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Pour une amie militante

Pour une amie militante, la gronde judiciaire vient de tonner. Accusée de voie de fait sur un policier durant une manifestation - sans toutefois avoir été reconnue coupable, ni condamnée - de sévères conditions lui sont imposées jusqu'à la tenue de son procès. Couvre-feu, interdiction de participer à tout rassemblement déclaré illégal, période probatoire, interdiction de consommer, posséder, transporter, acheter ou fréquenter un lieu où l'on sert de l'alcool. Un cas parmi tant d'autres...
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Pour une amie militante, la gronde judiciaire vient de tonner. Accusée de voie de fait sur un policier durant une manifestation, sans toutefois avoir été reconnue coupable, ni condamnée, les preuves ne tenant qu'à la parole de la sympathique brute l'ayant menottée, de sévères conditions lui sont imposées jusqu'à la tenue de son procès. Couvre-feu, interdiction de participer à tout rassemblement déclaré illégal - profilage politique aidant: c'est à la mode -, période probatoire, interdiction de consommer, posséder, transporter, acheter ou fréquenter un lieu où l'on sert de l'alcool. Un cas parmi tant d'autres.

Un grand cas a été fait du règlement municipal P-6, avec raison d'ailleurs. La lourde amende de 637 dollars calme l'ardeur contestatrice pour beaucoup. Pour certains, ce serait mentir qu'à la vue des trois chiffres, il n'y a pas une petite sueur froide qui mouille le bas du dos. Pour eux, c'est la crainte d'un propriétaire plus menaçant, d'un régime minceur indésirable, de factures handicapantes. Un bon incitatif à rester chez soi à se morfondre, passif et apathique.

Le billet se poursuit après la galerie

L'effet dissuasif est là, mais il ne s'agit encore que d'un bris du Code civil, d'une infraction à un règlement municipal. Outre le fardeau financier, réel et inquiétant, bien sûr, il n'empêche aucun des récipiendaires de la contravention de reprendre la rue et ne restreint pas leur liberté, pas directement du moins. Grâce au droit de contester les amendes, aux recours collectifs mis en branle, aux organismes épaulant les personnes arrêtées et à la possibilité que la Cour Suprême décrète l'inconstitutionnalité dudit règlement, les dégâts à long terme risquent, je l'espère, d'être moins arides que suggérées.

Là où le danger est plus pernicieux encore, selon Bibi, c'est plutôt dans ces accusations criminelles de voie de fait, d'entrave à la brutalité... au travail d'un policier. Il est rarement mis en évidence ou spécifié, la teneur du drame qu'a vécu notre ami vêtu de kevlar; qu'entendons-nous par voie de fait pour justifier un tel branle-bas de combat par l'appareil juridique? S'agit-il d'une jambe brisée, de l'omniprésente boule de billard, d'un pavé inopportun coincé derrière la cornée, d'une visite impromptue chez le dentiste? Je beurre épais, je sais. Des fois, ils en reçoivent des cailloux sur leurs boucliers.

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Le problème réside plus dans l'interprétation et la facilité avec laquelle on use de la loi. Car la voie de fait ou l'entrave au travail du policier évoquent beaucoup plus souvent le lancer de la bouteille en plastique vide, l'impertinent réflexe de bloquer le coup de matraque dûment administré, la tentative de s'auto-disperser lorsqu'encerclé par ces matamores en armures qui susurrent « bouge, bouge, bouge! »

L'accusation au criminel est plus sérieuse, elle s'accompagne de conditions restrictives et punitives. Et malgré le faible taux de condamnation, le peu de dossiers se rendant jusqu'au procès ou le simple abandon des charges (dans le cas des manifestations), par la dernière instance, soit la Cour, le mal est fait. Bien que ce soit le juge (celui avec les rouflaquettes, le maillet et la toge), qui prenne l'ultime décision, celui qui fait office de premier juge, soit le policier sur le terrain, impose une première sanction en prêtant une accusation de voie de fait.

Pratique et pragmatique, on sévit sur le champ.

Le geste n'est pas désintéressé, car il a une incidence politique plus immédiate, pour ceux ciblés, qu'un règlement municipal. Il soumet dès lors les éléments contestataires à la judiciarisation, les perd dans les dédales de la justice. Surtout, c'est un prétexte beaucoup plus efficace pour sortir définitivement un manifestant de la « rue ». Car tant que le juge (robe noire et moumoutte blanche) ne tranche pas, les conditions demeurent, malgré la présomption d'innocence.

Non seulement, on se débarrasse d'un « parasite », pour citer le délicieux Jean-Jacques Samson dans un bijou de texte (article payant), mais tirant profit de la vitesse d'escargot avec laquelle le processus judiciaire s'active, la perspective de le voir se risquer à reprendre l'activisme n'est pas prêt de poindre à l'horizon.

Donc, mon amie, si elle rompt ses conditions, les conséquences seront bien plus dramatiques qu'un gros ticket, et elle le sait. Méthode vicieuse, coup de pute, soit, mais agent de dissuasion draconien, particulièrement.

Heureusement, l'Histoire des luttes sociales et politiques ne se résume pas qu'à un seul Printemps. Elle est parsemée d'embûches surmontées et vaincues avec ténacité, ingéniosité et persévérance. Elle n'est pas non plus un combat individuel, mais une responsabilité collective. Alors, t'inquiète l'amie, les temps seront pénibles, lourds d'incertitude. Tu vas en chier par ces soirées, prisonnière de ta propre chambre. Mais t'es pas seule, et un flambeau, ça se passe.

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