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Comment la physique quantique pourrait rendre nos mots de passe inviolables

En tant que chercheur, la possibilité d'utiliser la mécanique quantique pour créer des codes de sécurité indéchiffrables pour les ordinateurs m'a semblé ouvrir des perspectives passionnantes.
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Les ordinateurs ont bouleversé notre existence. Nous pouvons passer un moment avec des amis situés à l'autre bout du monde, être en affaires par courriel ou par vidéoconférence avec des personnes que nous n'avons jamais rencontrées auparavant, gérer nos finances en temps réel à plusieurs milliers de kilomètres de distance et travailler depuis chez nous, depuis une gare, depuis notre siège dans un avion ou depuis la plage (si cela ne peut pas attendre). Tout serait merveilleux si ne se posait le problème de la sécurité de la connexion.

Un des principaux défis du monde actuel réside dans la protection en ligne de nos informations personnelles ou professionnelles.

De fait, les récits de piratage sont légion, depuis l'intrusion dans les comptes bancaires jusqu'à la fuite des données hautement sensibles d'agences gouvernementales prétendument inviolables, la fragilité des liens électroniques qui connectent notre monde se rappelle constamment à notre attention.

À l'heure actuelle, la sécurité des ordinateurs repose en grande partie sur le cryptage des données au moyen d'algorithmes mathématiques de plus en plus complexes. En théorie, ces algorithmes sont presque inviolables. Toutefois, si les pirates se procurent des processeurs plus puissants et plus performants, ils finiront par trouver le moyen de déjouer votre protection.

En tant que chercheur, la possibilité d'utiliser la mécanique quantique pour créer des codes de sécurité indéchiffrables pour les ordinateurs m'a semblé ouvrir des perspectives passionnantes. La mécanique quantique peut être décrite comme l'étude du comportement de la matière et de ses interactions à l'échelle des atomes et des particules subatomiques. Certes, cette discipline scientifique n'est pas nouvelle - les premiers travaux dans ce domaine remontent au début du XXe siècle - mais la mécanique quantique n'a véritablement commencé à être appliquée aux technologies de l'information que dans les années 1990.

Un des fondements de la mécanique quantique est qu'elle permet à la matière de se trouver dans plusieurs états en même temps, entre lesquels peut s'établir une corrélation selon un mode très mystérieux. Cette qualité paradoxale peut être utilisée pour créer des codes informatiques qui sont protégés par les lois de la physique, et non par la complexité d'un quelconque algorithme.

Comment cela fonctionne-t-il ?

Lorsque vous voulez envoyer un message électronique crypté, vous envoyez d'abord la «clef» permettant de décrypter ce message, et ensuite le message. Quand vous recevrez une clef quantique, compte tenu des propriétés de la mesure quantique, vous saurez tout de suite si un tiers l'a lue entre vous et l'émetteur. Vous saurez ainsi qu'il ne faut pas envoyer le message pour ne pas compromettre la sécurité de vos informations.

Le problème apparaît lorsque vous essayez d'utiliser ces codes pour vos ordinateurs habituels. Les particules quantiques sont très délicates et elles perdent leurs propriétés presque immédiatement lorsqu'elles entrent en contact avec le monde réel. Pour pouvoir exploiter leurs propriétés, il nous faut les isoler complètement et les placer dans un état quasi inerte en abaissant leur température jusqu'à des niveaux pouvant atteindre jusqu'à 10-9 degrés au-dessus du zéro absolu. Dans le cas des informations cryptées grâce aux codes quantiques, on utilise généralement les photons, mais tout déplacement, même limité à une douzaine de kilomètres, altère leurs propriétés. Par ailleurs, l'interface entre les particules quantiques et les ordinateurs ordinaires comporte encore quelques défauts, si bien que les intrusions sont encore possibles. Cette situation limite encore l'utilité des technologies quantiques et fait l'objet d'une recherche assez abondante.

En 2009, j'ai entamé un doctorat à l'Imperial College grâce à une bourse du Fonds AXA pour la Recherche. AXA soutient partout dans le monde plus de 400 projets universitaires liés à différents types de risque - depuis le changement climatique jusqu'aux crises économiques. De fait, le Fonds AXA s'est intéressé à mes travaux dans la mesure où ils aident à comprendre l'importance croissante des enjeux liés à la cybersécurité, notamment pour les transactions financières ou la confidentialité des données.

Mes travaux m'ont désormais conduit au MIT, un des établissements de référence pour la recherche sur les nanotechnologies. Ces travaux s'appuient à la fois sur la mécanique quantique, sur la science informatique et même sur certains aspects de la science des matériaux. Ils visent à trouver le moyen de créer des matériaux qui permettent d'utiliser la mécanique quantique pour les ordinateurs professionnels ou privés.

Nous avons conçu des lasers, qui sont eux-mêmes des faisceaux de particules quantiques, afin de refroidir les ions et de les amener à un régime quantique, en nous appuyant sur les travaux de David Wineland sur le "piège à ions", qui lui ont valu le Prix Nobel de Physique en 2012.

Ce processus complexe consiste essentiellement à extraire la chaleur de l'ion de façon à ce qu'il ait le même comportement que s'il se trouvait dans un état "super froid" - c'est-à-dire s'il était parfaitement immobile. Grâce au piège à ions et aux lasers, il est possible de créer une particule "quantique" stable, qui peut être simultanément dans deux états superposés. Chaque particule supplémentaire doublera le nombre d'états différents pouvant être superposés simultanément. Deux particules peuvent se trouver dans quatre états différents, quatre particules dans 16 états, etc. Dix particules suffisent à obtenir 1024 états indépendants. Très vite, on obtient une puissance de calcul extraordinaire, ce qui en soi a des conséquences considérables. Par ailleurs, cela peut s'avérer utile pour la création de codes informatiques indéchiffrables et d'ordinateurs inviolables par la régénération des particules porteuses des clefs quantiques.

Grand pionnier de la mécanique quantique, le physicien américain Richard Feynman a déclaré que la mécanique quantique aborde la "nature dans ce qu'elle a d'absurde". Nous essayons de nous servir de cette "absurdité" pour rendre notre quotidien plus sûr.

Javier Cerrillo est associé de recherche postdoctoral au Massachusetts Institute of Technology. Ses travaux dans ce domaine ont été financés par le Fonds AXA pour la Recherche.

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