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«Cloîtrée à l'hôpital»: accoucher d'un bébé prématuré pendant la pandémie

«Le premier mois et demi de ma fille, elle nous a vus avec un masque. Toutes les premières photos qu’on a, le premier corps à corps, on a un masque.»

Isabelle Roy s’est rendue à l’hôpital le 22 juillet dernier pour une échographie, alors qu’elle en était à sa 31e semaine de grossesse. Ses rendez-vous de suivi étaient plus fréquents en raison de son diabète gestationnel, mais la Gatinoise était confiante en vue de son deuxième accouchement. La naissance de son premier enfant s’était déroulée sans anicroche, et rien ne laissait présager qu’il en serait autrement cette fois-ci.

Ce jour-là, Isabelle était particulièrement enthousiaste, parce qu’après son rendez-vous, deux semaines de camping l’attendaient en compagnie de son conjoint et de son fils de trois ans.

Isabelle Roy et Flavie
Courtoisie//Isabelle Roy
Isabelle Roy et Flavie

Lors de cette échographie, il était attendu que la fille d’Isabelle bouge et que ses poumons montrent des signes d’activation.

«Ce n’était pas le cas. Il ne se passait rien», se souvient la maman. Le personnel médical lui a alors fait passer un autre examen, et encore là, rien de concluant. «Je sentais qu’il y avait de l’inquiétude qui s’emparait de tout le monde autour de moi. J’ai rencontré l’obstétricienne et elle a dit que le tracé n’était pas beau et que ce n’était pas normal qu’elle passe autant de temps sans bouger.»

En l’espace de quelques heures, tout a basculé. Pas de camping pour cette année. Tout s’est fait très vite, et sans vraiment réaliser ce qui se passait, Isabelle a appris, contre toute attente, que son accouchement allait avoir lieu ce jour-là.

«Je pense qu’on n’a pas compris ce qui se passait», admet Isabelle, quand elle repense à la suite des événements. «On est en temps de pandémie, tout le monde me parlait avec des masques et était habillé [avec des équipements de protection] de la tête aux pieds. C’était irréel.»

«Tout d’un coup, l’obstétricienne rentre avec l’équipe et dit “elle ne va vraiment pas bien, on la sort maintenant”», se souvient la maman comme si c’était hier. Le bébé n’allait pas bien, selon la médecin, mais elle n’arrivait pas à cibler pourquoi.

“J’ai fait une crise de panique dans la salle d’opération parce que j’essayais d’enlever mon masque, j’avais de la difficulté à respirer.”

Puis, branle-bas de combat, direction la salle d’opération pour une césarienne d’urgence. «C’est comme un film, on ne sait pas trop où on s’en va». Et, pandémie oblige, avec le fameux masque pendant l’accouchement.

«J’ai fait une crise de panique dans la salle d’opération parce que j’essayais d’enlever mon masque, j’avais de la difficulté à respirer. J’ai essayé de prendre des grandes respirations, le masque me rentrait dans la bouche. Je paniquais parce que je ne savais pas ce qui se passait», se souvient Isabelle.

Puis, la petite Flavie est née. Et comme elle est venue au monde à moins de 32 semaines de gestation, elle a été transférée au CHU Sainte-Justine, après avoir été stabilisée et intubée. Isabelle a pu rejoindre sa petite fille à Montréal seulement le lendemain et pendant les pénibles heures à attendre d’avoir son congé de l’hôpital de Gatineau, la maman n’avait accès qu’à des photos que lui envoyait son conjoint.

«C’est pas beau, un bébé prématuré, on ne va pas se le cacher, lance Isabelle. C’est rachitique. Elle était dans un sac de plastique, qui avait quasiment l’air d’un sac de poubelle transparent, pour garder sa chaleur. On t’avertit qu’elle va avoir l’air de ça, mais tant que tu ne l’as pas vu, tu ne comprends pas ce que c’est», affirme la maman.

“La néonatalogiste m’expliquait que si je n’avais pas eu mon rendez-vous ce mercredi matin là, la petite n’était plus là, et moi non plus.”

Les heures qui ont suivi avaient de quoi inquiéter les parents de la petite Flavie, qui pesait à peine plus de trois livres. D’ailleurs, ce n’est que plus tard qu’Isabelle a été informée des détails entourant le contexte de son accouchement.

«Quand ils l’ont sortie de mon ventre, ils se sont rendu compte qu’elle avait deux tours de cordon autour du cou. Mon liquide amniotique était plein de sang, j’étais en hémorragie interne et Flavie est née avec une hémorragie cérébrale», énumère-t-elle.

«C’était un décollement du placenta asymptomatique. La néonatalogiste m’expliquait que si je n’avais pas eu mon rendez-vous ce mercredi matin là, la petite n’était plus là, et moi non plus», souligne-t-elle avec émotion. «Quand elle est arrivée à Sainte-Justine, rien ne fonctionnait comme il faut à part son coeur. Elle était très, très amorphe.»

“Ce n’est pas une vie de famille. Ce n’est pas ce à quoi tu t’attends quand tu es enceinte.”

Heureusement, tel un miracle, l’état du bébé a changé du tout au tout en peu de temps. Alors que la veille, les médecins avaient évoqué la possibilité de devoir débrancher Flavie en raison de son état alarmant, tous les espoirs étaient désormais permis. «Elle avait repris du poil de la bête, les tests neurologiques étaient beaux, elle a été extubée après 24h. Tout a commencé à fonctionner, le foie, les reins, elle urinait, tout a comme repris.»

Comme Flavie est née près de huit semaines à l’avance, elle avait encore besoin de soins pour poursuivre son développement. Les craintes des parents ne pouvaient jamais disparaître complètement, ils s’attendaient à n’importe quel revirement de situation.

«On vivait avec une épée de Damoclès en haut de la tête. Toutes les fois que le médecin rentrait dans la chambre, c’était la crainte de ce qu’il allait nous annoncer. On se disait, “ok là c’est une bonne nouvelle, mais elle ne viendra pas seule, il va me ramener une claque dans la face un moment donné”».

Après les 11 jours à Sainte-Justine, Flavie a été ramenée à l’hôpital de Gatineau pour 25 jours. «Les deux parents, on ne pouvait pas être là en même temps pour aller voir notre fille pour respecter la distance. On se relayait pour y aller, raconte Isabelle. Ce n’est pas une vie de famille. Ce n’est pas ce à quoi tu t’attends quand tu es enceinte.»

Et comme n’entre pas qui veut dans un établissement de santé en temps de COVID-19, le fils d’Isabelle ne pouvait pas aller rendre visite à sa petite soeur durant cette aventure. «On a fait beaucoup d’appels Facetime. Merci à la technologie d’avoir sauvé mon plus vieux! Il a trois ans, il n’a aucune compréhension de la situation», se désole-t-elle.

Un séjour sous le signe de l’isolement

Une naissance prématurée représente beaucoup de stress pour les parents, COVID ou non, mais le contexte de pandémie a été un obstacle supplémentaire.

«Le premier mois et demi de ma fille, elle nous a vus avec un masque. Toutes les premières photos qu’on a, le premier corps à corps, on a un masque», affirme Isabelle, qui admet que de temps en temps, elle baissait un peu son masque en cachette pour pouvoir donner de vrais becs à sa fille.

La maman a tout fait pour éviter d’entrer en contact avec le redoutable virus, de peur de le transmettre à son bébé fragilisé. «Je suis restée pratiquement cloitrée à l’hôpital pendant les 11 jours à Sainte-Justine de peur d’attraper quelque chose. Elle était tellement fragile, une simple grippe pouvait la tuer», relate Isabelle, qui explique que les parents d’un bébé prématuré sont normalement encouragés à aller parler à d’autres qui ont vécu la même chose.

«Le premier mois et demi de ma fille, elle nous a vus avec un masque. Toutes les premières photos qu’on a, le premier corps à corps, on a un masque.»
Courtoisie/Isabelle Roy
«Le premier mois et demi de ma fille, elle nous a vus avec un masque. Toutes les premières photos qu’on a, le premier corps à corps, on a un masque.»

Avec la pandémie, elle n’avait pas l’occasion d’aller vers d’autres familles qui vivaient une épreuve semblable à la sienne dans les chambres avoisinantes. Un midi toutefois, une précieuse rencontre a été apaisante.

«J’ai été vraiment chanceuse, dans les premiers jours, un couple était en train de manger dans la salle à dîner. Je marchais tout croche parce que je venais de me faire opérer. On se reconnait entre nous, on a toutes une démarche similaire. La maman m’a dit “césarienne récente”?»

Les deux mères se sont donné rendez-vous les jours suivants pour pouvoir échanger et partager leur vécu comme maman de bébés prématurés.

Pour Isabelle, c’était extrêmement soulageant de parler à une autre femme qui pouvait comprendre sa réalité. Selon elle, un certain tabou entoure encore la prématurité, et s’ouvrir sur ce qu’elle vivait aux membres de son entourage, qui n’étaient pas passés par là, était pénible.

“On ne se le fait jamais assez dire que ce n’est pas de notre faute.”

«Les gens me félicitaient pour mon enfant, et dans ma tête, je n’avais pas le droit d’avoir ces mérites-là, parce qu’elle n’allait pas bien, elle était à l’hôpital et je n’avais pas mené ma grossesse à terme», confie la maman.

Isabelle a aussi ressenti une certaine injustice, parce qu’elle avait tout fait pour prendre soin d’elle du mieux qu’elle le pouvait tout au long de sa grossesse.

«Je connais une mère qui était enceinte en même temps que moi, elle fumait, prenait plus ou moins soin d’elle, et elle a eu un beau bébé en santé à terme. Moi, je marchais une heure et demi par jour, je faisais attention à ce que je mangeais, je suivais mon guide alimentaire et j’ai vu une nutritionniste pour m’assurer que tout était correct avec mon diabète gestationnel, et j’ai accouché à 31 semaines», compare-t-elle.

«À un moment donné, j’en ai parlé avec une médecin. Elle a fini par me dire “il n’y a rien que tu aurais pu faire qui aurait évité ça. Ce n’est pas quelque chose que tu as fait, ou que tu n’as pas fait, c’est le corps qui a réagi comme ça», raconte Isabelle, qui a été soulagée d’entendre ces mots de la bouche d’une professionnelle de la santé. «On ne se le fait jamais assez dire que ce n’est pas de notre faute.»

Quand la petite famille a enfin pu regagner son domicile, beaucoup d’adaptation a été nécessaire, et encore là, il fallait composer avec une solitude inhabituelle pour de nouveaux parents.

«On était tout content de sortir de l’hôpital et de ramener notre fille à la maison. Mais on s’entend qu’en temps normal, un enfant, c’est pratiquement un trophée. On est tellement content de montrer le fruit de ce qu’on a été capable de créer et là, on devait la montrer en photo parce qu’on ne pouvait pas la sortir», se désole Isabelle.

Malgré tout, elle est reconnaissante d’être bien entourée, alors qu’elle précise que sa famille et ses amis ont bien rempli son congélateur, à son plus grand bonheur. «C’est important, que d’une façon ou d’une autre, on se sente entourés.»

Un soutien bienveillant

À travers les hauts et les bas vécus pendant les premières semaines de vie de Flavie, Isabelle estime que le support de Préma-Québec a fait une énorme différence dans son cheminement. L’organisme s’est adapté dans le contexte de la pandémie et continue d’offrir des ressources aux parents d’enfants prématurés, notamment au téléphone et à travers des groupes de soutien en ligne. Un soutien financier peut aussi être offert à certaines familles.

Préma-Québec a reçu près de 15% plus de demandes d’aide psychologique depuis le début de la pandémie. Selon l’organisme, 4000 mères ont donné naissance à un bébé prématuré pendant la COVID-19.

De son côté, Isabelle a été soulagée de pouvoir raconter ce qu’elle vivait grâce à un groupe Facebook où des parents de bébés prématurés de tous les âges s’entraident et se donnent des conseils. Le sentiment de communauté a été un baume dans son quotidien.

Le papa de Flavie, Félix, a aussi pu bénéficier d’une précieuse écoute à travers l’épreuve. Quand sa fille était hospitalisée, il était pénible pour lui de ne pas pouvoir aller à son chevet en même temps que sa conjointe.

«Il me disait que si on pouvait y aller ensemble, il se sentirait plus adéquat comme papa, raconte Isabelle. À un moment donné, j’ai compris qu’il était en train de craquer, mais qu’il ne le faisait pas devant moi parce qu’il était mon pilier, parce que c’est lui qui nous tenait debout pour qu’on avance.» Selon elle, que Préma-Québec permette à des pères d’échanger ensemble sur ce qu’ils ont vécu est particulièrement significatif puisqu’ils vivent les différentes étapes du processus à leur manière.

«Les deux premières années de vie d’un bébé prématuré, c’est des montagnes russes, on ne sait pas ce qui nous attend. Il faut apprendre à vivre avec cette crainte-là.»
Courtoisie/Isabelle Roy
«Les deux premières années de vie d’un bébé prématuré, c’est des montagnes russes, on ne sait pas ce qui nous attend. Il faut apprendre à vivre avec cette crainte-là.»

Isabelle est d’avis que l’aide et le partage lui ont permis de composer beaucoup mieux avec cette réalité inattendue, quatre mois après l’arrivée surprise de Flavie, qui se porte très bien aujourd’hui considérant le chemin parcouru.

«Mon histoire se termine bien. Ça reste qu’à tous les rendez-vous, ils nous disent qu’on sait ne pas comment ça va se développer pour la suite. Les deux premières années de vie d’un bébé prématuré, c’est des montagnes russes, on ne sait pas ce qui nous attend. Il faut apprendre à vivre avec cette crainte-là. De là l’importance du réseau», évoque la maman.

«Quand on vit ça, on a l’impression d’être tout seul au monde. Quand on commence à en parler, à lire d’autres histoires, on réalise qu’on n’est pas en train de virer fou, c’est correct de se sentir comme on se sent.

«Tu te dis que ça va finir par passer. Tu vas finir par être capable, à un moment donné, de regarder ta fille et de juste l’aimer comme elle est sans penser à toutes les craintes que tu as déjà eues.»

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