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Agression sexuelle: on peut ne rien dire publiquement et rester une «courageuse»

Toutes les victimes d'agressions sexuelles ne peuvent payer le prix d'une dénonciation publique. Et il faut les respecter elles aussi.
Dénoncer publiquement peut être re-victimisant pour plusieurs survivantes d'agressions sexuelles.
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Dénoncer publiquement peut être re-victimisant pour plusieurs survivantes d'agressions sexuelles.

Parler publiquement d’une agression sexuelle subie est-il toujours un geste libérateur? Est-ce la seule façon de s’affirmer comme « courageuse » ?

La militante afro-américaine Tarana Burke a lancé un pavé dans la mare lors de la conférence qui s’est déroulée du 3 au 6 juin dernier, à Vancouver. Plus de 8000 participants, représentant près de 165 pays, ont assisté au plus grand rassemblement pour les droits, la santé et le bien-être des femmes et des filles au monde.

Lors d’un panel sur le pouvoir des mouvements sociaux, Tarana Burke a ainsi déclaré qu’il y avait du pouvoir dans le fait de garder le silence.

Alors que j’assistais à ce panel, j’ai été particulièrement intriguée par cette affirmation venant de la fondatrice du mouvement #MeToo, mouvement qui a été qualifié d’historique lorsqu’il est devenu viral dans plusieurs pays en octobre 2017.

Tarana Burke a fondé MeToo en 2006. Se basant sur sa propre expérience de survivante d’agression sexuelle, la militante afro-américaine cherchait à créer un réseau de solidarité et de bienveillance pour les femmes et les filles noires de sa communauté aux États-Unis ayant vécu ce type de violences.

On a fait remarquer que #MeToo avait surtout mis de l'avant la parole de femmes blanches et privilégiées.
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On a fait remarquer que #MeToo avait surtout mis de l'avant la parole de femmes blanches et privilégiées.

En 2017, dans la foulée de l’affaire Weinstein, Alyssa Milano a relancé le mot-clic sur la plateforme Twitter. L’actrice a invité toutes les victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles à dénoncer la violence vécue par deux mots: Me Too (Moi Aussi en français).

En l’espace de quelques semaines, #MeToo est devenu un mouvement qui a traversé les frontières des États-Unis et dont les échos se font encore sentir aujourd’hui, ce qui n’est pas sans rappeler #AgressionNonDénoncée (#BeenRapedNeverReported en anglais) fondé en 2014 par Sue Montgomery et Antonia Zerbisias.

Au Canada, il est évident que #MoiAussi a résonné particulièrement au Québec. On a enregistré une hausse de 61 pour cent des dénonciations d’agressions sexuelles à la police après l’apogée de #MoiAussi, le pourcentage le plus élevé de toutes les provinces selon un récent rapport de Statistiques Canada.

Plusieurs Centres d’aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel (CALACS) de la province ont observé une hausse allant jusqu’à 500 pour cent des demandes d’aide.

De nombreuses personnalités publiques influentes ont été rayées de la carte du visage médiatique québécois pour harcèlement et agressions sexuelles. #MoiAussi a aussi été qualifié d’ouragan social par l’ancienne ministre responsable de la Condition féminine du Québec, Hélène David.

Ainsi, le courage et la résilience des femmes qui ont pris la parole publiquement depuis octobre 2017 ont été salués. Des changements dans les institutions judiciaires et policières ont été réclamés. Des langues se sont déliées. La parole de milliers de survivantes s'est libérée.

L'invisibilisation des minorités

Pourtant, malgré ces avancées notables, Tarana Burke affirme qu'il y a du pouvoir dans le fait de garder le silence. En tant que travailleuse sociale et étudiante-chercheuse dont la thèse doctorale portera sur #AgressionNonDénoncée et #MoiAussi au Québec, je trouve cette affirmation importante et essentielle.

Le mouvement #MeToo a beaucoup laissé entendre qu'il faut que les femmes dénoncent les agressions sexuelles qu'elles ont vécues de manière publique que ce soit dans les médias d'information ou sur les réseaux sociaux.

“Indirectement, les femmes qui dénoncent publiquement sont vues comme étant courageuses contrairement à celles qui ne font pas ce choix.”

Au Québec, le groupe de femmes qui ont dénoncé l'homme d'affaires Gilbert Rozon se sont elles-mêmes attribuées le nom de «Courageuses».

Lors de la conférence Women Deliver, Tarana Burke a apporté un élément crucial en expliquant que le fait de dénoncer publiquement peut être re-victimisant pour plusieurs survivantes d'agressions sexuelles plutôt qu'émancipateur.

De plus, il a été dit à de nombreuses reprises de la part d'autres intervenants à cette conférence que ce ne sont pas toutes les victimes d'agressions sexuelles qui peuvent se payer le prix d'une dénonciation publique. Nombreuses sont celles ont qui soulevé la nécessité d'une analyse intersectionnelle des enjeux relatifs au dévoilement public.

Ainsi, on a fait remarquer que #MeToo avait surtout mis de l'avant la parole de femmes blanches et privilégiées. Les femmes en situation de handicap, appartenant à la communauté LGBT, autochtones ou racialisées bénéficient d'une couverture médiatique moins importante quant à leurs expériences d'agressions sexuelles.

Elles ont également un accès diminué aux services de santé et de services sociaux et au système de justice alors qu'elles sont surreprésentées parmi les victimes de ces violences en raison de multiples systèmes d'oppression qui s'entrecroisent et dont elles sont la cible.

Il y a du pouvoir dans le fait de choisir de quelle façon, à qui, et comment on dévoile une expérience traumatique aussi intime.
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Il y a du pouvoir dans le fait de choisir de quelle façon, à qui, et comment on dévoile une expérience traumatique aussi intime.

Ainsi, pour que #MeToo soit «un mouvement et non un moment», il faut lui permettre de rejoindre toutes les survivantes, plutôt qu'une fraction d'entre elles, et ce, dans le respect de leur diversité et de leurs spécificités.

Avantages et inconvénients de parler… ou pas

Ne vous méprenez pas. Tarana Burke ne dit pas qu'il ne faut jamais dénoncer la violence vécue. Elle ne condamne pas non plus celles qui décident de dénoncer publiquement. Elle avance plutôt qu'il y a du pouvoir dans le fait de choisir de quelle façon, à qui, et comment on dévoile une expérience traumatique aussi intime, et ce, dans le but de garder le contrôle sur son récit d'agression sexuelle. Ainsi, il n'est pas nécessaire pour toutes les femmes de crier sur la place publique qu'elles ont été agressées.

“Il faut honorer et respecter le choix de celles qui refusent de prendre cette avenue.”

Plusieurs femmes font le choix de parler de leur agression à des proches en qui elles ont confiance ou encore à un professionnel de la santé et des services sociaux. D'autres expriment leur expérience à travers une démarche artistique que ce soit par la photographie, l'écriture ou la peinture.

Leur courage n'est pas moindre à celui de celles qui sont allées au front dans les médias sociaux et traditionnels. Tarana Burke estime qu'il est lourd pour des victimes de se sentir presque obligées de dénoncer sur la place publique dans le but ultime de faire progresser le mouvement.

Ceci invite donc à la réflexion. Il apparaît qu'il faut bien soupeser les avantages et les inconvénients face à une dénonciation publique. Tarana Burke souhaite que nous réfléchissions aux espaces qui sont plus bienveillants que d'autres pour faire de telles révélations, et ce, sans pour autant tenir pour acquis qu'ils le soient entièrement.

Il faut saluer le courage et les sacrifices de celles qui ont permis un débat public, nécessaire et qui était dû depuis fort longtemps sur ce fléau. Or, il est également important de garder en tête qu'il y a aussi du pouvoir dans le choix de décider des paramètres de son dévoilement d'agression sexuelle et de décider sur quels termes on choisit de dénoncer.La Conversation

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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