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L'image de synthèse ou l'invention d'un nouveau langage

L'image de synthèse 3D a envahi ces vingt dernières années nos écrans. Ce nouveau langage est promis à un avenir qui dépasse facilement son utilisation actuelle.
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L'image de synthèse 3D a envahi ces vingt dernières années nos écrans. Si le cinéma a su lui faire une place en or aux travers des effets spéciaux et des films d'animation, ce nouveau langage est promis à un avenir qui dépasse facilement son utilisation actuelle. Cette nouvelle technologie ouvre de nouveaux champs d'exploration esthétiques, à l'image de la peinture à l'huile inventée à la fin du Moyen Âge ou de la photographie au XIXème siècle.

Lorsque vous ouvrez un logiciel de 3D, vous êtes face au vide, au néant. Seul un repère est visible au centre de l'écran symbolisant le centre du monde. Un centre du monde virtuel certes, mais un point de départ vers la création d'un nouvel univers basé sur des règles de géométrie conventionnelles qui ne demandent qu'à être déjouées.

Être un créateur 3D, c'est devenir à la fois un sculpteur, un cinéticien, un chorégraphe, un architecte, un éclairagiste, un mathématicien. Cet art est à la croisée de tous les autres, une synthèse additive de notre culture de l'image. Les images résultantes parcourent l'ensemble du spectre esthétique, de l'évocation jusqu'au réalisme le plus immersif. Face à de telles capacités sur le traitement des images, il est primordial pour le narrateur de se questionner, de devenir un expérimentateur.

Le cinéma utilise avec brio la partie spectaculaire de la 3D. Aucun spectateur, même averti, ne peut déjouer l'ensemble des effets spéciaux présents dans un film. Dans certains cas, la prise de vue réelle représente une minorité des images montées, la plus grande partie du film étant laissée dans les mains expertes des studios de postproduction.

Les films d'animation, comme les productions de Disney-Pixar, de Dreamworks, ou d'Illumination Mac Guff, offrent aux spectateurs une expérience visuelle débarrassée du trait des dessins animés, un trait d'union entre le réalisme des textures et des lumières et la stylisation des formes. Concernant la partie narrative, le cinéma en prise de vue réelle et le film d'animation sont assez proches. Le deuxième emprunte à l'autre ses codes, ses formats, sa grammaire. Le spectateur n'est pas déboussolé, il est confortablement assis face à une œuvre qu'il sait appréhender, décoder. À l'image du dessin animé, le film d'animation 3D est majoritairement tourné vers le jeune public, cible majoritaire des grands groupes marketing.

Devant un film d'animation, le spectateur est conscient d'être face à une image de synthèse où tout devient possible. Il devient donc de plus en plus difficile de le surprendre en misant sur une surenchère de la réalisation. Au cinéma, quand on lance une caméra à 200 km/h à la poursuite d'un acteur au volant d'une voiture de sport, l'audience est immergée dans l'action au premier degré. Elle s'inquiète pour le héros. Va-t-il risquer sa vie dans cette course poursuite ? Face à un personnage né de la création d'un infographiste, l'empathie n'est simplement plus la même. La mise en danger du personnage principal ne fonctionne plus autant car nous savons qu'il ne peut pas vraiment mourir. De même, le spectateur est conscient que la caméra virtuelle qui filme la scène peut exécuter, sans trop de difficultés, les mouvements les plus spectaculaires qui soient, même ceux qui repoussent les lois de la physique.

Après quelques années d'émerveillement du spectateur face à ces nouvelles images, on sent bien que les premières surprises ne sont plus là. La prochaine étape dans l'évolution de ce nouvel outil, âgé d'à peine trente ans, est de se séparer «à l'amiable» de son cousin le cinéma.

Pour appréhender toutes les facettes de la création rendue possible par l'image de synthèse, il convient de prendre un peu de distance face à l'écriture visuelle actuelle et de redécouvrir toutes les expérimentations qui ont été menées sur l'image, des grottes de Lascaux jusqu'à aujourd'hui.

Lorsque nous travaillons avec les étudiants de notre école sur la conception narrative d'un projet et sa direction artistique, il est intéressant de remarquer que les références culturelles qui apportent le plus de rendement sont généralement des références classiques. L'infographiste 3D doit avoir des bases solides en anatomie, en lumière, en composition d'image, il ou elle doit savoir analyser la décomposition d'un mouvement, etc.

Lorsque nous travaillons sur l'animation d'un personnage, ou plus globalement, sur l'animation de formes, le point de vue théâtral est le meilleur qui soit. Nous stabilisons la caméra et nous nous concentrons sur la narration du mouvement. Quand on combine un déplacement de caméra et le mouvement d'un personnage, on se rend rapidement compte que nous réduisons la lisibilité de l'image pour le spectateur. Nous revenons donc à une grammaire de la mise en scène académique, où chaque décision doit converger vers un seul et même objectif: l'homogénéité esthétique. Comme chaque élément constituant une image de synthèse doit être inventé et fabriqué, comme chaque forme demande un temps assez long pour exister, nous ne pouvons pas laisser la place à l'improvisation et à la gratuité. C'est une analyse méticuleuse qui doit être menée en amont afin de donner à chaque image toute sa force.

Une autre donnée doit également être prise en compte: le travail en équipe. À l'image des ateliers d'art de la Renaissance, l'image de synthèse fait appel à des compétences diverses qu'il est difficile de maîtriser seul à la perfection. C'est dans un travail collégial, où chaque maillon de la chaîne a une place importante dans la création et le maintien de l'homogénéité esthétique, que la solution réside. Le sculpteur (ou modeleur) est un auteur, au même titre que l'animateur, l'éclairagiste et, par extension, l'ensemble des personnes qui participent à la plastique de l'image. Comme toutes les données visuelles passent par le filtre d'un infographiste, il est nécessaire que le chef d'orchestre, le réalisateur, fédère ces talents autour d'objectifs cohérents et complémentaires. Il doit également être capable d'aller trouver la solution auprès de ses collaborateurs, trouver une vérité qui se construit à la manière d'un puzzle.

La création sonore est une pièce maîtresse dans la réalisation d'images de synthèses. Elle est un vecteur majeur dans l'immersion du spectateur. Elle donne à entendre mais également à voir. Dans un travail de réduction des informations visuelles, le son apportera les informations nécessaires au spectateur, fera sonner les matières et les textures en apportant une lecture complémentaire à celle de l'image. Comme l'animation «coûte cher» à fabriquer, l'auteur 3D doit mener une réflexion intelligente sur la place et le rôle que jouera le son. De nombreuses solutions existent pour alléger certains enjeux techniques lourds qu'impose l'image de synthèse, et c'est aussi dans les contraintes techniques et les solutions qui seront trouvées que le talent d'un auteur se révèle.

Une vraie réflexion est également à mener sur la place de la voix dans le film d'animation. Comment le spectateur perçoit-il une voix humaine, réaliste, jouée par un «véritable» acteur, greffée sur un personnage de synthèse qui s'apparente plus à une marionnette qu'à un être humain? Le débat esthétique est important et mérite une nouvelle fois de laisser place à l'expérimentation. Des références comme Jacques Tati permettent aux jeunes créateurs de se questionner sur le travail de la bande son et d'éviter un piège absolu, le rationnel. Il ne faut pas sous-estimer l'universalité du mouvement, le fait qu'un geste peut être compris et être vecteur d'émotions aux quatre coins du globe. Il ne faut pas tout miser sur la compréhension verbale car les mots viennent parfois gommer une certaine pureté dans la transmission des émotions. Nous sommes heureux quand nous voyons certains de nos films parcourir le monde, faire rire ou pleurer, sans avoir recours à la narration par les mots.

Au delà de l'utilisation que fait le cinéma de l'image de synthèse, nous voyons chaque jour naître de nouveaux terrains d'exploration: les sciences, la médecine, l'architecture, le patrimoine, le jeu vidéo, le tourisme, la médiation culturelle, le design, etc. On ne cesse d'inventer d'autres utilisations, d'autres procédés, et le marché de l'emploi qui gravite autour de la 3D se développe et se diversifie.

Les créateurs d'image de synthèse que nous formons sont aujourd'hui les pionniers de ce nouveau langage et les débouchés multiples restent encore à explorer.

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Mai 2017

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