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Des clés pour analyser le potentiel pétrolier d'Anticosti

Il ne faut pas écarter prématurément le potentiel pétrolier d'Anticosti strictement sur la question méthodologique. Cela va à l'encontre d'une simple analyse coûts/bénéfices qui révèle que le potentiel mérite, au minimum, d'être évalué et estimé.
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Associant sans nuances le pétrole de shale qu'on présume abondant sur Anticosti au gaz de schiste, le candidat à la chefferie du PQ Alexandre Cloutier fait fausse route. Pas sur la méthode elle-même, mais sur ses propres présomptions et sur les tenants et aboutissants des deux problématiques. Martine Ouellet, bien que visiblement réticente, tient de son côté au minimum à réaliser un BAPE sur la question. Malgré son préjugé initial défavorable, on doit applaudir Mme Ouellet d'être au moins disposée à évaluer le projet via un BAPE avant de l'écarter.

Et il ne faut pas écarter prématurément le potentiel pétrolier d'Anticosti strictement sur la question méthodologique. Cela va à l'encontre d'une simple analyse coûts/bénéfices qui révèle que le potentiel mérite, au minimum, d'être évalué et estimé.

À l'heure actuelle, quels sont les bénéfices d'exploiter le mystérieux pétrole de shale d'Anticosti? Ils sont nombreux, mais un seul mérite qu'on s'y attarde : notre déficit commercial. En 2013, le Québec importait la totalité de son essence et de son pétrole, des importations atteignant 18 milliards de dollars. Importations en très grande majorité en provenance de pays à l'éthique douteuse - Angola, Algérie, etc. Oui, c'est un argument utilisé par les promoteurs du pétrole bitumineux - l'exception qui confirme la règle, disons! S'ajoute à ce chiffre les importations de voitures et de camions légers qui, elles, atteignaient 9 milliards de dollars. Pour un déficit commercial total de 23 milliards de dollars en 2013, ces importations ont compté pour 27 milliards de dollars et donc plus que la totalité de notre déficit commercial. C'est un impératif économique et stratégique que de diminuer ce montant.

Deux attitudes sont possibles face à ce problème: réduction pure et simple de la consommation d'hydrocarbures par des mesures de transition vers des énergies renouvelables ou réduction progressive avec une transition lors de laquelle une part des hydrocarbures consommés seraient produits à l'interne si possible, tout en ne négligeant pas la nécessaire transition vers des énergies renouvelables. Les deux attitudes peuvent nous amener à bon port, vers une économie libre du pétrole. Pour les deux la réduction ne se fera pas instantanément. Une seule des deux attitudes permet en même temps un enrichissement supplémentaire des Québécois, soit celle de rester ouvert à l'utilisation du pétrole comme énergie de transition. Les mêmes conséquences, les mêmes résultats, deux méthodes différentes.

Évidemment, hors de question de ne pas s'orienter vers une réduction de notre consommation d'hydrocarbures. C'est inimaginable. C'est une attitude qui n'est pas sans rappeler celle des libéraux et des conservateurs! Malgré les divergences au Parti québécois, la motivation de protéger l'environnement est bien vivante en son sein.

Le pétrole de shale d'Anticosti et les gaz de schiste des Basses-Terres-du-Saint-Laurent n'ont en commun qu'une chose : la fracturation hydraulique. Tout le reste est bien différent. Considérant que le pétrole d'Anticosti jouit, avec raison, d'une faveur populaire bien plus grande que les gaz de schiste, il ne faut pas miner un projet qui n'est qu'au stade embryonnaire. Encore plus quand on ne détient pas toutes les informations nécessaires pour prendre une décision éclairée.

Attendons les études environnementales qui sont déjà commandées, faisons un BAPE si nécessaire et attendons d'avoir des chiffres sur les ressources réelles.

Attendre d'avoir toutes les informations avant de prendre une décision est une position pragmatique et rigoureuse, surtout considérant les investissements que le gouvernement a faits en matière de contrôle des bénéfices et d'exploration d'Anticosti.

Le gaz de schiste faisait face à de nombreux problèmes que le pétrole de shale n'a pas. Le gaz de schiste se trouve en zone habitée, résidentielle. L'exploitation se serait faite au cœur de la vallée du Saint-Laurent, la zone la plus peuplée du Québec. Les nuisances causées par une telle exploitation pouvaient causer des désagréments majeurs pour la population locale : bruits, odeurs, poussière. Des nuisances liées aux activités de fracturation elles-mêmes ainsi qu'au va-et-vient des camions que cela engendrerait. Le pétrole de shale sur Anticosti ne rencontre pas les mêmes problèmes étant en région éloignée et peu peuplée.

La fracturation hydraulique peut également causer des séismes. Les séismes sont un problème majeur en soi pour les citoyens qui occupent le territoire sur lequel ils surviennent, pouvant causer dommages aux propriétés et anxiété aux résidents. La très faible densité de population sur Anticosti réduit considérablement ce problème, sans minimiser ce que pourraient vivre les gens qui y demeurent. On ne doit pas les oublier. De plus, les séismes dans la vallée du Saint-Laurent font face à une situation inexistante sur Anticosti : la présence des argiles sensibles. En effet, les argiles sensibles se sont mises en place lorsque la mer de Champlain occupait une grande partie de la vallée du Saint-Laurent. Ces argiles n'existent pas sur Anticosti, comme il n'existe à peu près pas de dépôts de surface sur Anticosti, le roc étant affleurant sur plus de 99% de l'île.

Le plus grave problème lié aux gaz de schiste est la contamination de la nappe phréatique, qui constitue une source d'eau potable. Contamination par le gaz naturel principalement. Cette problématique demeure difficile à évaluer sur Anticosti. Le méthane, principale composante du gaz naturel, a tendance à remonter en surface. Le pétrole étant liquide, il est très peu probable qu'il réussisse à défier la gravité... et remonter en surface! Toutefois, il est encore impossible de se prononcer sur cette question comme il existe toujours une part de gaz naturel dans tout gisement de pétrole. Les eaux souterraines d'Anticosti n'ont pas la même importance humaine et stratégique que les eaux souterraines de la Vallée du Saint-Laurent. En effet, l'île d'Anticosti est, encore une fois, peu peuplée et les eaux de surface y sont abondantes comme source d'eau potable. Le risque d'une remontée de méthane dans les eaux souterraines demeure présent. L'attitude responsable demeure de se demander s'il est possible de minimiser, sinon d'éliminer ce risque environnemental, qui, on doit le dire, est moindre que pour les gaz de schiste.

Pour ce qui est de la production d'émissions fugitives de méthane, encore une fois, la quantité de gaz qu'on retrouve dans les pores du roc doit être estimée. Pour les gaz de schiste, le problème est bien évidemment beaucoup plus grand, comme le gaz constitue 100% de la ressource. N'en demeure que cette problématique existe aussi potentiellement pour le pétrole de shale et elle ne doit pas être minimisée. Les gaz générés doivent être récupérés et les émissions fugitives, éliminées. Cela demeure un enjeu technologique et les exploitants doivent arriver avec des solutions à ce problème. Il ne faut évidemment pas non plus s'obstiner à exploiter le pétrole de shale si les impacts environnementaux sont incontrôlables et démesurés. C'est pourquoi, encore une fois, nous devons prendre une décision éclairée. Attendre ne signifie pas endosser. Il s'agit tout simplement de se donner la chance de faire le débat et de laisser les Québécois choisir, de façon objective. Il existe déjà des technologies comme celle dite de « green completion » qui élimine ces émissions fugitives. Ces technologies sont couteuses et ne sont pas exigées par le législateur, mais si c'est la seule façon d'exploiter en tout respect de l'environnement, ainsi soit-il.

Il est également important de rappeler que toute exploitation des ressources pose un risque pour l'environnement, mines de niobium ou de diamant ainsi que pétrole de shale. Ces risques posent tout de même certains problèmes éthiques et environnementaux.

Malgré leur faible nombre, comment peut-on concilier la présence des résidents de l'île avec une telle exploitation? Leur appui à un éventuel projet d'exploitation est essentiel, leur concertation et leur collaboration tout autant. Toutes les parties prenantes doivent être impliquées dès le départ et leurs exigences rencontrées. L'acceptabilité sociale n'est pas en option et la communication efficace, transparente, est essentielle.

D'autres problèmes se posent. Comment peut-on s'assurer qu'il n'y a pas de contamination de la nappe phréatique et possiblement du fleuve? Comment peut-on confiner et récupérer les liquides de fracturation, diminuer leur impact potentiel et s'assurer que les impacts sur l'environnement sont minimal ou nul? Comment peut-on protéger la biodiversité de l'île et protéger les populations animales qu'on y retrouve? Comment peut-on préserver la beauté d'un rare milieu naturel, presque encore immaculé.

Ces questionnements sont tout à fait légitimes, mais ne relèvent pas strictement de la fracturation hydraulique. Nombre d'entre eux relèvent de toute exploitation des ressources. Les projets miniers, principalement les mines à ciel ouvert, font d'ailleurs face à ces mêmes problèmes, problèmes auxquels ils doivent s'assurer de répondre dans le plus grand respect de l'environnement. Une mine à ciel ouvert doit continuellement pomper l'eau souterraine qui s'y infiltre et a un impact considérable sur les ressources en eau. Certaines exigences du secteur minier sont à resserrer, il en va de même pour le possible pétrole de shale d'Anticosti. Si nous n'écartons pas tous les projets miniers sur le territoire québécois, nous devons au moins prendre le temps d'évaluer rigoureusement le potentiel pétrolier d'Anticosti lorsque les études en cours seront complétées. Le pétrole ne disparaitra pas comme par magie, nous avons le loisir de prendre notre temps et bien faire les choses.

Et malgré toutes ces différences, il faut voir Anticosti pour ce que c'est : un potentiel. Aucune politique publique rigoureuse ne peut miser sur un pactole quasi chimérique sur Anticosti. Ce débat en est un de conjectures, d'hypothèses, contrairement aux gaz de schiste, bien réels. Ce débat n'est pas un débat qui vaut la peine qu'on se désolidarise de son gouvernement. Dans ces circonstances, la déclaration d'Alexandre Cloutier amalgamant gaz de schiste et pétrole de shale est bien malheureuse. Il doit être affirmé qu'il fait, ici, fausse route.

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L'île d'Anticosti vue par le photographe Marc Lafrance

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