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Barack Obama: homme de l'année

En nommant, comme ce fut le cas en 2008, Barack Obama personne de l'année, leaccorde à la réélection du président américain une importance plus grande, plus grave aussi. Cela embarrasse peut-être le président, lui qui est, depuis son prix Nobel, plus à l'aise dans la circonspection que dans les affichages d'honneur précoces.
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Le plus frappant quand on a vécu de près ces élections américaines, c'est la diligence avec laquelle le pays a tourné la page. Trop vite, trop brusquement. Un vague soupir de soulagement puis plus rien. Deux ans d'une campagne éreintante effacés de la mémoire médiatique de la nation. Le gouvernement, très discret, a l'air de dire: on a pris les mêmes et on continue. Tout va bien. "Forward".

Barack Obama: Person Of the Year

En nommant, comme ce fut le cas en 2008, Barack Obama personne de l'année, le Time Magazine accorde donc à cette élection une importance plus grande, plus grave aussi.

Cela embarrasse peut-être le président, lui qui est, depuis son prix Nobel, plus à l'aise dans la circonspection que dans les affichages d'honneur précoces.

Pourtant, voilà bien l'heure d'Obama arrivée. Quatre années où il aura les mains plus libres. Quatre années où ses adversaires républicains renonceront aux obstructions systématiques qui leur ont coûté la victoire. Mais surtout, quatre années où l'homme le plus puissant du monde tentera d'insuffler une direction au monde qui vient. Ce qui lui sera difficile de cacher.

Ses débuts

Obama a toujours été un homme de signal.

Quand il devient le premier homme noir à diriger la Harvard Law Review ou quand il s'empare d'une législature locale à Chicago en gagnant dans les quartiers blancs et les quartiers noirs, il écrit que:

"Les commentateurs grand public se mettent à exprimer leur surprise et l'espoir sincère que la victoire puisse signaler un changement conséquent dans notre héritage racial".

Ce n'est pas Obama qui s'en convainc, c'est le grand public, le mainstream, qui lui signale. Et qui lui donne le feu vert pour la prochaine étape. Obama n'est pas avide de pouvoir, il est avide de circonstances.

Une réélection forte et unique

Cette réélection est un autre signal, une motion de confiance.

Il l'a remporté avec 5 millions de voix d'avance. Seuls cinq présidents américains sont parvenus à se faire élire deux fois avec une majorité du vote populaire (en plus du vote des grands électeurs). Il en est le seul démocrate.

Une coalition nouvelle, postmoderne, s'est formée autour de lui. Les minorités latino, noire et asiatique, les femmes et les moins de 30 ans représentent 70% de son électorat. Obama est au centre de cette époque sans précédent du point de vue des transformations démographiques, de la mondialisation et de l'avancée du droit des femmes et des minorités.

Son héritage

Le 6 novembre 2012, l'homme qui s'est jusqu'alors astreint au pragmatisme politique d'un président de crise, a reçu le signal qu'il attendait pour élever le niveau de la conversation.

"Vivre c'est laisser des traces", disait Walter Benjamin, et il est possible qu'Obama se laisse désormais vivre.

A l'heure d'écrire son second discours d'intronisation, il est évident qu'il pense à son héritage. Il pense à aligner ses actes dans le bon sens de l'histoire.

Obama l'intellectuel

Obama a toujours été un intellectuel bien que très vite converti à l'action.

Professeur de droit constitutionnel, spécialiste des mouvements sociaux, il s'est éloigné de New York et de sa maestria théorique pour rejoindre Chicago et la vie des quartiers. Il y a forgé une conscience politique profondément modérée, contracté la modestie des gens de terrain, et y a pratiqué la politique du compromis jusqu'au bout. Ce qui a eu le don d'exaspérer plus tard ses partisans plus progressistes.

A l'extrême centre, si je puis dire, il préfère encore les coalitions bipartisanes et le mainstream aux positions tranchées, et compte sur sa parfaite maîtrise de l'agenda et son talent de communicant pour faire le reste.

Le spécialiste de la "troisième voie"

Mais ce qui a fait miracle à l'échelle locale a parfois viré à l'affront à l'échelle nationale. La bonne volonté n'est pas contagieuse. Manquant de nerfs sur les deux grands défis du début de siècle, la crise financière et la crise écologique, Obama a tenté des solutions de type "troisième voie".

Ni régulation ni libéralisation, mais des réformes au cas par cas, plus microéconomiques qu'idéologiques, pour relancer la croissance (un plan de sauvetage et des investissements publics très minutieux) et le progrès social (assurance santé, droit des homosexuels, réduction de la dette étudiante). Avec quelques très bons résultats.

Obama, synonyme de changement

Au-delà de son bilan, c'est sa vision de long terme qu'il communique implicitement qui mérite l'attention.

Obama incarne une tendance plutôt sociale et démocrate mêlée à une compréhension très aiguë des changements apportés par le XXIe siècle.

De son propre aveu, il aspire à la "transition" dont il "pense que [s]es deux mandats en tant que président qui sont le reflet de ces valeurs et qui leur donnent de la voix, aident à valider et solidifier".

Laquelle semble comporter trois volets si l'on en juge l'action et la pensée de l'homme:

  1. Dans la lutte qui oppose aux Etats-Unis les partisans du libéralisme et du conservatisme, Obama valorise une option hétérodoxe, sociale, démocrate, économiquement vaillante et idéologiquement libérée.
  2. Cette hétérodoxie se base sur un gouvernement d'experts qui dégroupe les sujets au cas par cas.
  3. Il veut faire du gouvernement un organe technique, apte, mesuré, qui applique une gestion microéconomique à la place de politiques macroéconomiques à l'axiome rigide. Un peu comme Esther Duflo et Muhammad Yunus ont révolutionné la lutte contre la pauvreté par des batteries de microtests et des expériences ultra-locales de responsabilisation et d'assistance, Obama fait partie de cette génération d'hommes et de femmes qui veulent transformer l'institution publique en intégrant les experts, les nouvelles technologies et un côté expérimental au centre de ses décisions politiques pour gagner en réalisme et en efficacité.

  4. Mais cette diminution de l'envergure politique de l'Etat s'accompagne d'un parti pris philosophique essentiel.
  5. En restreignant peu à peu le rôle politique et idéologique du gouvernement pour en faire une entité plus strictement exécutive, Obama a compris le grand phénomène de ces dernières années.

    Il a assisté au transfert du pouvoir des mains des politiciens et des faiseurs de roi -médias, patrons, puissants- vers les individus, les mouvements d'opinions, les pétitions populaires provenant de Change.org ou d'Avaaz, les mobilisations citoyennes qui maîtrisent YouTube, Facebook et l'art du happening.

    Chaque individu a le pouvoir d'avoir un impact politique en parlant de son histoire. A cela s'ajoute une plus grande transparence, des moyens comme WikiLeaks et l'information générée par l'utilisateur, qui destitue d'autant plus les puissants de leur monopole.

Une métamorphose du pouvoir

Dans les traces de Franklin Roosevelt qui disait, "je suis d'accord avec vous, je veux le faire, maintenant faites-le moi faire", Obama se laisse convaincre par les individus qui s'octroient la parole. Il fait en sorte que la société civile s'empare pleinement de sa marge de manœuvre et le conduise à agir. C'est ainsi qu'il a changé d'avis sur le mariage gay et est devenu le premier président en exercice à y être favorable.

Cette métamorphose du leadership est intéressante pour l'avenir.

Elle participe à acheminer la démocratie vers une nouvelle étape de son développement: une plus grande et plus autonome prise de pouvoir des citoyens dont les représentants ne sont que les arbitres. La politique s'articule de plus en plus du bas vers le haut et c'est à ce surplus démocratique qu'Obama peut associer son nom.

Pas de doctrine Obama donc, mais une emprunte profonde sur la nature du pouvoir.

Favoriser les forces productives mais les orienter vers la responsabilité sociale, alléger l'Etat mais proposer une option publique efficace, démocratique et participative. C'est dans cette synthèse des contraires, dans cette attitude profondément ambiguë que s'écrit peut-être un moment essentiel de l'histoire politique.

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