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En 10 ans, je suis passée de décrocheuse à docteure

J'ai connu l'itinérance, l'alcoolisme et la toxicomanie. Officiellement psychologue depuis cet été, je veux aider les autres à se libérer de leurs souffrances.

Je suis docteure en psychologie. J’ai appris récemment à aimer la vie; je suis une ancienne alcoolique-polytoxicomane.

Katia Bissonnette, psychologue
Courtoisie/Katia Bissonnette
Katia Bissonnette, psychologue

De façon générale, le parcours scolaire du collégial au doctorat est un processus assez ardu et anxiogène. En prenant un peu de recul, je me demande bien comment j’ai pu passer à travers tout ça en étant en mode survie. De 13 à 30 ans, j’ai vécu quotidiennement avec de graves problèmes d’alcoolisme, de toxicomanie et de santé mentale, dont des troubles obsessionnels compulsifs et de la phobie sociale.

Ces troubles non diagnostiqués à l’époque ont provoqué encore plus de symptômes que je tentais d’éviter en consommant davantage. En résumé, ça a été une roue sans fin pendant presque 18 ans, où une multitude de comportements destructeurs ont pris place: automutilation, agressivité envers autrui, tentatives de suicide, etc.

La première prise de conscience

À 21 ans, j’avais décroché depuis longtemps de l’école et de la vie. Je n’avais aucune envie de participer à ce qui était une mascarade pour moi. J’étais sans domicile fixe. Les policiers m’ont retrouvée en plein milieu de la rue à Montréal. La veille, j’avais fait une tentative de suicide. Le personnel de l’hôpital m’avait sortie cavalièrement à quatre heures du matin.

Je marchais, complètement anéantie par tant de souffrance et de solitude. Mais à ce moment, une prise de conscience a surgi de mon cerveau tel un éclair qui me foudroierait l’esprit. J’ai réalisé à ce moment précis que j’étais responsable de cette vie de désastre, que je me nuisais en accusant les autres - la société, le système, les autorités - de ma souffrance.

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Après cette dernière tentative de suicide, en 2009, je suis allée vivre dans un refuge pour femmes itinérantes, dans le but de tenter à nouveau ma chance à l’école. Quelques années auparavant, j’avais connu trois abandons scolaires avec la mention «échec». J’étais plus déterminée que jamais à briser ce cycle d’abandons malgré tous les facteurs de vulnérabilités qui m’habitaient. Ce refuge a accepté de m’accueillir le temps de mes études collégiales. Je me suis sentie reconnue, comprise et acceptée par les intervenants de ce milieu. Je me suis sentie chez moi pour la première fois de ma vie. Cet endroit m’a offert une certaine stabilité, qui a été déterminante dans mon cheminement personnel et scolaire.

Au fil de mes petits succès, j’ai poursuivi mes études à l’Université du Québec à Chicoutimi au baccalauréat en psychologie. À mon arrivée au Saguenay, j’avais 23 ans. J’avais cessé de boire de l’alcool depuis un an à la suite de quelques thérapies et la fréquentation quotidienne de groupes d’entraide.

“Ma vie était de la survivance et j’étais consciente que sans l’école, c’était la mort qui m’attendait.”

Malheureusement, bercée par l’illusion que l’obtention de mon diplôme collégial m’avait guérie de mes dépendances, j’ai fait une rechute. Elle a duré près de huit ans, soit jusqu’à mes 31 ans. Lors de cette rechute, j’ai tenté de contrôler ma consommation, de la diminuer ou de l’arrêter. Ça a été un long combat douloureux contre moi-même. Je vivais une constante instabilité et de la précarité à plusieurs niveaux.

Avec acharnement, je gardais en priorité la poursuite de mes études. Le milieu scolaire était le seul endroit qui m’apportait une certaine structure. J’ai fait presque la totalité de mes études en mode survie. En réalité, ma vie était de la survivance et j’étais consciente que sans l’école, c’était la mort qui m’attendait.

La deuxième prise de conscience

En 2018, tout en terminant tranquillement le volet recherche de mon doctorat, j’ai réussi à me trouver un travail dans mon domaine et à entretenir quelques amitiés significatives. J’ai pris conscience que mes problématiques personnelles mettaient en péril ces trois éléments si durement acquis et appréciés.

Pendant longtemps, je n’avais rien à perdre, donc rien à quoi m’accrocher non plus. Cette fois, les choses étaient autrement, je désirais ma nouvelle vie. J’ai affronté mes tourments pour de bon. Je suis allée voir différents professionnels de la santé mentale. Je me suis investie réellement. J’ai enfin laissé tomber mes résistances face au changement et commencé le deuil de cette vie de souffrance. J’ai ainsi pu me libérer de ce sentiment de honte qui me hantait depuis l’apparition de mes problèmes de dépendance. Cette honte d’être ce que j’étais s’est dissipée lorsque j’ai réussi à parler honnêtement de mes vulnérabilités à mes proches, aux professionnels de la santé mentale et quand, surtout, j’ai pu me les avouer à moi-même.

Ici, maintenant

J’ai terminé mon doctorat en juin 2020. Je suis maintenant membre de l’Ordre des psychologues du Québec. Je suis abstinente de toutes drogues et alcool depuis deux ans et trois mois. En prime, je ne suis plus envahie par des obsessions et des compulsions. Mon état psychologique et émotionnel est stable, ce sur quoi je peux désormais compter. J’ai appris à utiliser des ressources extérieures pour avancer et maintenant, je peux également faire confiance à mes ressources internes. Je dois dire toutefois que cette nouvelle tranquillité d’esprit m’amène rapidement à l’ennui. Il s’agit de ma vulnérabilité principale en ce moment.

“Pendant longtemps, je n’avais aucune idée du potentiel qui sommeillait en moi.”

En plus de mon travail de psychologue, j’ai mis sur pieds mon projet Conférence Orange. Ceci dans le but de partager mon histoire et de redonner à la société. J’y parle de mon histoire de vie et d’un petit guide que j’ai créé: «La Charte pour l’étudiant qui veut réussir». J’y ai noté tous les éléments qui ont fait que je suis passée de décrocheuse à docteure en psychologie. Je propose également sur YouTube des capsules psychoéducatives et des vidéos interactives en direct, selon les besoins exprimés par la communauté. J’ai d’ailleurs appris à affronter ma phobie sociale et à plutôt utiliser ma sensibilité et ma vulnérabilité pour établir des liens sincères avec les autres, pour qu’ils ne se sentent plus seuls avec leur souffrance et qu’ils prennent confiance en eux.

Je crois que plusieurs facteurs peuvent expliquer qu’un individu se retrouve en marge de la société. Pour ma part, je crois que ma peur d’échouer, d’être jugée ou d’être exclue m’a longtemps paralysée et tenue à l’écart du système. Pendant longtemps, je n’avais aucune idée du potentiel qui sommeillait en moi. Je ne croyais pas être assez intelligente pour m’adapter à la vie en société. J’ai nourri cette croyance longtemps, mais maintenant, je sais que j’ai eu tort de croire ça. Aujourd’hui, je sais qu’être moi-même, c’est suffisant.

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