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Des allégations de harcèlement sexuel à propos du «prince du pot»

Plusieurs femmes racontent que Marc Emery, connu au Canada pour son combat pour la légalisation du pot, aurait eu des comportements déplacés.
Marc Emery serre contre lui sa femme en sortant d'une salle d'audience à Toronto, après avoir été libéré sous caution, le 10 mars 2017. Il avait plaidé coupable à des accusations de trafic de cannabis après l'ouverture d'une boutique Cannabis Culture à Montréal.
Chris Young/La Presse canadienne
Marc Emery serre contre lui sa femme en sortant d'une salle d'audience à Toronto, après avoir été libéré sous caution, le 10 mars 2017. Il avait plaidé coupable à des accusations de trafic de cannabis après l'ouverture d'une boutique Cannabis Culture à Montréal.

Toronto, quelque part au début de 2017. La boutique de cannabis est bondée.

Marc Emery, surnommé le «prince du pot canadien» - qui a purgé une peine de prison aux États-Unis pour avoir vendu des semences de marijuana à des Américains et créé une chaîne de boutiques spécialisées dans la vente de produits dérivés de la marijuana avec sa femme - n'est pas satisfait de la façon dont sont placés les vaporisateurs dans le magasin.

Il empoigne alors par le bras l'employée qui avait disposé les produits, selon les dires de cette dernière.

«Il m'a traînée devant le présentoir», a confié la jeune femme au HuffPost Canada, en demandant de ne pas publier son nom, par crainte de représailles de la part des nombreux fans de Marc Emery.

Elle avait alors 25 ans, et travaillait dans cette succursale de Cannabis Culture, au centre-ville de Toronto, depuis environ un mois.

«Il m'a crié après en me montrant ce que j'avais fait, ajoute-t-elle. J'étais humiliée. Il y avait tellement de gens autour de moi. Ça ne semblait pas le déranger qu'il y ait beaucoup de monde qui assiste à cette scène.»

«Jusqu'où ça va aller?»

Au cours de cette même journée, la jeune femme a démissionné, après des semaines de moments inconfortables avec Marc Emery, affirme-t-elle.

«Il me massait les épaules longtemps, il m'accueillait avec des becs sur les joues, et puis vraiment près de la bouche», affirme-t-elle. C'était un peu alarmant, et j'en ai pris conscience. Je me demandais: ''Jusqu'où ça va aller?''»

La jeune femme précise que son patron agissait de la sorte avec certaines des cinq à huit autres femmes qui travaillaient à la boutique.

«C'était clairement quelque chose dont beaucoup de femmes qui le côtoyaient étaient au courant», dit-elle.

Marc Emery remet un sac de marijuana à un client dans un magasin Cannabis Culture à Montréal, en décembre 2016.
Graham Hughes/La Presse canadienne
Marc Emery remet un sac de marijuana à un client dans un magasin Cannabis Culture à Montréal, en décembre 2016.

Jeudi, Marc Emery a affirmé au HuffPost Canada qu'il n'avait «jamais traîné d'employé où que ce soit. C'est une accusation ridicule.» Il a admis avoir «embrassé quelques employés, hommes et femmes», s'il sentait que cela était bienvenu.

Devyn Stackhouse, qui travaillait lui aussi à la boutique de Toronto à cette époque, affirme qu'il a été témoin de cet incident allégué par la jeune femme. Il décrit l'ambiance qui régnait au travail comme «inconfortable», particulièrement pour les femmes.

«C'était une ambiance de travail gênante, explique-t-il. Marc se donnait le droit de faire de longs câlins, de poser ses mains sur les épaules de ses employés et de les toucher sans leur permission. Personnellement, je dirais que ce n'était pas un environnement sain.»

Après que le HuffPost lui a fait parvenir des questions, Marc Emery a publié une déclaration sur Facebook, mercredi soir.

«Je suis probablement un gars qui aime toucher, concède-t-il. Mais j'aimerais croire que cela a toujours été fait de manière non sexuelle. Cela s'est toujours fait dans des lieux publics, et n'a jamais été caché de quelque manière que ce soit. Je donnais des massages uniquement à des femmes et à des hommes adultes.»

Le HuffPost Canada a parlé à sept personnes qui affirment avoir été la cible ou le témoin de commentaires et de gestes sexuels non désirés de la part de Marc Emery, entre 2005 et 2017.

Marc Emery dans une manifestation en faveur de la légalisation du cannabis à Toronto, en 2003
Kevin Frayer/La Presse canadienne
Marc Emery dans une manifestation en faveur de la légalisation du cannabis à Toronto, en 2003

La plupart des Canadiens qui savent qui est Marc Emery le connaissent sous un jour différent. Bien avant que le premier ministre Justin Trudeau ne légalise le cannabis, l'homme qui a aujourd'hui 60 ans faisait du lobbying pour faire changer les lois canadiennes, notamment celle qui interdisait la vente ou la promotion de pipes, de bongs ou d'autres items reliés à la consommation de marijuana.

Au cours de sa croisade, il a contribué à fonder le Parti marijuana canadien, en 2000, et a tenté plusieurs fois, sans succès, de devenir député à la Chambre des communes et en Colombie-Britannique.

Marc Emery vendait aussi des semences de marijuana et tout un éventail de produits reliés à sa consommation. En 2005, les autorités américaines le considéraient comme un vendeur de drogue et l'ont accusé de blanchiment d'argent et de trafic de drogue. Il a plaidé coupable à un chef d'accusation, pour lequel il a purgé une peine de prison de presque cinq ans aux États-unis, et en est ressorti plus provocateur que jamais.

Dans cette vidéo de 2014 (en anglais): Marc Emery s'adresse à la presse après avoir été libéré de prison aux États-Unis. L'article se poursuit en dessous de la vidéo.

Marc Emery était une figure populaire dans des rassemblements en faveur de la légalisation du cannabis partout au Canada, où il livrait des discours persuasifs. En 2016, sa femme de l'époque, Jodie Emery, et lui étaient propriétaires de plusieurs succursales de Cannabis Culture Vancouver, à Toronto et à Montréal, ainsi qu'en ligne.

C'est dans ces magasins que d'anciennes employées auraient été victimes de comportements inappropriés de la part de cet homme influent.

Marc Emery, avec Jodie Emery à ses côtés, lors de l'ouverture de la boutique Cannabis Culture à Montréal, en décembre 2016
Paul Chiasson/La Presse canadienne
Marc Emery, avec Jodie Emery à ses côtés, lors de l'ouverture de la boutique Cannabis Culture à Montréal, en décembre 2016

Heather Bryant a commencé à interagir avec Marc Emery en ligne en 2005, alors qu'elle avait 26 ans. Elle a ensuite visité sa boutique de Vancouver.

«Ç'a pris environ trois minutes avant qu'il ne se mette à nous parler de sexe anal, à mon amie et à moi, a raconté la jeune femme au HuffPost. Il était choquant, et donc intrigant.»

Au cours des cinq années suivantes, Heather Bryant s'est rendue à Cannabis Culture au moins une fois par semaine. Elle a travaillé pour lui pendant deux ans.

«J'étais fascinée par lui parce que je viens d'une famille très religieuse et stricte, explique-t-elle. Il était très intrigant, et il nous rendait ''high''. Nous nous sentions comme ses amis, nous avions l'impression de se battre pour une cause civile ensemble.»

«C'est un leader, il est très doué pour rallier les gens. Ce que je n'avais pas réalisé, c'est qu'il attirait autour de lui des personnes vulnérables.»

J'ai eu une vie provocante, peut-être même choquante. J'ai tiré profit de la controverse. Et j'ai offusqué certaines personnes.» Marc Emery

Selon Heather Bryant, Marc Emery invitait souvent des employées adolescentes, ainsi que des clientes, à s'asseoir sur ses genoux, entre lesquels il avait placé un bong, et leur demandait de parler de leur vie sexuelle.

Le principal intéressé a rejeté la majorité des allégations que lui a présentées le HuffPost Canada.

«La vérité, c'est que j'ai eu une vie provocante, peut-être même choquante. J'ai tiré profit de la controverse. Et j'ai offusqué certaines personnes. De nombreuses personnes», a écrit Marc Emery sur Facebook.

«J'aime à penser que j'ai pris soin de chaque employé et de chaque femme que j'ai rencontrés, tous âges confondus, d'une manière admirable. Certes, je dis des choses choquantes, mais je crois sincèrement que je n'ai jamais blessé ni agressé sexuellement personne de ma vie.»

Marc Emery ajoute qu'il a pu «lancer occasionnellement des remarques/sous-entendus/histoires choquantes qui ont pu rendre inconfortable».

Marc Emery à Vancouver, en août 2014
Ben Nelms/La Presse canadienne
Marc Emery à Vancouver, en août 2014

Heather Bryant affirme qu'en 2009, elle a commencé à parler du comportement de Marc Emery envers les jeunes femmes à ses amis et aux employés de Cannabis Culture. Puis, environ un mois avant qu'il ne soit extradé vers les États-Unis, la jeune femme affirme que son patron est revenu de l'arrière-boutique et qu'il lui a dit, devant d'autres employés et des clients, qu'il voulait avoir une relation sexuelle avec elle avant d'aller en prison.

«Jusque-là, je considérais qu'il n'était pas si pire, confie la jeune femme. J'ai réalisé à ce moment-là qu'il ne m'avait jamais considérée autrement que comme une cible, qu'il pourrait humilier.»

Selon Marc Emery, cette situation ne s'est jamais produite.

«C'est complètement absurde», a-t-il dit.

* * *

Deidre Olsen, un.e journaliste originaire de Ladner, près de Vancouver, en Colombie-Britannique, qui demande à être identifié.e avec les pronoms «il/elle» («they»), a rencontré Marc Emery il y a une dizaine d'années sur internet.

«Je venais juste de commencer à fumer du cannabis, et je voyais ça comme un grand mouvement, explique-t-il/elle. Je me disais : ''oh mon Dieu, cette personne tellement cool me parle''. Il était vraiment charmant et charismatique.»

Deidre Olsen
Courtoisie
Deidre Olsen

Le HuffPost Canada a pu constater, messages à l'appui, que Marc Emery, qui avait alors une cinquantaine d'années, et Deidre Olsen, qui avait à l'époque 17 ans, ont entretenu une correspondance régulière pendant plus de huit mois par messagerie Facebook.

«Toi, particulièrement, tu es magnifique et adorable. Passe une belle journée! Amour, Marc», écrivait-il en mai 2008.

Parfois, il signait : «Bisous, Marc xxx», «Bisous et caresses» ou «Ton prince».

Deidre Olsen affirme qu'il/elle a refusé de travailler pour Marc Emery, mais qu'il/elle l'a visité à sa boutique de Vancouver. Selon il/elle, Emery a placé un immense bong entre ses jambes, lui a demandé de s'asseoir sur ses genoux et de fumer, ce qu'il/elle a fait.

«Il avait les mains baladeuses», poursuit-il/elle. Ensuite, Emery lui aurait offert une pipe qu'il appelait «red flamming balls» et lui aurait fait une demande à double sens («smoke out of my balls»).

Leurs communications ont cessé à peu près au moment où Marc Emery a été extradé aux États-Unis, selon Deidre Olsen.

Marc Emery est accueilli par son épouse de l'époque à Windsor, en Ontario, après sa sortie de prison aux États-Unis, en août 2014.
Rebecca Cook/Reuters
Marc Emery est accueilli par son épouse de l'époque à Windsor, en Ontario, après sa sortie de prison aux États-Unis, en août 2014.

Dans sa déclaration faite sur Facebook mercredi, Emery a affirmé qu'il regrettait que Deidre Olsen ait trouvé l'expérience traumatisante.

«Je suis désolé d'avoir dépassé les limites et que l'expérience ait été déplaisante, écrit-il. C'était immature de ma part, et j'ai fait preuve de mauvais jugement, mais je n'ai ressenti que du bon et du positif de t'avoir connu à travers cette correspondance.»

Encouragé.e par le mouvement #MeToo et un récent documentaire à propos du chanteur américain R. Kelly, qui est visé par des allégations d'abus et de comportements de prédateur, Deidre Olsen a raconté ses interactions avec Emery sur Twitter.

«C'est un secret de polichinelle que c'est un sale type depuis très longtemps, et il a traumatisé des femmes qui ont gardé le silence. Il a utilisé son influence et son pouvoir pour s'en assurer» écrit-il/elle.

«Maintenant que le cannabis est légal et que nous revenons sur ce combat, les militants disent : ''Oui, il y a contribué, mais il ne fait plus partie du mouvement''», ajoute Deidre Olsen.

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