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«14 jours 12 nuits»: le pèlerinage d’une mère adoptive

Anne Dorval tient la vedette dans ce road movie poétique et haletant à la fois, tourné au Vietnam.
Laurent Guerin

L’une est une océanographe québécoise qui ne se remet pas de la mort de sa fille adoptive; l’autre est une guide touristique vietnamienne qui s’est refait une vie après qu’on lui a arraché son bébé naissant il y 18 ans. Pendant son périple au Vietnam, la première découvrira toute la beauté de la terre natale de sa fille, à travers les yeux de la deuxième, celle qui l’a mise au monde.

14 jours 12 nuits, c’est un road movie qui raconte cette rencontre bouleversante entre Isabelle (Anne Dorval), rongée par la culpabilité, et Thuy (Leanna Chea), qui ignore tout de la réelle identité de celle qu’elle accompagne… Et c’est aussi l’histoire d’un peuple encore marqué au fer et divisé par une guerre longue et pénible.

Isabelle se rend dans le pays où elle a adopté, il y a 17 ans, sa fille Clara. Et lorsqu’elle rencontre celle qui s’était occupée de sa fille alors qu’elle était bébé, à l’orphelinat, la nourrice lui donne la possibilité de retrouver la mère biologique de la fillette, et la met au défi de le faire, pour lui apprendre la nouvelle fatidique.


C’est la scénariste Marie Vien, elle-même mère de deux filles adoptées au Vietnam, qui a imaginé cette histoire chargée. Elle et la productrice ont ensuite approché Jean-Philippe Duval (
Dédé à travers les brumes, Unité 9, Toute la vie) pour la réalisation. Un projet dans lequel celui-ci a plongé avec bonheur.

«Elle m’ont associé, avec raison, à un réalisateur sensible, émotif, qui aime travailler avec les femmes, explique le cinéaste. Ce qu’elles ne savaient pas, c’est que non seulement l’histoire m’a vraiment touché, mais en plus, ça fait 12 ans que je suis le parrain de Flavie, la fille de ma soeur, adoptée en Chine. Ça me donnait la chance de toucher à ce sujet-là, qui a quand même été toute une aventure dans notre famille.»

Le réalisateur Jean-Philippe Duval.
Yan Turcotte
Le réalisateur Jean-Philippe Duval.

Ce qui a plu à Jean-Philippe Duval à la lecture du scénario, c’est aussi que le personnage de Thuy est une orpheline de la guerre du Vietnam, ce qui apporte toute une profondeur à la trame narrative.

«J’avais envie de faire un film sur la paix, je n’avais pas envie de violence au cinéma… Moi, comme réalisateur, où j’en étais dans ma vie, je me suis dit: “Tiens, un film sur deux femmes, sur la paix possible”.»

Entre poésie et thriller

Le long métrage n’est pas construit de manière linéaire, pour essayer de déstabiliser les spectateurs, et de leur faire ressentir un peu l’état d’esprit dans lequel se retrouve le personnage d’Isabelle, qui vit un dépaysement total.

14 jours 12 nuits est magnifique, à commencer par les images pittoresques tournées au Vietnam. Et même s’il s’agit d’un film un peu contemplatif par moments («c’est un film qui est court, mais qui est long», résume avec justesse le réalisateur), il prend parfois des allures de thriller, comme le fait remarquer Anne Dorval.

Car il faut dire qu’au cours de leur voyage, une visite guidée privée d’une partie du nord du pays, pour laquelle le personnage d’Isabelle loue les services de Thuy, les deux femmes se lient d’amitié, peu à peu, au fil des cigarettes qu’elle partagent.

«Plus leur amitié se construit, plus l’amitié devient solide, plus c’est dur de lui dire tout ça!» explique-t-elle.

La mère endeuillée s’accroche un peu à Thuy, parce qu’elle a l’impression d’avoir des bribes de sa fille, en suivant sa mère biologique.

«Nous, on le sait, comme spectateur, qu’il va falloir qu’elle lui dise un moment donné, relate Anne Dorval. Si elle ne lui dit pas, il n’y a pas de film! Mais si elle lui dit, c’est un tremblement de terre! Qu’est-ce qui va se passer? Mon personnage est là-dedans, elle a peur.»

«Mais le film va aussi vers quelque chose de plus grand que ces deux personnages: la réconciliation de deux pays, de deux continents, que tout sépare, tout oppose, ajoute-t-elle. Et je trouve ça beau.»

Anne Dorval et Laurence Barrette
Yan Turcotte
Anne Dorval et Laurence Barrette

Anne Dorval, «la grande virtuose»

Tout de suite, Jean-Philippe Duval a pensé à Anne Dorval («la grande virtuose», comme il l’appelle) pour le rôle principal; celui d’Isabelle, cette mère qui a l’impression d’avoir échoué à la tâche la plus importante de sa vie. Encore un rôle de mère, oui, mais qui vit ses émotions tout en retenue – à 1000 lieues de ceux dans lesquels on l’a vue au cours des dernières années, dans l’oeil de Xavier Dolan.

Pour jouer le rôle de Thuy, la mère biologique de Clara, l’équipe du film a fait des recherches en France, afin de trouver une actrice d’origine vietnamienne qui parle français, mais sans accent québécois (le personnage de Thuy a appris le français pendant ses études à Paris). C’est finalement Leanna Chea, une ancienne danseuse professionnelle devenue actrice, qui a décroché le rôle – son premier rôle important dans un long métrage.

«Quand j’ai vu l’annonce, je me suis dit que ce film-là était pour moi!» s’exclame la jeune femme, qui décrit Anne Dorval comme «[son] actrice québécoise préférée».

«Mommy est le premier film québécois que j’ai vu, continue-t-elle. Je suis restée assise un quart d’heure dans la salle, après le film: c’est le genre d’acting que je veux faire, c’est l’actrice que je veux devenir… et si, par je ne sais quelle étoile, quelle chance, j’arrive à travailler avec Anne Dorval, c’est le graal pour moi!»

Leanna Chea
Laurent Guerin
Leanna Chea

Après avoir décroché le rôle, Leanna Chea a découvert qu’«au-delà d’être une actrice formidable», Anne Dorval est aussi «une femme formidable».

«J’ai vraiment eu de la chance de l’avoir à mes côtés pendant ce tournage, raconte l’actrice née en France, dont les parents sont Vietnamiens. Pour moi, ç’a été beaucoup de choses à la fois, non seulement la redécouverte du Vietnam, un premier rôle aussi important dans un long métrage… Anne a été ma bouée, mon gilet de sauvetage, et j’ai vraiment pu me donner à 1000% grâce à elle.»

Il faut dire que ce tournage prenait des allures de pèlerinage pour Leanna Chea, qui n’était pas retournée au Vietnam depuis qu’elle avait dix ans. Et elle n’était jamais allée dans le Nord, là où est tourné le film. Elle a d’ailleurs pris soin d’arriver sur les lieux deux semaines d’avance pour se préparer, et ne pas avoir un oeil émerveillé de touriste pendant les scènes, alors qu’elle devait jouer une guide touristique qui a vécu toute sa vie au Vietnam.

«Et j’ai bien fait, parce que vraiment, la première fois que je suis allée à la baie de Ha Long, c’était comme wow! C’est à couper le souffle!»

Une complicité palpable

Les deux actrices ont vite développé une complicité ensemble – ça se sent à l’écran… et dans la vraie vie! Pendant que nous attendions patiemment de rencontrer les artisans du film, dans un chic hôtel du Vieux-Montréal, nous avons pu apercevoir les deux partenaires de jeu se faufiler dehors, l’oeil complice, pour aller prendre une petite bouffée de nicotine ensemble, comme leurs personnages.

Même si le sujet du film est lourd, elles ont surtout le souvenir d’avoir ri, entre les prises.

«Moi, je ne suis pas du genre à me vautrer dans la douleur, affirme Anne Dorval. Quand on dit: “Coupez!”, c’est coupé. J’ai du fun, je m’amuse… Et avec Leanna, qui est une fille qui adore rire, comme moi, on a eu beaucoup de plaisir! C’est quelqu’un que j’aime beaucoup.»

«À la fin du tournage, je pense que j’avais une plaquette d’abdominaux tellement j’ai rigolé!» lance pour sa part Leanna en pouffant de rire.

«J’ai fait 14 000 km pour tourner cette scène-là»

D’ailleurs, cette dernière raconte qu’elle avait tellement développé une belle complicité avec sa partenaire de jeu que les dernières scènes à tourner ont été difficiles à faire.

«On tournait les scènes dans le désordre… Et quand on a tourné la scène où on se rencontre pour la première fois et on discute du voyage qu’on va entreprendre, Jean-Philippe a dit: “Ah mais là, par contre, il ne faut pas que vous ayez l’air amies”. Et on était rendues à un point où c’était un peu compliqué!» se souvient-elle en riant.

Mais c’est peut-être cette même complicité qui a rendu la scène culminante du film si émouvante, si vraie, alors que les deux protagonistes se confrontent dans un décor enchanteur, sur le bord de l’eau.

«J’ai fait 14 000 km pour tourner cette scène-là, tranche Jean-Philippe Duval. Pour moi, c’était ça le coeur du film. Et on l’a fait en une shot

Il se souvient qu’après la scène, Anne Dorval lui a demandé ce qu’il voulait, pour qu’elle la recommence, avec Leanna.

«J’ai dit: “Ben, je veux rien, c’est ça!” Elle m’a dit: “Voyons, on ne peut pas faire ça, il me semble que je n’ai pas trop aimé telle affaire…” J’ai dit: “Non, arrête, c’est du génie pur”.»

Le cinéaste a ensuite choisi de disposer du temps qu’il lui restait pour ajouter une scène, qui n’était pas prévue dans le scénario.

«C’était un tournage comme ça», explique-t-il, pour résumer l’aventure.

14 jours 12 nuits, un film de Jean-Philippe Duval mettant en vedette Anne Dorval, Leanna Chea, Laurence Barrette et François Papineau, prend l’affiche le 6 mars au Québec.

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