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Dubaï: le défi de la sensibilisation au cancer du sein lorsque «sein» est un mot indécent

Dans la partie superstitieuse du monde arabe où j'habite maintenant, le terme «cancer du sein» est proscrit. Comme si le seul fait de le prononcer était synonyme de l'attraper.
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Le cancer est demeuré un tabou plus longtemps qu'on ne l'imagine. Lorsque je faisais mes études en médecine à Dublin, il y a trente ans à peine, je n'étais pas autorisée à utiliser ce mot avec un patient. Or, dans la partie superstitieuse du monde arabe où j'habite maintenant, le terme « cancer du sein » est proscrit comme si le seul fait de le prononcer était synonyme de l'attraper.

Après avoir obtenu mon diplôme du Collège royal de chirurgie d'Angleterre à la fin des années 1980, je suis rentrée à Dubaï, aux Émirats arabes unis, pour travailler dans un hôpital public. C'est là que j'ai dû, en tant que jeune stagiaire, faire face à plusieurs femmes atteintes d'un cancer du sein avancé. J'ai vu le genre de tumeurs que je ne connaissais que par l'entremise de livres de chirurgie passablement désuets. J'ai été absolument horrifiée que des femmes laissent progresser leur maladie à un stade aussi avancé avant de réclamer de l'aide. J'ai découvert que plusieurs raisons les en empêchaient, dont un manque de sensibilisation, la peur du jugement d'autrui, mais aussi et surtout la pudeur. Ces femmes refusaient catégoriquement de montrer leurs seins à un médecin de sexe masculin. Leur triste sort m'a convaincu de me spécialiser dans le traitement chirurgical du cancer du sein.

J'ai donc fait mes valises et mes adieux une fois de plus afin de me spécialiser au Royaume-Uni. Huit longues années plus tard, je suis rentrée à la maison pour découvrir que les besoins en matière de sensibilisation, de prévention et de traitement du cancer du sein étaient encore plus importants qu'à mon départ. Or, il était impensable d'écrire le mot « sein » (dans le sens de « chirurgienne des seins ») sur mon permis d'exercer la médecine, puisque ce mot est considéré impoli dans la langue arabe. La police m'a même confisqué des brochures éducatives sous prétexte qu'elles étaient « indécentes ».

Pourtant, le cancer du sein continue d'être l'une des principales causes de morbidité et de mortalité à travers le monde. Nous savons qu'il représente un cas de cancer féminin sur quatre, et qu'il touche davantage les pays développés. Ce phénomène est particulièrement inquiétant. En effet, 80 pour cent des cancers du sein observés dans les pays occidentaux touchent des femmes âgées de 50 ans et plus. Or, ce seuil diminue d'au moins dix ans dans les pays du golfe Persique.

Nous ne savons pas exactement pourquoi il en est ainsi. Les implications de ce phénomène sont toutefois très claires. Les femmes diagnostiquées d'un cancer du sein sont le plus souvent des mères au foyer qui doivent élever une jeune famille, ou alors des travailleuses au faîte de leur carrière professionnelle. Les femmes qui viennent me consulter ne représentent ni plus ni moins que l'avenir de mon pays.

J'ai donc senti le besoin de sensibiliser la population des Émirats à ce fléau. Hors de mes heures de pratique, j'ai lancé un programme d'éducation destiné aux écoles, aux universités, aux clubs féminins et aux lieux de travail. J'ai fait tourner des vidéos éducatives (respectant les critères de décence locaux), qui ont été doublées dans plusieurs langues régionales et distribuées gratuitement. Je n'ai jamais cessé de vouloir donner aux femmes une plus grande connaissance de leur corps, afin qu'elles développent la confiance et l'autonomie requises par une simple consultation médicale.

J'ai aussi essayé de provoquer un changement de mentalités chez les gens d'affaires et les employeurs, en les encourageant à offrir des plans d'assurance couvrant la mammographie et le traitement du cancer du sein - un traitement qui peut parfois être très long et difficile. En d'autres termes, je leur ai appris à être souples et compréhensifs et à ne pas congédier leurs employées au premier signal de maladie.

Il y a quelques années, le traitement du cancer dans les hôpitaux publics était encore offert gratuitement à tous les résidents légaux des Émirats. Ce n'est plus le cas à Dubaï, et l'assurance obligatoire n'entrera pas en vigueur avant l'été 2016.

Pour remédier à ces problèmes, j'ai fondé un organisme de bienfaisance nommé Brest Friends, dont la mission est de sauver des vies par une plus grande sensibilisation au cancer du sein et par un appui durable aux patientes qui en souffrent (ce qui implique d'éliminer les obstacles au traitement, dont l'absence d'assurance, de transport et de garderies ainsi que les problèmes linguistiques ou culturels). Au cours des dix dernières années, nous avons administré l'unique groupe de soutien aux victimes du cancer du sein à Dubaï et permis à de nombreuses survivantes de se réunir une fois par mois pour relaxer, socialiser et parfaire leurs connaissances autour d'un bol de chocolats.

Pour compléter ce tableau, Brest Friends s'est récemment associé à la Fondation Al Jalila, une ONG établie par son altesse le Sheikh Mohammed Bin Rashid Al Maktoum, gouverneur de Dubai, vice-président et premier ministre des Émirats arabes unis. Notre mission conjointe est de promouvoir la détection précoce du cancer du sein et d'en faciliter le traitement. Un aspect encore plus fondamental de notre mission consiste à financer la recherche épidémiologique du cancer du sein à l'échelle locale et régionale.

Il est paradoxal que le cancer du sein soit aussi inspirant. Le mouvement social qui a essaimé dans le but de le combattre m'a appris que cette maladie n'est pas nécessairement mortelle. Sa détection précoce et les soins appropriés font toute la différence. Je peux affirmer honnêtement que je ne vois plus autant de cas avancés que lorsque j'étais stagiaire. Des femmes originaires des Émirats viennent parfois me voir à des fins préventives. Lorsque je leur demande quel est le problème, elles me répondent simplement : « Je veux juste être examinée. »

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