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On dit: Molenbeek l'hostile, Molenbeek le monstre, Molenbeek le terreau du terrorisme islamiste. C'est ici même qu'ont été nourris les funestes plans de ceux qui ont visé au coeur, un mode de vie parisien. Occidental.
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«Vous verrez c'est notre Maroc à nous». C'est avec cette phrase d'un journaliste bruxellois que je suis arrivée au Métro Etangs Noir. En plein cœur de Molenbeek.

C'était il y a 3 jours. 3 jours avant la traque et l'arrestation de Salah Abdeslam - logisticien des terroristes du 13 novembre 2015. Avec un taux de chômage de 28%, Molenbeek est une cité laissée pour compte depuis plus de 20 ans. Les policiers locaux peinent à y pénétrer. La commune s'est construite autour d'un bloc identitaire monolithique. 80% de la population est d'origine marocaine.

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On dit: Molenbeek l'hostile, Molenbeek le monstre, Molenbeek le terreau du terrorisme islamiste. Banlieue du nord-ouest de Bruxelles tristement célèbre après les attentats de Paris de novembre 2015. Une sorte de no-go zone comme dirait Fox News. C'est ici même qu'ont été nourris les funestes plans de ceux qui ont visé au coeur, un mode de vie parisien. Occidental.

En sortant du sombre métro, le soleil m'accueille -plutôt rare parait-il. Le soleil et les gens. Fourmilière affairée, pantone de couleurs et de têtes voilées. Perdue, je demande mon chemin et avec diligence, je suis orientée précisément par une femme et quittée d'un sourire bienveillant.

Pour l'instant, je n'y vois qu'une banlieue populaire chargée d'une forte histoire communautaire. Aucune barbe, aucune burqa , aucune tension apparente. Molenbeek a des airs de Barbès, d'Avron, de Montreuil -endroits que j'ai habités.

Chaussée de Gand et ses alentours - des boutiques «foirefouille» aux accents méditerranées se succèdent. Des robes des mille et une nuit aux théières marocaines, tout y est. Tout y est même les échoppes de Hijab qui m'interpellent.

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Hommes et femmes circulent dans la rue. Hommes et femmes conduisent de belles berlines. Étrange pour un quartier si populaire. Pas sûr d'en avoir déjà vues de semblables à Barbès.

Rares sont les femmes qui ne portent pas le voile: jeunes ou plus âgées -et parfois les chevelures se cachent tout comme le reste du corps sous d'imposantes djellabas. Pas de heurts, ni de craintes, pas de regards courroucés. Les hommes siègent au salon de thé, les femmes portent les courses.

34 ans c'est l'âge moyen de la population molenbeekoise. Cela en fait, la commune bruxelloise la plus jeune. Et pourtant, aucun jeune dans les rues qui jouxtent la place communale, cœur historique de la ville.

Le long du Canal, les moulins enfantins tournent au grès du vent pour rappeler les racines de la ville. Molen - Beek: le ruisseau du moulin.

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Le long du canal, la friche industrielle aussi. Les souvenirs d'un temps où l'emploi était là et l'immigration nécessaire. Et puis, plus rien... depuis déjà fort longtemps.

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Près de la Gare de l'Ouest, la rue des 4 vents. C'est précisément ici que Salah Abdeslam a été interpellé. Au 79. Le quartier ouest de Molenbeek considéré comme le plus «chaud» de la ville.

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Un terrain de sport délabré accueille les seules occupations d'une jeunesse désabusée et livrée à elle-même. Du haut de ses 20 ans, Mohammed s'approche et entame avec envie la conversation. Comme si personne d'autre que les molenbekois ne lui parlait. Et il me raconte sa pratique du cross-fit depuis 7 ans. Sport exécutoire pour rester sevré et aussi une manière de tuer un temps inoccupé depuis bien trop longtemps. De cures de désintox à la case prison, il se rêve youtubeur à l'instar des Deguns.

5 petits centimètres séparent sa tête de la mienne. Façon de garder l'ascendant? Volonté d'intimidation? Ou besoin de sentir mes intentions à son égard? Je ne bouge pas. Il m'interpelle sur l'état des structures sportives, monte en agressivité quand il explique avoir demandé davantage de moyens à la bourgmestre. Mais sourit quand il lâche:

«On n'a pas peur de la BAC - on fait des barbecues, on s'en fout. Chacun paie 10 euros et on fait des sardines. De toute façon, ils ne viennent pas par ici»

Il finit par me proposer de revenir filmer ses amis pour qu'ils me racontent leur quotidien dans ce «quartier chaud, qui passe à la télé» dit-il. Tristement, je crois que Warhol et son quart d'heure de célébrité ne sont pas loin.

«Viens prendre un thé plus tard, les femmes peuvent venir dans le salon».

Voilà.

Des barres d'immeubles construites à la hâte au balcon desquelles trônent des myriades d'antennes paraboliques. Tournées vers l'ailleurs, vers d'autres chaînes.

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Et puis, toutes ces femmes voilées - revenant des courses, guidant des poussettes, assises sur les bancs des jardins d'enfants... Jeunes et moins.

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C'est populaire mais c'est triste aussi Molenbeek. Voire un peu glauque à certains endroits. Ferrailles, déconstruction et grillages barbelés cohabitent là où l'on voudrait chaleur et cohésion sociale.

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37% de chômage chez les moins de 25 ans pour la commune bruxelloise la plus jeune. Quel avenir pour cette jeunesse? Elle qui zone de cages d'escalier en terrains de sports usés regardant les grosses berlines des aînés sillonner la ville...

Car oui, il y a de la délinquance -comparée même à un réseau mafieux, comme me le confiera Mustapha Er, responsable de la communication de la commune. Cette délinquance qui bascule dans la radicalisation et sur laquelle s'appuient les réseaux terroristes pour mieux se développer.

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Une intégration douloureuse, l'échec scolaire et puis la radicalisation facile au pays des 24 mosquées, dont seulement 4 sont reconnues par la région.

15h30 - Fusillade à Forest en rapport avec les attentats de Paris. C'est à côté. Les sirènes retentissent - les camions de police tracent leur route vers la commune voisine. Mon empathie a vite fait place à un sentiment de crainte.

Molenbeek la désenchantée s'est mue en Molenbeek l'hostile. Bizarrement, il fait plus froid, le soleil s'estompe, les regards semblent s'appesantir davantage, les berlines opèrent un ballet incessant avec lenteur... L'insécurité gagne. Paranoïa?

Pas étonnant que cette population vive dans la stigmatisation et en souffre constamment. Elle aussi est l'héritière de politiques sociales laxistes. Et qui n'ont fait que nourrir le monstre.

Si cela est confirmé, comment Abdeslam Salah, terroriste a-t-il pu rester caché pendant 4 mois en Belgique et peut-être même sur la commune de Molenbeek? Notons le manque de soutien de la police fédérale plus compétente en la matière que les ilotiers de la ville. Deux jours avant l'arrestation du terroriste, c'est le constat qu'effectuait Mustapha Er. «50 policiers en renfort sont arrivés il y a 1 mois», me confiera-t-il. Seulement 1 mois!

Impuissance constatée face à la montée de la radicalisation, incapacité à endiguer l'embrigadement des jeunes et un certain laisser-faire fédéral: ingrédients parfaits qui font de Molenbeek une base stratégique du terrorisme. Tout cela en plein cœur de l'Europe.

Dernière rencontre de ce périple en terre quasi inconnue: Adam, père de famille, avec dans sa paume la petite main vissée de son fils de 5 ans. Je croise le regard brun enjôleur de son petit homme au cartable «minion». Identique à celui de ma fille. La douceur revient - l'apaisement aussi.

Molenbeek la complexe.

«Je suis arrivé d'Algérie en nonante», 25 ans qu'il est citoyen molenbeekois. Selon lui, sa ville, il y fait bon vivre. «Les cas de radicalisations sont isolés et bien sûr arrivent. Comme partout. Molenbeek n'est pas une exception», dira-t-il.

À part peut-être pour les femmes qui n'y trouvent pas leur place dans les salons de thé.

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