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Amorcer une transition de genre à l'adolescence: ça peut sauver des vies

Non, le changement de genre n'est pas devenu une mode, clament de jeunes transgenres.
Anne-Marie Miller via Getty Images

Il y a deux semaines, un reportage de Radio-Canada apprenait à une grande partie de la population le mot «détransitionneur», pour désigner ces personnes qui ont amorcé une transition de genre à l’adolescence, mais qui sont ensuite revenues vers le genre qui leur avait été attribué à la naissance, ou qui sont présentement en voie de le faire.

Ce reportage, qui a apporté une toute nouvelle lumière sur la réalité des trans, dont on parle de plus en plus, a entraîné beaucoup de questions: doit-on attendre après la puberté pour amorcer une transition de genre? Prescrit-on des bloqueurs d’hormones trop tôt? Être trans est-il devenu une mode? Et ces questions, les familles d’adolescents en transition se les font poser à répétition depuis la parution de ce reportage. «C’est l’enfer pour eux», résume Antoine Beaudoin Gentes, le coordonnateur de l’organisme Enfants transgenres Canada.

L’organisme a d’ailleurs publié une lettre en réponse à ce reportage, pour nuancer certaines choses et rassurer les parents et les jeunes trans qui sont très inquiets. Enfants transgenres Canada précise qu’il reconnaît que le phénomène des détransitionneurs existe, et qu’il se soucie du sort de ces jeunes, qui restent néanmoins une réalité très marginale: «la science nous démontre que c’est moins de 1% des cas», affirme Antoine Beaudoin Gentes, qui précise aussi que certains jeunes qui détransitionnent ne le vivent pas comme un échec.

Enfants transgenres Canada appuie une approche trans-affirmative: «Nous croyons à l’importance d’offrir aux jeunes l’ensemble des possibilités en leur expliquant de façon éclairée les différentes avenues possibles afin d’assurer un bien-être et une expression de genre authentique. Les jeunes choisissent ensuite s’iels souhaitent transitionner, que ce soit au niveau médical, social ou légal, rien n’est imposé.»

«Je serais sûrement mort»

Pour Nahuel, 17 ans, la question est d’ailleurs sans équivoque: la possibilité d’amorcer une transition au cours des derniers mois lui a sauvé la vie, littéralement. Bien que la majeure partie de sa famille ait accepté sa transition, sa mère se fait poser beaucoup de questions, depuis deux semaines.

«Elle se fait demander: ″Es-tu certaine que ton fils, c’est pas une passe?″ Avant, ils avaient totalement confiance en moi et en mon jugement… Maintenant, un doute s’est installé», dit-il, en colère.

Dès l’âge de huit ans, Nahuel savait qu’il n’était pas dans le bon corps, mais il n’avait pas les bons mots pour l’exprimer. Automutilation, pensées suicidaires... Les dernières années n’ont pas été faciles, surtout depuis la puberté. Les premières menstruations ont été un choc.

«J’ai fait une crise, je pensais que j’allais mourir. Ma mère m’avait expliqué ce que c’était, mais je ne comprenais pas pourquoi ça m’arrivait... Pour moi, c’était pour les filles, les menstruations.»

Et quand il a finalement parlé de cela à sa psychologue, l’été dernier, celle-ci l’a encouragé à attendre avant d’amorcer une transition, pour qu’il soit sûr. C’est finalement en tombant sur le site du Centre de lutte contre l’oppression des genres, qui l’a référé à Enfants transgenres Canada, qu’il a pu être pris au sérieux.

«Moi, si je n’avais pas trouvé le Centre de lutte contre l’oppression des genres, je serais sûrement mort, je vais l’avouer», tranche Nahuel.

Il suit maintenant de l’hormonothérapie et porte un «binder» (une sorte de corset pour aplatir la poitrine). Il assure qu’il va beaucoup mieux, qu’il apprend à accepter son corps.

«C’est encore difficile, mais c’est beaucoup moins excessif qu’avant. Maintenant, j’arrive à imaginer un futur. Avant, je me disais que ce serait un miracle si je me rendais à 30 ans. Maintenant, je me dis que peut-être je vais me rendre jusqu’à 60 ans, et pouvoir être un vieux pépé moche», dit-il à la blague.

Vivre tout ça pour suivre une mode? «Euh... non!» s’exclame Mathis, un jeune homme trans de 14 ans qui a demandé qu’on change son prénom.

«Je trouve ça très insultant! Je connais des gens qui ont perdu des amis et des liens avec leur famille pour cause de transphobie… Très peu de gens peuvent se permettre de faire une transition pour suivre une mode, ils ne vont juste pas être à l’aise dans leur corps. Alors si quelqu’un se demande si ça peut être le fun, je lui réponds tout de suite: non!»

Dure remise en question

Geneviève Ste-Marie et son fils Maël ont aussi trouvé les derniers jours difficiles, après la publication de ce reportage. L’adolescent de 13 ans a fait son «coming out» à l’automne dernier. Il a amorcé sa «transition sociale» en février.

Maël et Geneviève Ste-Marie
Courtoisie
Maël et Geneviève Ste-Marie

«J’avais peur d’un retour, je pensais que ça viendrait de la famille éloignée», explique sa mère. Finalement, les remises en questions sont venues du cercle rapproché de Maël, en qui il avait confiance, ce qui a fortement ébranlé l’adolescent.

«Tout d’un coup, ses meilleurs amis se mettent à le questionner: ″Es-tu sûr? Tu ne devrais pas attendre? Pourquoi tu prends des bloqueurs d’hormone?″Il n’a vraiment pas besoin de ça. S’il pouvait enterrer qui il était avant, il le ferait. Là, il est obligé de justifier son existence, ce qu’il est, qui il est... On n’écoute pas ce qu’il dit.»

Le coup a été dur, pour Maël. Au lendemain de la publication de l’article, il a reçu en rafale des courriels à ce sujet, raconte Geneviève Ste-Marie. Et après l’école, il n’a pas voulu marcher, comme d’habitude, pour aller rejoindre sa mère au travail. «J’ai trop peur de me jeter devant une voiture», a-t-il confié à sa mère.

Évidemment, comme n’importe quelle mère, Geneviève Ste-Marie a trouvé cela très dur, de recevoir ces mots. Elle s’est rappelé tout le chemin parcouru.

“Maël ne se laisse pas abattre, habituellement, c’est un guerrier. Il s’affiche avec fierté. Et tout d’un coup, c’est comme s’il rentrait dans sa coquille, retournait dans le garde-robe pour se protéger. Je ne veux pas qu’on retourne là, c’est trop pénible!”

- Geneviève Ste-Marie

Lorsque Maël a fait son «coming out», même s’il se trouvait dans une famille très ouverte sur la question, son entourage s’est demandé si cela allait être passager, se rappelle Geneviève. «On ne faisait pas trop d’efforts pour l’appeler ″Maël″, se souvient-elle. Et un moment donné, il s’est fâché. Il nous a poussés dans le derrière, il nous a dit: ″je veux être qui je suis, je veux pas remettre mon masque″. Il parle beaucoup de son masque, de tout ce que ça lui demandait, pour être quelqu’un d’autre, quand il était à l’école, surtout…»

«C’est pas juste notre enfant qui transitionne, c’est nous aussi, ajoute-t-elle. Il faut faire le chemin dans notre tête aussi, on ne peut pas continuer de penser que c’est une fille.»

C’est comme si la famille vit par intérim le parcours d’une transition, acquiesce Antoine Beaudoin Gentes. Ça peut être difficile pour un parent, mais en ces temps de remise en question, le coordonnateur d’Enfants transgenres Canada tient à rappeler que le plus important est d’appuyer son enfant, peu importe son âge.

«Des familles qui soutiennent leur enfant trans, il n’y en a pas assez, insiste-t-il. Beaucoup d’enfants se font encore rejeter, voire renier.»

«Notre but, c’est de se sentir à l’aise dans notre corps, souligne Nahuel. Et je crois que ceux qui détransitionnent, c’est la même chose pour eux. Et si jamais ça m’arrive, j’espère que je vais être heureux avec moi-même, au final.»

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