Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Je suis une adulte, mais on me prend constamment pour une enfant de 12 ans

On pense souvent que je suis l'enfant des hommes que je fréquente et on me demande régulièrement si je suis assez vieille pour être assise dans un siège près des sorties de secours en avion.
Melanie Bell
Courtoisie/Melanie Bell
Melanie Bell

J’étais à l’aéroport, en attente de passer le scanneur corporel à la sécurité, quand la femme qui dirigeait la file m’a demandé: «Es-tu assez âgée pour passer le scanneur?»

J’ai regardé son visage et j’aurais souhaité avoir le luxe d’être surprise par sa question. J’avais 30 ans. Le scanneur corporel est obligatoire pour tout le monde à partir de 12 ans.

J’ai toujours été petite par rapport à mes pairs. Enfant, j’étais toujours l’une des plus petites de ma classe, à la traîne des autres lorsque nous faisions des tours de piste dans le gymnase. On me demandait si j’avais un ou deux ans de moins que mon âge, ce qui m’irritait, mais seulement jusqu’à un certain point. Lors des bonnes journées, je me voyais comme Cendrillon en raison de ma pointure inhabituellement petite.

Une fois que je suis devenue plus âgée, l’écart perçu a augmenté de façon spectaculaire. Mes amis prenaient du poids alors que je restais maigre. On m’a donné le surnom de «Itty-Bitty» au début du secondaire, et les gens ont commencé à m’appeler «Tiny» tout naturellement.

À ma connaissance, je n’ai pas de déficit d’hormones de croissance ni de condition sous-jacente autre que le fait d’être petite. Mais j’ai une confluence de marqueurs génétiques qui signalent la jeunesse : un visage rond, une structure osseuse légère, une poitrine peu définie et de grands yeux. Ce sont toutes des caractéristiques que je ne peux pas changer. J’ai aussi deux parents qui mesurent autour de 1,50 m. Ma mère aussi est mince et, lors de ses premières années de mariage, on la prenait souvent pour la fille de mon père.

Me faire demander mes cartes dans les commerces est devenu commun: «C’est vraiment votre âge? Êtes-vous certaine? Hahaha, tu dois te faire carter tout le temps!» J’ai suivi les conseils de mes proches - et d’étrangers - et j’ai essayé de répondre à ce genre de commentaires avec humour, mais les personnes qui posaient les questions avaient simplement l’air confuses. J’ai essayé d’améliorer ma confiance et ma posture sans grand résultat; il est difficile d’en faire plus alors que je dois lever les yeux pour parler à tout le monde, même si ma colonne vertébrale est entièrement droite.

«Tu as tellement de chance», me disent les gens qui roulent jalousement des yeux chaque fois que j’évoque le fait qu’on me demande mes cartes d’identité ou que je mentionne qu’on me prend pour une préadolescente. Je veux leur dire qu’ils changeraient d’avis si c’était eux qui avaient entendu des remarques infantilisantes pendant plus de trois décennies. Apprécieraient-ils d’être pris à plusieurs reprises pour l’enfant d’un homme à un premier rendez-vous ou de se faire demander s’ils sont assez vieux pour s’asseoir dans un siège près des sorties de secours en avion?

Alors que j’étudiais à la maîtrise, je suis allée au concert de Noël de mon frère. Il mesure plus de 1,80 m et est de cinq ans mon cadet. Ma famille a déménagé dans une nouvelle ville lorsque j’ai commencé l’université, donc ses professeurs ne me connaissaient pas. Commences-tu le secondaire l’année prochaine?», m’ont-ils demandé, quand on leur a présenté sa «petite» sœur. Des situations comme celle-là me donnent envie de demander aux gens qui insistent sur le fait qu’avoir l’air jeune est un cadeau : apprécieriez-vous que vos efforts et votre expérience soient réduits ou effacés en un seul coup d’œil? Peut-être que oui - mais j’en ai assez.

Chaque année, il est de plus en plus embarrassant de sortir en public. Mes épaules sont tendues en prévision de la prochaine remarque qu’on pourrait me faire. J’ai grandi en divisant le monde dans ma tête - les gens avec qui je suis connue et respectée, et les rencontres publiques, où les gens ne voient que mon corps et où un commentaire ou une mauvaise perception peut arriver à tout moment.

“Parfois, je me regarde dans le miroir et j’ai du mal à me prendre au sérieux ou à faire le lien entre la voix dans ma tête et la créature elfe qui me regarde.”

Pour moi, le travail relève désormais de la première catégorie. Dans les années passées, en tant que monitrice de camp ou enseignante, les difficultés de la vie publique étaient présentes dans mon travail. J’entendais souvent : «Quel âge as-tu?» ou «Es-tu une élève?» J’ai commencé à écrire des phrases indiquant mon âge chaque fois que je le pouvais. Ma position actuelle de rédactrice en chef me permet d’avoir la paix. Les gens répondent à mes courriels comme n’importe quel collègue, et je suis heureuse qu’ils ne voient pas mon visage.

J’ai commencé à fréquenter des sites qui indiquent l’âge de l’utilisateur, évitant ainsi toute mauvaise perception de moi dès le départ, et j’ai rencontré chacun de mes partenaires en ligne. L’éloquence de mon écriture m’a valu une grande partie de mon succès professionnel et en amour, mais les mots me manquent lorsqu’un étranger suppose que je suis trop jeune. Des cheveux blancs sortent de mes tempes et grisonnent mes sourcils, mais personne ne le remarque; les gens sont trop distraits par la petite taille de mon corps pour en voir les détails.

L’âge adulte est venu avec un autre élément indésirable : la honte du corps. C’est une chose que je partage avec d’autres femmes, même si je ne ressemble pas à la plupart d’entre elles. On m’a accusée d’avoir un trouble alimentaire et mes vêtements ont été sarcastiquement qualifiés de «vêtements de poupée». D’autres refusent de croire que j’entends les choses que j’entends, ou me disent que ces commentaires ne devraient pas me déranger parce que «évidemment, vous avez l’air d’avoir 12 ans».

J’ai peut-être l’air jeune, mais je suis assez âgée pour reconnaître que ces commentaires ne sont ni utiles ni constructifs. Beaucoup d’entre nous sommes culturellement conditionnés à nous sentir anxieux par rapport à notre corps. Ce n’est pas une excuse pour faire des commentaires désobligeants sur l’apparence d’autres personnes. Parfois, je me regarde dans le miroir et j’ai du mal à me prendre au sérieux ou à faire le lien entre la voix dans ma tête et la créature elfe qui me regarde.

“J’ai versé plus de larmes en lien avec cet enjeu de ma vie que je ne voudrais l’admettre.”

Du point de vue de l’accessibilité physique, ce n’est pas agréable d’évoluer dans un monde où mes choix vestimentaires sont limités à une fraction des magasins et où mes jambes pendent au-dessus du sol sur la plupart des sièges. Malgré les insécurités et les difficultés, je ne crois pas que mon corps soit intrinsèquement mauvais. Si je pouvais changer la réaction des gens, je serais plus heureuse dans ma peau. Je pense que c’est vrai pour beaucoup d’autres personnes aussi.

J’ai versé plus de larmes en lien avec cet enjeu de ma vie que je ne voudrais l’admettre. Inversement, je comprends que ma taille m’accorde certains privilèges. Je suis pratiquement immunisée contre les injures et certaines manifestations de sexisme (des commentaires comme «Quand vas-tu avoir des enfants? Ton horloge biologique doit faire tic-tac»), et je n’ai pas tendance à être sexualisée si je ne fais pas le premier pas. J’ai la chance de ne pas avoir à subir de grosses humiliations ou à m’inquiéter d’être trop grande pour avoir une place n’importe où ou pour n’importe quoi. J’ai plus de facilité à me frayer un chemin dans la foule que la plupart des gens.

Heureusement, j’ai trouvé quelques astuces pour parvenir à atténuer les perceptions erronées des inconnus. M’habiller en vêtements de travail en voyage, porter d’énormes talons compensés lorsque l’occasion le permet, avoir des articles sur mesure, des couleurs plus sombres, du rouge à lèvres audacieux et garder mes cheveux courts sont toutes des choses qui ont semblé, du moins à l’occasion, faire taire les questions.

Mais si je laisse tomber un de ces boucliers, je constate que ça recommence. Beaucoup de mes pairs peuvent s’en tirer en portant un chandail à capuchon, tandis que moi, ça me transforme en hobbit juvénile. J’aimerais pouvoir m’habiller confortablement et demeurer libre de tout jugement, mais je célèbre les petites choses, comme lorsqu’un guide d’une visite d’architecture que j’ai effectuée l’année dernière a fait référence à moi comme étant une «dame».

Depuis que j’ai quitté le Canada pour les États-Unis avant de finalement me retrouver au Royaume-Uni, les commentaires ont diminué. Les Britanniques semblent se sentir moins autorisés à commenter le corps des étrangers, ou peut-être sont-ils simplement moins préoccupés par celui-ci.

“Ironiquement, alors qu'une maladie respiratoire fait le tour du monde, je respire plus facilement.”

La pandémie de COVID-19 a également intensifié mon sentiment de paix en public. La vie sociale s’est déplacée en ligne, où personne ne surgit pour me demander mon âge, et lorsque je suis en déplacement, les personnes du service clientèle sont plus préoccupées par la sécurité que par le bavardage.

Il semble que dans un monde où n’importe qui pourrait être capable d’infecter quelqu’un d’autre, les remarques publiques sur le corps des uns et des autres ont diminué. Ironiquement, alors qu’une maladie respiratoire fait le tour du monde, je respire plus facilement. Mes préoccupations physiques se concentrent sur l’hygiène, la bonne alimentation et l’exercice - me maintenir en bonne santé comme je le peux.

Bien que le coronavirus est dévastateur, j’espère que les changements d’étiquette publique que j’ai connus se poursuivront peut-être dans le futur - que peut-être l’habitude temporaire de rester à deux mètres l’un de l’autre diminuera la tendance des gens à se juger les uns les autres en face. Nos corps traversent une période difficile en ce moment, et je vois des signes qui montrent que nous commençons à réaliser à quel point nous sommes interconnectés et à quel point nous dépendons les uns des autres pour assurer notre bien-être.

Ceux d’entre nous qui auront vécu la pandémie partageront un héritage de stress et de résilience, et l’image que nous voyons dans le miroir semble insignifiante, en comparaison à tout ça. Il faut espérer que nous pourrons tirer des leçons de cette période sans précédent et des défis qu’elle a entraînés, et que, tout en continuant à aller de l’avant et à faire face aux incertitudes qui nous attendent, nous reconnaîtrons peut-être que notre apparence a peu d’importance par rapport à ce que nous faisons et à la façon dont nous nous traitons les uns les autres.

Ce texte, initialement publié sur le HuffPost États-Unis, a été traduit de l’anglais.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.