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Accompagner ma mère jusqu’à son dernier souffle, en pandémie, est un véritable cadeau

Je ne peux imaginer la douleur que j’aurais ressentie à ne pas pouvoir lui dire que je l’aime en la prenant dans mes bras, en la cajolant comme elle l’a fait quand j’étais malade, plus petite.
Barcin via Getty Images

Depuis la mi-mars, la planète vit des moments historiquement inusités qui ont bouleversé la «normalité» de chacun. Nous avons pu voir des débats enflammés sur la pertinence des mesures sanitaires mises en place par les instances gouvernementales. De nouvelles publicités ont été produites afin de sensibiliser tout un chacun à l’importance de se protéger soi-même et tout être humain faisant partie de ce fabuleux écosystème qu’est la Terre.

Les témoignages proviennent de gens qui ont vécu l’odieux de ce virus destructeur. Ne vous méprenez pas sur mes intentions, je trouve épouvantables les conséquences sur la santé en général de ces gens qui ont eu la malchance de devoir affronter cet ennemi invisible et sournois.

Il n’y a pas que les gens infectés qui vivent les conséquences de la COVID-19. Il y a une panoplie d’humains qui doivent composer avec les dommages collatéraux de ce virus.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Dénoncer une situation? Vous pouvez envoyer votre témoignage à propositions@huffpost.com et consulter tous nos témoignages.

Il y a deux mois, mon univers a basculé du côté sombre de la force quand ma mère nous a annoncé qu’elle avait un cancer généralisé et que, par la force des choses, son sort était lancé. Nous ne savions pas à quel point elle était cataloguée, mais nous savions que son état n’allait pas s’améliorer.

Ce dont nous étions loin de nous douter, c’est que la COVID-19 avait vraiment changé la donne auprès des milieux hospitaliers. Attention, j’ai un énorme respect pour les milieux hospitaliers qui composent avec des barrières incroyables afin de servir la population; manque de personnel, manque de ressources, manque d’expertise, manque de lits et tous les autres manques qui peuvent avoir une incidence néfaste sur ce domaine.

Ce que je savais, par contre, c’est qu’à cause de tout cela, voir ma mère serait une épreuve de tous les Dieux!

Première chose qui ne m’aide pas du tout: j’habite dans la région du Grand Montréal, zone qui est plus souvent en rouge qu’autrement. Techniquement parlant, ça ne veut pas dire grand-chose pour quelqu’un qui doit restreindre les voyagements dans les autres régions, mais pour moi, c’est un basculement de mon univers complet. Je deviens comme la lépreuse que tout le monde fuit de peur d’attraper sa maladie. Je suis une personne très consciente des autres et je ne voyage pas du tout si je n’y suis pas contrainte, mais force est de constater que pour voir ma mère souffrante pour qui le temps est compté, chaque minute de plus en sa compagnie est une bénédiction.

Lors de sa première hospitalisation, elle a été envoyée en Estrie, simplement parce qu’il y a une batterie d’experts en oncologie spécialisés dans les types de cancers dont ma mère souffre.

“Personne n’avait le droit de voir ma mère qui a passé plusieurs jours seule, sans soutien, et qui a reçu son verdict fatidique de fin de vie.”

Premier revers de l’univers: aucun droit de visite à cet endroit, même pas mon père, l’homme de sa vie qui est marié depuis 46 ans avec elle. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, il a même promis, un peu maladroitement, de se rouler dans le Purel et de porter un scaphandre, si besoin est. Rien à faire, personne n’avait le droit de voir ma mère qui a passé plusieurs jours seule, sans soutien, et qui a reçu son verdict fatidique de fin de vie. En écrivant ces lignes, j’ai le cœur serré. C’est une épreuve difficile pour nous tous, le moment où ma mère a dû affronter, seule, la fatalité et nous, pauvres âmes chagrines se sentant inutiles dans les circonstances.

Une semaine et quelques jours plus tard, elle a eu son congé de l’hôpital pour revenir à la maison avec les siens. C’est là qu’a commencé les soins à domicile par mon père, qui n’a jamais travaillé dans un milieu de soin. Il devait lui administrer ses médicaments, la nettoyer et la transporter partout dans ses bras.

À la vitesse grand V, ma mère s’est mise à dépérir, elle ne supportait pas les médicaments oraux et vomissait jusqu’au moindre millilitre de liquide. En état de déshydratation totale, ma sœur et mon père ont dû la faire transporter d’urgence à l’hôpital, encore, car la dernière chose que nous voulions c’est de la voir dépérir jusqu’à la mort dans sa propre maison. De plus, les souffrances qu’elle ressentait étaient insupportables pour elle et pour ma famille.

Je vous épargnerai tous les détails puisqu’elle a dû, à trois reprises, retourner à l’hôpital dans d’atroces souffrances.

“C’est important pour moi que sa tombée de rideaux se fasse auprès des siens.”

J’ai de la chance dans toute cette histoire, car ma famille et moi avons pris la décision de la ramener à la maison et d’utiliser le programme de soin à domicile. La médecin dans le dossier est une femme incroyable qui va nous aider à cheminer à travers la fin de vie de ma mère.

C’est important pour moi que sa tombée de rideaux se fasse auprès des siens. Ma mère, c’est la personne qui a cru en moi, qui me dit chaque fois qu’elle le peut que je dois foncer dans la vie, qui m’a acheté ma première clarinette quand j’avais 14 ans et par la force des choses, a enduré que je lui écorche les oreilles en poussant mes premières notes. Cette personne qui n’en a plus pour des années, qui vit le dernier chapitre de sa vie d’être humain, cette maman qui a besoin de moi maintenant et qui bénéficiera de tout l’amour que sa famille peut lui apporter.

Je ne peux imaginer la douleur que j’aurais ressentie à ne pas pouvoir lui dire que je l’aime en la prenant dans mes bras, en la cajolant comme elle l’a fait quand j’étais malade, plus petite. Même encore, elle ne peut s’empêcher de tous nous demander de prendre soin de nous, de faire attention à ne pas prendre froid et chaque fois que je prends la route, elle me souffle: «Sois prudente ma belle fille et appelle-moi quand tu vas arriver.»

Vous savez, j’ai de la peine pour tous les gens qui ont souffert la perte d’une personne qui a attrapé cette «cochonnerie», mais j’en ai aussi pour tous ces gens qui se voient refuser l’accès à la finale de leur proche à cause de la recrudescence des cas partout au Québec.

Je vous implore tous, malgré tous les a priori que vous pouvez avoir sur la pertinence des mesures sanitaires mises en place, faites-le pour tous les humains qui souffrent en ce moment de se voir restreindre les visites à leurs proches pour des raisons sanitaires nécessaires. Soyons solidaires mes chers collègues de l’humanité, donnons le coup de grâce à ce virus pour permettre des fins de vie dignes et entourées d’amour et de nos proches.

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