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Quelle place pour l'actualité internationale dans notre petite bulle médiatique

Je crois que je ne choquerai personne en affirmant que la couverture de l'actualité internationale qu'offrent les médias québécois les plus en vue, lorsqu'elle n'est pas inexistante, est pour le moins insuffisante. Les changements technologiques et structurels affectant l'industrie médiatique ne sauraient toutefois expliquer à eux seuls le peu d'intérêt de nos médias pour la politique internationale et les zones de guerre.
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Je crois que je ne choquerai personne en affirmant que la couverture de l'actualité internationale qu'offrent les médias francophones les plus en vue au Québec, lorsqu'elle n'est pas inexistante, est pour le moins insuffisante.

Le XXIe siècle promet de bouleverser profondément l'équilibre des puissances sur lequel repose le fonctionnement du monde actuel, celui de la très relative pax americana.

L'unipolarité du monde post-guerre froide dans lequel nous vivons depuis l'implosion de l'URSS est en train de faire place à la multipolarité d'un monde qui, selon toute vraisemblance, fera la belle part économique aux pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ainsi qu'aux pays émergents, voire jaillissants, d'Afrique et d'Asie du Sud-Est.

En tant que membres de la civilisation occidentale, héritiers historiques de deux des plus grandes civilisations européennes, ne devrions-nous pas nous intéresser davantage aux grandes questions que ces inéluctables changements soulèvent?

À l'aube de ces changements, le réalisme politique et la notion d'équilibre des puissances en découlant peuvent-ils et/ou doivent-ils céder le pas à une approche basée sur une réelle et sincère coopération internationale? Au nom des idéaux démocratiques que nous voulons (voulions?) universels, n'avons-nous pas le devoir minimal de nous en informer?

Les défis économiques et démographiques auxquels font face l'Europe et l'Amérique du Nord bénéficient d'une médiatisation sans commune mesure avec le peu d'attention que nos médias portent aux zones les plus éprouvées sur le plan humain et - sans vouloir minimiser les impacts de la dernière crise financière - je ne parle pas de chômage, bien que cela puisse également provoquer son lot de drame humain.

Devant ce monde en pleine mutation, comment expliquer l'indifférence apparente de nos médias et par extension, la nôtre? Comment justifier notre désintérêt collectif pour ce qu'il était autrefois convenu d'appeler le «tiers-monde»?

Il est vrai que si l'on fait fi des risques que doivent prendre les journalistes qui se rendent en zone de guerre, là où la nature humaine cesse d'être un concept ontologique, et expose ses vices les plus sordides, la faiblesse de cette médiatisation peut s'expliquer, entre autres, par les contraintes budgétaires auxquelles sont confrontés les médias traditionnels à l'ère de la révolution numérique.

Les changements technologiques et structurels affectant l'industrie médiatique ne sauraient toutefois expliquer à eux seuls le peu d'intérêt de nos médias pour la politique internationale et les zones de guerre.

La tendance est propre à l'ensemble des composantes du microcosme médiatique québécois et ma critique ne vise aucun groupe de presse en particulier, mais puisque c'est ainsi que m'est venue l'idée de ce billet, permettez-moi d'attirer votre attention sur la page frontispice de l'édition du 03 août 2013 du journal Le Devoir-quotidien pourtant acclamé par «l'élite intellectuelle» de la société québécoise - qui titrait : «Aussant bête de scène».

Au moment même où le journal d'Henri Bourassa prenait la décision de mettre l'ex-chef d'Option nationale en première page de son édition du samedi, l'Égypte semblait prête à rejoindre la Syrie dans le chaos, la Tunisie était au bord de l'implosion, les négociations continuaient entre l'Autorité palestinienne et l'État d'Israël, l'Iran se préparait à assermenter un nouveau président, et j'en passe, j'en passe et j'en passe.

Sans rien enlever aux talents artistiques de l'ancien banquier de la City qui, accessoirement, a aussi fait de la politique (prodigieuse polyvalence professionnelle!), comment peut-on s'empêcher d'y voir un indice supplémentaire de notre abdication, de notre renonciation à la compréhension du monde?

Ces évènements auront des répercussions significatives, voire historiques, sur le climat politique de leur région et celui du monde au sein duquel nous vivons tous. N'y a-t-il pas là de quoi faire la Une? Quelque chose comme «Le monde arabe en plein tumulte, quel espoir pour la stabilité et la paix au Moyen-Orient?».

«Chhhuuuut!!! Y'a Aussant qui chant (sic)!!!»

Informer et s'informer: un droit et un devoir démocratiques

À première vue, au Québec, les utilisateurs des réseaux sociaux ne font pas exception à cette règle de l'indifférence. Un peu comme si elle s'était transposée naturellement des médias traditionnels aux médias sociaux. Il suffit d'un petit coup d'oeil sur Twitter pour comprendre que les férus de politique y traitent presque exclusivement d'enjeux domestiques, moi y compris.

Certains - et ils n'auront pas tort - diront que nous ne sommes pas les seuls à négliger le reste du globe et que nos voisins du Sud ne lui donnent pas beaucoup de place, surtout lorsqu'Anthony Weiner, alias Carlos Danger, les invite à faire des jeux de mots trop faciles avec son patronyme (merci New York Post).

Soit. Il en va peut-être aussi de notre nord-américanité, mais il n'en demeure pas moins que «chez nous», à moins d'être glamour ou littéralement royale, l'actualité internationale à tendance à être confinée à la barre de défilement des chaînes d'information continue et à quelques centilitres d'encre si, par miracle, le maire de Montréal n'a pas démissionné la veille.

Plus souvent qu'autrement, il faut donc s'en remettre à des médias extérieurs au Québec et/ou à des publications spécialisées pour retrouver de l'information autrement indisponible, mais tous ne le font pas et dans bien des cas, l'ignorance demeure.

La chose me semble si évidente que si la firme Influence Communication comparait la couverture médiatique accordée au passage de Danièle Brière au Centre Bell à celle dont a bénéficié l'annonce officielle d'un bilan provisoire de 100 000 morts en Syrie, je ne serais pas surpris que les données révèlent une domination outrageuse de la «nouvelle» concernant le hockeyeur dans l'espace public québécois.

La guerre civile qui sévit en Syrie dure depuis environ deux ans et déjà, les sinistres informations qui nous sont courageusement retransmises ne créaient plus un grand émoi dans notre petite bulle médiatique.

La Syrie n'est qu'un exemple parmi tant d'autres et de tous les conflits en cours, c'est sans doute l'un des plus médiatisés. Le fait est que dans notre belle province, des Ouïgours de Chine aux Darfouris du Soudan, les populations faisant les frais des crimes les plus inhumains sont largement ignorées par les médias et la population.

Parlez-en aux Casques bleus qui se relaient au Cachemire depuis 1949.

Plusieurs conflits «mériteraient» qu'on leur accorde une plus grande attention. D'autres en reçoivent juste assez pour que s'exprime ce réflexe manichéen avec lequel certains ont tendance à commenter l'actualité internationale.

Sans nuance, les uns et les autres se disent pro-palestiniens ou pro-israéliens, comme s'il leur fallait à tout prix choisir un camp dans ce conflit millénaire entre monothéismes qu'on nous présente trop souvent comme s'il n'était vieux que d'un peu plus d'un demi-siècle. Comme s'il y avait simplement des «bons» et des «méchants», chacun de leur côté, les uns en blanc, les autres en noir.

Idem pour certains conflits auxquels nos médias ne s'intéressent que le temps d'une capsule de cinq minutes aux infos du soir ou d'une rubrique de 500 mots, lorsqu'ils ne font pas simplement un copier-coller de la dernière dépêche de l'Agence France Presse ou qu'ils ne nous repassent pas le bulletin de France 2, en décalage.

Qu'on me comprenne bien, je n'ai rien contre l'AFP et France 2, mais pourquoi serions-nous incapables de produire du contenu original? N'avons-nous rien à dire sur ces sujets?

Nos universités regorgent d'analystes capables d'apporter les nuances nécessaires pour enrayer, ne serait-ce que partiellement, ledit réflexe manichéen. Il suffit de leur donner un peu de temps d'antenne ou un peu d'espace entre deux nids-de-poule et un turban.

Cela se fait, certains contributeurs plus ou moins réguliers ont d'ailleurs de remarquables talents de vulgarisateurs. Je pense notamment à Jocelyn Coulon et Loïc Tassé, mais cela ne se fait pas assez. Il faut donner plus d'espace médiatique à ces spécialistes.

Une couverture médiatique plus constante des points chauds du globe nous éviterait peut-être de voir la même frénésie manichéenne se reproduire ad nauseam sur les médias sociaux dès qu'un évènement jugé digne de notre attention est rapporté.

Le pouvoir des médias ne doit pas être surestimé, pas plus qu'il ne doit être sous-estimé, mais dans un monde marqué par l'instantanéité et l'abondance de l'information pertinente et impertinente, les médias traditionnels demeurent d'importants vecteurs d'opinion. Ils ont un travail de conscientisation à faire et ne peuvent pas négliger ainsi les grands enjeux de notre temps.

Au nom des victimes de ces barbaries innommables auxquelles l'humanité n'a pas encore su renoncer; au nom de l'universalité des valeurs de liberté et d'égalité qui nous constituent; au nom de la dignité humaine; et au nom de notre conscience historique et démocratique; ouvrons-nous sur le monde.

Prêtons-lui une oreille attentive et un regard curieux afin de le comprendre et d'exercer notre libre-pensée sur tous les sujets qui l'intéressent. Certains n'ont pas et n'auront peut-être jamais cette liberté. En leur nom, nous devons nous en prévaloir.

Il en va de notre honneur en tant que citoyen d'un État libre et démocratique.

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