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À ceux qui me demandent le sexe de mon bébé: je vous le dirai quand il le saura lui-même

Mais pourquoi le genre d’un bébé est-il si important, puisqu’on ne peut pas vraiment faire la différence à cet âge?
Les bébés peuvent-ils vraiment avoir un genre (socialement construit) en plus d’un sexe (anatomique)?
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Les bébés peuvent-ils vraiment avoir un genre (socialement construit) en plus d’un sexe (anatomique)?

«Quel petit charmeur! Il va avoir toutes les filles à ses pieds, celui-là! Oh, mais attendez…c’est un garçon ou une fille?» a demandé l’admiratrice de mon bébé, en remarquant les chaussettes roses qui dépassaient de sous sa combinaison bleue.

Je n’ai rien répondu, mais elle a insisté, alors j’ai fini par dire:

«Eh bien, c’est une fille, je suppose – à moins qu’elle ou il ne me dise le contraire plus tard.»

Le choc s’est lu sur son visage: «Oh mon dieu! a-t-elle balbutié. Je suis désolée, excusez-moi!»

Mais pourquoi le genre d’un bébé est-il si important, puisqu’on ne peut pas vraiment faire la différence à cet âge? Les bébés peuvent-ils vraiment avoir un genre (socialement construit) en plus d’un sexe (anatomique)?

Être queer dans ma sexualité et mon genre m’a obligée à remettre en question ces moments banals, qui sont en fait très importants dans le développement de nos enfants.

Je suis un parent qui veut plus que tout que son enfant se sente aimé(e) quelle que soit sa conception personnelle de son identité. Je me plais à croire que c’est aussi le cas de la plupart des autres parents. C’est pourquoi je refuse de donner une réponse tranchée à ces questions sur le genre de mon bébé de 17 mois.

Du début de la grossesse jusqu’aux mois qui suivent la naissance d’un enfant, les gens sont obsédés par son genre.
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Du début de la grossesse jusqu’aux mois qui suivent la naissance d’un enfant, les gens sont obsédés par son genre.

Quand j’étais enceinte, on me demandait souvent si je voulais une fille ou un garçon. Je répondais simplement que je voulais un enfant en bonne santé. Aujourd’hui, je hausse les épaules en souriant et je réplique: «On verra quand elle ou il me le dira.»

Du début de la grossesse jusqu’aux mois qui suivent la naissance d’un enfant, les gens sont obsédés par son genre. Ils veulent savoir comment faire référence à l’enfant, comment se comporter avec lui et le socialiser, bien avant que les différences entre les bébés de sexe masculin et de sexe féminin ne soient vraiment perceptibles. En fait, la majorité des questions que l’on me pose tournent autour de ce sujet.

Mais je ne suis pas certaine que tout cela ait une quelconque importance pour le moment.

“J’estime que les stéréotypes de genre que nous perpétuons dans notre société – garçon ou fille – sont au mieux réducteurs, au pire dangereux.”

Ce n’est pas du militantisme – je m’efforce simplement d’offrir un espace à des enfants qui ne peuvent pas se créer le leur. Le genre est une construction sociale. Je ne crois pas que les bébés puissent avoir un genre avant d’avoir une personnalité.

De mon point de vue, mon enfant est encore trop jeune pour avoir une identité bien définie, sans parler de comprendre le concept même d’identité. Alors en attendant, je veux créer pour cette petite personne un contexte favorable dans lequel elle se sente libre d’être pleinement elle-même.

Cette ouverture d’esprit sur la question du genre en perturbe certains.

Pourquoi ne pas laisser un maximum d’options et d’espace à nos enfants?
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Pourquoi ne pas laisser un maximum d’options et d’espace à nos enfants?

Moi, ce qui me perturbe, c’est que des gens estiment que la sexualité d’un enfant est une question importante plus de dix ans avant qu’il n’atteigne la puberté.

Cela me pousse à m’interroger sur l’impact que peut avoir sur l’enfant le fait d’entendre en grandissant des adultes discuter de son genre et de sa sexualité et présumer telle ou telle chose. Et je me demande pourquoi tant de gens se préoccupent d’utiliser les «bons» pronoms personnels pour désigner un bébé, mais ne font pas cet effort quand il s’agit de faire référence à une personne trans adulte.

Pourquoi ne pas laisser un maximum d’options et d’espace à nos enfants, plutôt que de leur imposer des barrières rigides qui les enferment et leur donnent le sentiment de ne pas pouvoir être aimés comme ils sont, et l’impression que quelque chose ne tourne pas rond chez eux?

“Qui que soit votre enfant, il va de toute façon développer sa propre identité. Mais selon la façon dont vous vous comportez, il se sentira plus ou moins aimé.”

J’estime que les stéréotypes de genre que nous perpétuons dans notre société – garçon ou fille – sont au mieux réducteurs, au pire dangereux. Je trouve aussi qu’il faudrait arrêter de présumer que la majorité des gens sont hétéros et cisgenres, parce qu’à mon avis, nous nous situons tous sur un spectre bien plus large que cela.

Je veux que mon enfant ait moins de choses à désapprendre que moi

Il y a matière à admirer et à s’inspirer de la façon dont les parents queer élèvent leurs enfants. Quand votre identité ou votre vécu sont marginalisés, vous vous mettez à analyser les différentes manières subtiles dont cette marginalisation s’instaure et perdure.

L’homophobie et la transphobie fonctionnent entre autres en maintenant que le status quo (blanc, hétéro, cisgenre) est ce qui est «normal», «mieux», «plus intelligent», «plus respectueux de Dieu», etc.

Résultat, ceux qui ne rentrent pas dans les cases se sentent mal à l’aise et en souffrance, sont stigmatisés, s’enfoncent parfois dans la précarité économique et l’illégalité, voient leurs enfants retirés de leur garde, font l’objet d’agressions haineuses et bien trop souvent, en meurent.

Nous autres parents queer avons le recul nécessaire pour prendre des décisions éclairées.
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Nous autres parents queer avons le recul nécessaire pour prendre des décisions éclairées.

Ainsi, de par notre vécu et nos expériences, nos identités marginalisées nous permettent de voir plus clairement ce qui mérite d’être remis en cause. La critique provoque une prise de conscience et cette prise de conscience peut, avec un peu de chance, aboutir à un changement.

Nous autres parents queer avons le recul nécessaire pour prendre des décisions éclairées, et nous choisissons de faire les choses différemment. Ce choix est souvent perçu comme une menace par la majorité parce qu’il remet en question le status quo.

“Qu’y a-t-il de si terrible à encourager nos enfants à être eux-mêmes?”

Je veux que mon enfant ait moins de choses à désapprendre que moi. Je veux que cet être sache qu’un nombre infini de possibilités s’offrent à lui et que je respecte ce qu’il est. Je veux qu’il sache que je le vois tel qu’il est et l’aime profondément, pour ce qu’il est (et non en dépit de cela).

Je veux qu’il soit capable de clamer haut et fort qui il est au lieu de passer son temps à rectifier les présomptions erronées des autres à son sujet. Actuellement, ces présomptions tournent essentiellement autour de son genre (à travers le choix des pronoms et les vêtements).

Quand les gens sont décontenancés en voyant une petite fille en bleu et un petit garçon en rose, c’est qu’ils ne reconnaissent pas la fluidité des genres, ils ne voient que deux options possibles. Et la plupart du temps, ils privilégient l’hétérosexualité.

Et pourtant, n’est-il pas plus important d’apprendre à nos enfants à s’aimer comme ils sont que de les astreindre à se conformer à des stéréotypes de genre archaïques?

Ce qui compte à mes yeux, ce n’est pas ce que mon enfant a entre les jambes, mais qu’elle ou il devienne une personne autonome, bien dans son corps et en sécurité, qui sache comment donner ou refuser son consentement et respecte celui d’autrui.

Qu’y a-t-il de si terrible à encourager nos enfants à être eux-mêmes? Il est impossible de leur «apprendre» à avoir une autre identité que la leur. Je pense que l’importance accordée au sexe des bébés cache en fait une vérité qui effraie certains parents: l’idée qu’ils ne peuvent ni contrôler ni changer ce qui est l’essence même de leurs enfants, et surtout pas en les habillant d’une certaine façon.

Ce texte, publié sur le HuffPost canadien, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.

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