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Pourquoi la série «Game of Thrones» est-elle aussi populaire?

Le scénario «bien ficelé», c’est-à-dire cohérent et porteur de sens, répond à plusieurs niveaux d’attentes, situées dans des zones du cerveau bien spécifiques.
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Attention! Ce texte contient bon nombre de divulgâcheurs sur la série Game of Thrones.

Le premier épisode de la dernière saison de la série culte «Game of Thrones» (GoT) a été diffusé le lundi 15 avril sur la chaîne américaine HBO. La série cartonne au niveau planétaire et dans toutes les tranches d'âges, catégories socio-professionnelles confondues. Comment expliquer un tel succès? Le scénario «bien ficelé», c'est-à-dire cohérent et porteur de sens, répond à plusieurs niveaux d'attentes, situées dans des zones du cerveau bien spécifiques.

1- GoT vient titiller votre striatum

Dans la partie «inférieure» de votre cerveau, c'est-à-dire dans les confins les plus archaïques de votre boîte crânienne, résident les régions reptiliennes et limbiques de votre cerveau. Ces régions sont la trace d'une évolution et d'un héritage animalier qui, jusqu'ici, a permis à Homo Sapiens de survivre dans des environnements parfois hostiles.

Plus précisément, le striatum semble jouer un rôle considérable et souvent inconnu. Analysé par Sebastien Bohler dans Le Bug Humain, c'est un noyau cérébral profond où résident les circuits de récompense et de dopamine, notamment.

Pour la faire courte, c'est cette région de notre cerveau qui est très sensible aux trois dimensions principales que l'on retrouve dans GoT:

  • Le sexe, et le besoin instinctif de reproduction. Aussi, il ne vous aura pas échappé que les scènes de nus étaient assez nombreuses dans la série. Une manière efficace de «hameçonner» l'attention de votre cerveau.
  • Le statut social, et le désir de pouvoir. Présente dans le nom de la série et les images du générique, l'intrigue est stratégiquement militaire et basée sur des tactiques d'alliances et de pouvoirs: Qui est le leader légitime? Comment accéder au pouvoir? Comment conserver son emprise? Qui va être assassiné ou empoisonné? Autant de questions abordées différemment à chaque épisode et qui viennent nourrir notre besoin stratégique d'identifier les dominants. (et la manière d'en devenir un!)
  • Le savoir et la connaissance. Les premiers épisodes ancrent cette notion autour de la dichotomie vérité/mensonge. Dès la 1re saison, lorsque Bran Stark est poussé du haut de la tour, c'est bien parce qu'il voit ce qu'il ne doit pas savoir. Aussi, cartes (découpage géographique des territoires du nord et du sud), grimoires (traces des lignées et arbres généalogiques) et révélations écrites sont autant d'indices que notre cerveau tente de reconstruire en permanence pour «connaître», «savoir» la vérité, l'Histoire, les motivations des personnages et leurs actions futures.

2- GoT est une série très «disruptive»

Au-dessus des territoires archaïques de votre cerveau, une région beaucoup plus évoluée: le cortex préfrontal. C'est sans doute celle qui nous différencie des autres espèces et qui explique notre «intelligence» et développement actuel. On a tendance à penser que c'est également le siège de notre créativité et notre adaptabilité. «Sortir du cadre», créer de nouveaux repères, innover, autant de définitions possibles du mot «disruptif» (du latin briser, rompre) qui rend compte, généralement, d'une révolution ou changement de paradigmes.

En la matière, la série GoT s'est démarquée très rapidement des autres séries; faire mourir dès les premiers épisodes l'acteur le plus connu — le visage de Ned Stark était le plus reconnaissable de tous (l'acteur Sean Bean a joué dans de nombreux films grands publics avant GoT) — était totalement inattendu. L'incrédulité est alors totale. Pour la première fois, l'une des figures centrales et patriarcales allait disparaitre à tout jamais. Une manière fort disruptive de susciter la curiosité.

Une autre dimension dont notre cortex préfrontal est particulièrement friand: l'humour. C'est un des leviers les plus efficaces pour «décoller» des ruminations et croyances imposées par les régions limbiques de notre cerveau.

Humour noir, autodérision, blagues potaches, tout un registre humoristique incarné par une figure particulière, et savamment choisie: le nain Tyrion Lannister.

C'est lui qui porte la dimension rabelaisienne du «monde renversé et rabaissé» avec son art du langage, et les situations décalées, du lupanar à la prison, en passant par la gueule de bois toujours. Un personnage qui renoue l'air de rien avec tout une esthétique traditionnelle médiévale du «nain» comique et farceur. D'ailleurs n'est-il pas beaucoup moins drôle depuis qu'il occupe la fonction de «Main»?

3- GoT parle à votre inconscient

Beaucoup plus difficile à localiser dans votre cerveau, la partie «inconsciente» (au sens freudien et psychanalytique du terme) reste un mystère. Si les neuroscientifiques et autres spécialistes ne savent pas à l'heure actuelle quelles sont les zones spécifiquement liées à notre inconscient, on sait en revanche quel langage il parle! Très utilisé en hypnose, en marketing et en politique, il existe un langage de notre inconscient.

Ce langage est plus immédiat et imagé, son vocabulaire est constitué d'archétypes et de symboles.

Aussi certains chercheurs n'hésitent pas à raconter leurs expériences pour se «connecter» à cette source directe d'informations. Souvent, ce dialogue avec l'inconscient est permis grâce à un état de conscience modifié (rêve, hypnose, etc.), ou grâce à l'absorption de substances particulières comme l'ayahuasca ou le LSD (qui fait fureur à la Silicon Valley en ce moment).

Ainsi, le mélange «ésotérique» et réaliste de GoT en assure le succès: la présence d'êtres humains permet aux téléspectateurs de s'identifier à toutes les problématiques vécues (et stimulées par le striatum), tout en nourrissant une partie plus inconsciente, celle de notre «enfant intérieur», peuplée de dragons et de monstres...

La résultante est un récit mythique où peuvent être abordés, tels les récits des contes pour enfants, des problèmes plus épineux — voire rébarbatifs — que notre conscient souhaite contourner.

4- Et si GoT parlait de l'avenir de notre humanité?

Le succès d'une bonne série ne saurait se réduire à un bon «pitch» et à de bons effets spéciaux.

Dans les derniers épisodes de GoT se construit l'image subliminale d'une humanité qui doit s'assembler pour faire face à un enjeu qui les menace et les dépasse: les marcheurs blancs venus du Grand Nord congelé.

Difficile de ne pas y voir la métaphore écologique d'une banquise qui fond d'année en année pour venir se jeter dans une mer qui avance sur nos terres. L'enjeu symbolique sous-jacent à GoT est similaire au défi actuel lancé à l'humanité: celui de la sauvegarde d'un écosystème peuplé d'humains.

Allons plus loin, GoT est une pierre qui s'ajoute à un édifice d'images et de scénario déjà constitués par des films tels WaterWorld, Le Jour d'après ou encore Mad Max. La série ne doit-elle pas son succès à jouer symboliquement avec cette imminence d'une catastrophe écologique qui a déjà lieu (une espèce animale ou végétale disparait toutes les 20 minutes)?

Message d'avertissement adressé à nous-mêmes par nos «moi» du futur (pas si futur que cela puisque l'effondrement est estimé aux alentours des années 2030 par certains experts du GIEC)?

Dit autrement, le succès d'un film ou d'une série, c'est surtout de pouvoir accéder à une information future qui sert le présent du plus grand nombre, en utilisant des ressorts instinctifs et symboliques.

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