises exploitant les données mails de vos enfants ? Bien sûr, cela se produit si Google est le fournisseur de mails de l'école de vos enfants, et cela peut être fait sans votre autorisation, et sans celle de vos enfants ou de leurs enseignants. Cela nécessite à peine la permission de l'administrateur des données de l'école.

Quand le Département de Sécurité intérieure veut lire un mail américain, il a besoin d'un ordre du tribunal, spécifiant exactement ce qu'il recherche et pourquoi il a besoin de le consulter. Google, lui, peut lire tout ce qu'il veut. En effet, il semblerait que le controversé Cyber Information Sharing and Protection Act ne soit pas encore passé parce qu'il empêcherait les entreprises privées comme Google de partager leurs informations avec le gouvernement fédéral ; en quoi des entreprises non réglementées comme Google seraient des lieux plus sûrs pour abriter vos informations que le gouvernement ? Connaissez-vous les limites que Google pourrait s'imposer et qu'il pourrait partager avec le gouvernement ?

L'article probablement le plus effrayant d'ignorance que j'ai lu depuis longtemps a été publié par TechCrunch, et il finissait ainsi :

"Le pire scénario possible, comme Microsoft le fait remarquer avec bonheur sur Scroogled, pourrait être celui de pubs encore plus ciblées. Quelle horreur."

En effet. L'horreur même.

Quand est-ce qu'on commence par dire non ?

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