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L'Éthiopie, les Éthiopiens et la photo

Prendre une photo. On vise, on fait la mise au point puis on pèse sur le déclencheur. Facile! Facile, oui, mais simple? Non. Dernière chaque prise de vue, chaque choix de photo se cache un ensemble de considérations. Qui, quoi puis-je prendre en photo, et quand? Cette scène fait-elle partie de l'espace public ou privé? Dois-je demander la permission avant de prendre la photo, au risque de perdre la spontanéité de l'instant? Et surtout, comment réagira le sujet photographié?
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Ethiopie

Prendre une photo. On vise, on fait la mise au point puis on pèse sur le déclencheur. Facile! Facile, oui, mais simple? Non. Dernière chaque prise de vue, chaque choix de photo se cache un ensemble de considérations. Qui, quoi puis-je prendre en photo, et quand? Cette scène fait-elle partie de l'espace public ou privé? Dois-je demander la permission avant de prendre la photo, au risque de perdre la spontanéité de l'instant? Et surtout, comment réagira le sujet photographié?

Si ces questions se posent, peu importe l'endroit où l'on se trouve, il est beaucoup plus facile d'y répondre lorsqu'on connaît les codes de la société dans laquelle on évolue. Dans un pays étranger, comme l'Éthiopie, aux us et coutumes si différents, prendre une photo se transforme souvent en aventure... parfois fort désagréable.

La méfiance

Pour un Occidental, le rapport qu'entretiennent les Éthiopiens avec la photographie est complexe et imprévisible. Si l'appareil photo suscite des réactions aussi multiples que diverses, il ne laisse jamais indifférent.

C'est à la méfiance que nos objectifs font le plus souvent face. À la vue de l'appareil photo, les gens se cachent régulièrement le visage ou, moins agréable, nous crient après. Pourquoi prend-on la photo? Quels sont nos objectifs? Que va-t-on faire du cliché? La photographie semble perçue comme une agression, un danger. Encore plus lorsque le photographe se fait discret. On doute de lui, de ses motivations.

Bien que personne ne fut vraiment en mesure de nous expliquer l'origine de cette méfiance, on peut supposer que celle-ci prend racine, du moins en partie, dans l'histoire récente du pays. De 1974 à 1991, le pays a vécu sous une dictature stricte et sanglante. La répression était violente et la photographie utilisée par l'État comme instrument de surveillance. Valait mieux, alors, éviter l'objectif.

L'image

Les Éthiopiens sont aussi très orgueilleux de l'image de leur pays. Ils digèrent mal le portrait (guerre, pauvreté, famine) qu'en a dressé la presse étrangère dans le passé. Ainsi, autant au niveau du gouvernement que de la population, on ne tolère pas qu'un étranger prenne le moindre cliché qui enverrait une image négative du pays. Prendre des photos n'est pas un droit pour les Éthiopiens et plusieurs d'entre eux se sentent la légitimité de vous l'interdire, si le sujet de votre photo ne leur plait pas.

Ainsi, lors d'une récente visite à Dire Dawa, dans l'ouest du pays, une photo prise sur la place d'un marché a initié une fiévreuse discussion avec un Éthiopien. Il soutenait agressivement qu'il nous était interdit, à moins d'obtenir une autorisation du gouvernement, de prendre des photos des gens, des rues ou de quoi que ce soit relié à la culture et la vie éthiopienne. Bref, que l'on devait se limiter aux photos de paysages. Trop de fois, affirmait-il, l'Éthiopie avait été dépeinte de façon défavorable à l'étranger et cela était, pour lui, inacceptable. Il a fallu l'intervention d'un policier pour le convaincre de la légalité de mon geste.

EN IMAGES: (Suite du texte dessous)

Les visages de l'Éthiopie

Le profit

D'autre part, pour beaucoup d'Éthiopiens, la photographie ne semble avoir d'utilité que si elle profite au sujet. "Qu'est-ce que ça me rapporte à moi?" est une réponse fréquente à laquelle se heurtent nos appareils photo. L'idée que, dans le passé, plusieurs farenjis (étrangers) se sont enrichis avec des photos prises d'Éthiopiens est très ancrée, à tort ou raison, dans les mentalités. Plusieurs Éthiopiens ont alors l'impression que le photographe s'enrichit à leurs dépens. Ils exigent alors d'être rémunérés en échange du cliché. Exigence qui s'étend aussi à l'ensemble de leurs biens (chèvres, magasin, maison).

La joie

Les réactions face à l'objectif ne sont cependant pas toutes négatives. L'appareil photo étant encore un luxe inaccessible pour une majorité de la population, il suscite aussi sa part de fascination. Il n'est pas rare, lorsqu'on se promène appareil en bandoulière, que des passants, jeunes et moins jeunes, nous arrêtent et nous demandent de les prendre en photo. Devant l'objectif, ils sont raides et sérieux ou alors ils adoptent des caricatures de poses vues dans des magazines. Après avoir jeté un coup d'oeil à la photo, ils nous quittent, sourire aux lèvres.

À nous, Occidentaux, toutes ces réactions paraissent excessives tellement la présence d'un appareil photo sur les lieux publics semble aller de soi. Nous ne nous questionnons plus, ou presque plus, sur l'omniprésence de l'image dans nos sociétés, sur son caractère si intrusif dans nos vies. Entre les caméras de surveillance et celles des journalistes, les appareils photo des photographes et des touristes, le contrôle de notre image nous a pratiquement complètement échappé. Et ça nous va. C'est le prix, acceptons-nous, d'une société libre et sécuritaire. Mais peut-être, je dis bien peut-être, nous nous fourvoyons. Peut-être, avons-nous laissé, à l'appareil photo et à son produit, une trop grande liberté. Peut-être, quelque part, ce sont les réactions des Éthiopiens qui sont normales.

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