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Spécisme et carnisme: les préjugés envers les animaux non humains

Qu'en est-il des animaux d'élevage comme les porcs, les poulets, les vaches, les bœufs, les veaux? Pas beaucoup de gens s'indignent devant la cruauté que subissent ces derniers.
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«La question n'est pas "peuvent-ils raisonner?", ni "peuvent-ils parler?", mais "peuvent-ils souffrir?"» - Jeremy Bentham (1748-1832)

À notre époque, il est généralement très mal vu de tenir des propos racistes et, a fortiori, d'adopter des comportements explicitement racistes et violents. Par exemple, dernièrement la ville de Charleston en Caroline du Sud a connu un événement tragique: un jeune homme du nom de Dylann Roof a tué 9 Afro-Américains. Le crime de Dylann est indéniablement motivé par le racisme. Le tueur a pris pour cible une église qu'il considérait être une «historic Africain-American church» (une «église historiquement africaine-américaine»). La cible visée a été choisie parce qu'elle représentait un symbole de cette communauté. Évidemment, le tueur n'obtient pas beaucoup de sympathie pour son geste: les gens (en général) ne voient aucune raison valable de haïr les autres simplement parce qu'ils ont la peau noire.

La situation est semblable pour le sexisme: les gens (en général) ne voient pas de raison valable pour traiter injustement une personne simplement parce qu'elle appartient à un sexe en particulier.

Loin de moi est d'affirmer que ces préjugés (racistes, sexistes) ne sont plus des problématiques sociales parce que «les gens en général» (pour reprendre mon expression) ne voient pas de raisons valables pour les perpétuer. Au contraire, il faut continuer de lutter contre ces préjugés parce qu'ils peuvent encore non seulement s'exprimer fortement, comme dans l'exemple probant de Charleston, mais aussi de façon plus subtile et échapper à notre conscience collective. Il faut donc toujours resté vigilant et ne pas hésiter à nous remettre en question et à observer attentivement les rapports de pouvoirs et de dominations que nous pouvons entretenir les uns avec les autres.

Spécisme et carnisme

Je fais ce détour par le racisme et le sexisme pour parler de d'autres formes de préjugés et de rapports de domination qui semblent vraisemblablement échapper à beaucoup d'entre nous: le spécisme et le carnisme.

J'utilise cette méthodologie parce que je crois qu'elle est fortement utile pour confronter l'intuition morale que partagent beaucoup d'individus et aussi pour expliciter les liens étroits qu'entretiennent ces différents types de préjugés.

Tout d'abord, qu'est-ce que le spécisme et le canisme? Le spécisme est l'attitude préjudicielle que l'on porte à un individu ou un à être ayant pour critère de discrimination l'appartenance à une espèce. Le spécisme est attribuable aux humains qui donnent une valeur plus grande à leurs intérêts simplement parce qu'il appartient à l'espèce humaine. Le philosophe Peter Singer, qui a popularisé l'expression, en parle ainsi dans L'égalité animale expliquée aux humains-es: «De même [que les racistes], les spécistes permettent aux intérêts des membres de leur propre espèce de l'emporter face à des intérêts supérieurs des membres d'autres espèces.»

En ce qui à trait au carnisme, c'est une expression qui met en évidence une forme plus particulière de spécisme. Ce néologisme fut introduit par la psychologue Mélanie Joy, pour mettre en lumière la considération arbitraire que nous octroyons aux animaux non humains: certains animaux sont de la nourriture, certains sont des animaux de compagnies, d'autres servent aux divertissements, etc. En d'autres mots, l'expression vise à montrer un préjugé particulier à l'intérieur même de l'attitude spéciste: d'une part, nous donnons automatiquement une importance arbitraire plus grande à l'espèce humaine simplement parce que nous en faisons partie (spécisme) et, d'autre part, nous donnons arbitrairement une plus grande importance à certains animaux non humains par rapport à d'autres animaux non humains (carnisme). Voici un exemple qui illustre ce qu'est le préjugé carniste par la psychologue Joy:

«Nous envoyons les membres d'une espèce à l'abattoir et chérissons les membres d'une autre espèce sans autre raison que "les choses sont ainsi faites". Nous pouvons passer de longues minutes devant un rayon de supermarché à nous demander quel dentifrice choisir et n'avons pas réfléchi un seul instant à la raison pour laquelle nous mangeons certains animaux et pas d'autres. Nous n'avons pas la moindre pensée à propos d'une pratique qui cause la mort de milliards d'animaux chaque année. Comment est-ce possible? La réponse tient en un mot: carnisme.»

Un événement récent de l'actualité est un exemple probant de carnisme: le festival de la viande de chien (et de félin) de Yulin, en Chine. Ce festival est une coutume de l'ethnie Zhuang où l'on consomme de la viande de chien et de chat. L'activité implique les pratiques suivantes:

«Pendant les jours qui précèdent les festivités, les marchands de la cité exposent leurs animaux dans des cages, souvent empilées. Les bêtes sont in fine abattues sur place, la plupart du temps à coups de bâton, devant les passants désireux d'assister à leur mise à mort. Elles sont ensuite alignées sur les étals ou suspendues à des crochets, pour être vendues entières ou en morceaux.»

Ce genre d'événement suscite beaucoup de colère pour une grande majorité de gens parce qu'il est question de chiens et de chats: des animaux domestiques. Mais qu'en est-il des animaux d'élevage comme les porcs, les poulets, les vaches, les bœufs, les veaux? Pas beaucoup de gens s'indignent devant la cruauté que subissent ces derniers! Voilà ce qu'est l'attitude carniste: une discrimination arbitraire à l'intérieur du spectre des animaux non humains.

Le projet de loi 54 du ministre Pierre Paradis est aussi un exemple de carnisme. Le projet de loi vise à changer le statut juridique des animaux de compagnies et de certains animaux sauvages. Ils passeront du statut de «biens et meubles» au statut d'«êtres vivants doués de sensibilité et capables de ressentir la douleur».

Mais qu'en est-il des animaux d'élevage? Ces animaux ne ressentent pas la douleur? On ne peut qu'être ridicule si on répond par l'affirmative à cette question...

Et le lien avec le sexisme et le racisme?

Le spécisme n'est pas plus justifiable d'un point de vue moral que le racisme et le sexisme. La raison est fort simple: l'ensemble de ces préjugés fonctionnent de la même façon.

D'une part, ils opèrent tous selon des critères de discrimination arbitraires: la race, le sexe, l'espèce; et d'autre part, ils nient l'existence des intérêts propres à chaque «catégorie d'individus». Si le fait de posséder des intérêts (comme l'intérêt de ne pas souffrir) est un critère moral légitime pour gouverner nos relations inter humaines, il n'y aucune raison rationnelle qui justifie qu'on ne doive pas appliquer ce même critère aux animaux non humains, simplement parce qu'ils ne sont pas humains. Au même titre qu'ils n'y a aucune raison rationnelle qui justifie de ne pas avoir une considération des intérêts de quelqu'un sur la base que cette personne appartient à une race (racisme) ou un sexe (sexisme) en particulier.

Récuser le spécisme (et adopter une position anti-spéciste) implique nécessairement que nous revoyons en profondeur nos relations avec les animaux. Il faut revoir les habitudes alimentaires, les divertissements, l'expérimentation scientifique, etc. Être contre le racisme et le sexisme et ne pas être anti-spéciste est une position nécessairement incohérente.

Prémisse 1) Un sujet moral possède des intérêts

Prémisse 2) La capacité de souffrir est un intérêt

Prémisse 3) Les animaux et les humains ont la capacité de souffrir

Conclusion: les animaux et les humains sont des sujets moraux.

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