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3 agressions sexuelles sur 1 000 se soldent par une condamnation: c'est faux

Il est temps d'arrêter de dire qu'il y a une condamnation dans seulement 3 plaintes d'agression sexuelle sur 1000, car ce n'est pas vrai.
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Dans l'espace public, on entend souvent cette affirmation que je qualifie de "fait alternatif". C'est en mars 2016 que j'ai été étonnée par le titre d'un article de Mathilde Roy publié par le magazine L'Actualité dans le cadre de l'affaire Ghomeshi: 3 agressions sexuelles sur 1 000 se soldent par une condamnation. Pourquoi? Comme ces statistiques ne correspondaient pas à ce que je connaissais de notre système judiciaire, j'ai vérifié le document dans lequel l'auteure avait puisé le chiffre 633 000, soit l'Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation.

Les données de cette enquête ont été obtenues, en 2014, grâce à une entrevue téléphonique assistée par ordinateur auprès de 33 127 Canadiens (hommes et femmes) de 15 ans et plus, de toutes les provinces du Canada. J'ai vérifié, en particulier, les questions de l'enquête qui portaient sur les agressions sexuelles. Voici deux des questions posées :

  • Quelqu'un s'est-il livré à des attouchements sexuels non désirés sur vous, c'est-à-dire qu'il vous a touché, empoigné, agrippé, embrassé ou caressé contre votre gré?
  • Avez-vous été victime d'attouchements sexuels non désirés ?

Puisqu'il n'y avait eu que 33 127 répondants à l'enquête, je ressentais le besoin de savoir comment le chiffre 633 000 avait été obtenu. Je me suis adressée à Statistiques Canada qui m'a fourni les explications. Voici la réponse :

Les 33 127 répondants de l'ESG sont pondérés pour être représentatifs de l'ensemble de la population de 15 ans et plus excluant les personnes vivant en établissement, soit 29 428 440 Canadiens de 15 ans et plus. Autrement dit, un répondant représenterait en moyenne 888 Canadiens (29 428 440 / 33 127). Donc, une agression sexuelle déclarée par un répondant moyen équivaudrait, une fois pondérée, à 888 agressions sexuelles.

Le chiffre 633 000, c'est donc 1 agression déclarée par un répondant à l'enquête = 888 agressions sexuelles au Canada.

Il est très important de souligner que le 633 000 inclut tout geste non désiré (cf.: questions sur une agression sexuelle : exemple = quelqu'un vous a-t-il touché contre votre gré?) et, également, les agressions qui n'ont pas été déclarées à la police. Seulement 5% des agressions auraient été portées à l'attention des policiers.

L'enquête permet de connaître les raisons pour lesquelles des répondants, qui ont déclaré une agression sexuelle (expression incluant tout geste non désiré), n'avaient pas porté plainte à la police (23 raisons). C'est l'interviewer qui proposait les raisons : «Je vais vous lire une liste de raisons qui font que les gens peuvent choisir de ne pas contacter la police. Dites-moi lesquelles s'appliquent dans ce cas-ci.» Les répondants pouvaient donner plus d'une raison; 71% ont choisi la raison suivante : «il s'agissait d'un fait anodin et il ne valait pas la peine d'être signalé.»

Je crois qu'il n'est pas incorrect de conclure qu'une personne, qui a donné cette raison, n'avait pas été victime d'un viol. Sur 713 agressions déclarées par les 33 127 répondants (633 000 divisé par 888= 713), 506 (449 430 divisé par 888= 506), soit 71%, mettraient en cause des faits qu'ils jugeaient anodins. Je ne dis pas qu'un geste non désiré doit être toléré, mais si les répondants considéraient qu'il s'agissait de faits anodins, il n'y avait probablement pas matière à dénonciation à la police dans ces cas. Il y a un solde de 207 cas (183570 divisé par 888= 207).

Après avoir constaté ce que signifiait le nombre 633 000 de l'enquête précitée, j'ai fait un retour sur l'article pour constater que l'auteure avait utilisé le chiffre 633 000, ainsi que le chiffre 1814 qui serait le nombre de condamnations, pour conclure que «seulement 3 plaintes pour agression sexuelle sur 1000 se soldent par une condamnation».

Comment pourrait-il y avoir eu une condamnation pour des agressions qui n'ont même pas été portées à l'attention des policiers?

Comme vous le constatez sûrement maintenant, il n'y a pas eu 633 000 plaintes d'agression sexuelle portées à l'attention des policiers. Il est donc inapproprié d'utiliser ce chiffre pour le comparer avec le nombre de condamnations obtenues. Comment pourrait-il y avoir eu une condamnation pour des agressions qui n'ont même pas été portées à l'attention des policiers? Il serait également inapproprié de "supposer" qu'il y avait matière à dénonciation à la police dans 633 000 cas, d'autant plus que, dans une proportion de 71%, les répondants ont dit qu'il s'agissait de faits anodins.

Je note que l'auteure de l'article précité souligne que le taux d'acquittement, pour les accusations d'agression sexuelle, est de 9%, un taux que je n'ai pas vérifié, mais il est probablement proche de la réalité. Arrêtons de dire aux présumées victimes qu'elles seront considérées comme coupables devant la justice, car c'est faux. Ce qu'il faut dire aux présumées victimes, c'est le taux d'acquittement et, surtout, que c'est la vérité qui prime devant les cours de justice. Une accusation d'agression sexuelle, c'est sérieux et, comme toute autre accusation en vertu du Code criminel, c'est la vérité qui est recherchée par la justice pour déterminer s'il y a eu crime ou pas. Lorsqu'il y a acquittement pour une accusation d'agression sexuelle, ce n'est pas nécessairement parce que les «faits ne se sont pas passés», mais c'est parce qu'il n'y a pas eu crime. À entendre certains commentaires, je me demande si certaines personnes ne voudraient pas que l'on ajoute foi aux déclarations d'une présumée victime, parce qu'elle est une femme, et que l'on n'ajoute pas foi aux déclarations du présumé agresseur, parce qu'il est un homme : si cela était, on assisterait à un simulacre de justice. La justice ne peut être rendue sans que la présumée victime témoigne, à moins que le présumé agresseur reconnaisse sa culpabilité, évidemment. Des victimes, dont l'agresseur a été reconnu coupable, l'ont fait. Elles ont témoigné avec sincérité et elles ont obtenu justice.

Il est temps d'arrêter de dire qu'il y a une condamnation dans seulement 3 plaintes d'agression sexuelle sur 1000, car c'est faux.

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Mai 2017

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