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Sénégal: une élection présidentielle verrouillée par l’actuel président Macky Sall

L’instrumentalisation de la justice à des fins politiques favorables au pouvoir est une réalité encore aggravée sous le régime de Macky Sall.
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Le président du Sénégal, Macky Sall.
Yoan Valat/Pool via AP
Le président du Sénégal, Macky Sall.

Le Sénégal a toujours été considéré, à juste titre, comme un modèle démocratique en Afrique et n'avait même rien à envier aux démocraties dites les plus avancées au monde. Mais depuis son accession au pouvoir, le président Macky Sall ne cesse de piétiner les acquis démocratiques, de multiplier les interdictions de manifestation citoyenne et politique au Sénégal et de museler l'opposition et les mouvements citoyens (emprisonnement de plus de 70 prisonniers politiques ou pour délit d'opinion, parfois sous le prétexte de la reddition de comptes, alors qu'il excelle dans une justice sélective (Sénégal: quand l'opposition passe par la case prison).

La section sénégalaise d'Amnesty International a d'ailleurs été sévèrement critiquée par le gouvernement sénégalais lorsqu'elle avait publié, à juste titre, en mai 2013 un rapport accablant sur l'actuel gouvernement. En 2018, le constat a été aussi cinglant sur «les procès inéquitables, la liberté de réunion, la liberté d'expression, etc.». Au chapitre du recul de la liberté d'expression, le rapport d'Amnesty International 2017-2018 déplorait ceci: «Des journalistes, des artistes, des utilisateurs des médias sociaux et d'autres personnes qui exprimaient des opinions dissidentes ont été arrêtés de manière arbitraire.»

Déconnexion entre le président Macky Sall et le peuple sénégalais

Force est de constater cette déconnexion, particulièrement sur les questions d'État de droit, de respect des libertés individuelles, associatives et de démocratie.

Un rappel des faits s'impose toutefois pour permettre à l'opinion internationale de mieux comprendre le climat politique dans lequel se trouve actuellement le Sénégal et les conséquences sur la paix sociale et la stabilité politique, principales ressources du Sénégal.

Plusieurs faits démontrent l'instrumentalisation de l'appareil judiciaire par le président Macky Sall pour écarter des adversaires politiques à l'élection présidentielle, notamment Karim Wade et Khalifa Sall. Celui qui incarne à la fois l'exécutif, le législatif (majorité mécanique à l'Assemblée nationale) et le judiciaire (présence au Conseil supérieur de la magistrature) aurait juré «de mourir plutôt que de perdre le pouvoir». Il prépare ainsi l'opinion à un passage en force pour une réélection au premier tour.

Le cas de l'ancien ministre Karim Wade exilé ou déporté à Doha, au Qatar

La condamnation de Karim Wade par la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), une juridiction d'exception réactivée par Macky Sall, a amené aujourd'hui le gouvernement à contester son droit de s'inscrire sur les listes électorales, pendant une durée de cinq ans (article L.31). La demande d'inscription de l'ancien ministre sur les listes électorales, le 16 avril 2018, à l'ambassade du Sénégal au Koweït, circule pourtant toujours sur les réseaux sociaux.

Pour la première fois dans une élection présidentielle, l'État sénégalais a modifié, par un projet de loi du 18 juin 2018, une disposition du code électoral en y introduisant le terme «électeur», stipulant «ne peut pas être éligible celui qui n'est pas électeur, article L.57», dans le but d'empêcher un seul candidat à l'élection présidentielle de briguer les suffrages des Sénégalais. En effet, des dispositions dans le code électoral sénégalais interdisent de s'inscrire sur les listes électorales en cas de condamnation à une peine de cinq ans ou plus.

Or, la décision du Comité de l'ONU sur les droits de l'homme du 22 octobre 2018 demandait à l'État sénégalais «la réexamination» du dossier de Karim Wade condamné «pour enrichissement illicite le 23 mars 2015, à six ans de prison ferme et 320M$ canadiens d'amende avec la confiscation de tous ses biens». Le comité onusien déclarait que: «la déclaration de culpabilité et de condamnation contre [Karim Wade] doit être réexaminée», puisqu'elle ne respecte pas le droit, n'offre pas de recours juridique, une sorte d'appel dans la juridiction européenne et nord-américaine.

En langage non diplomatique, la condamnation de Karim Wade par une cour spéciale controversée — qui n'a aucun équivalent juridique dans le monde est donc nulle et non avenue, car ne garantissant pas un procès juste et équitable — applique le principe du renversement de la charge de la preuve.

Que l'on aime Karim Wade ou non, il faut reconnaître que ses droits ont été bafoués. Le paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont le Sénégal est signataire, n'est pas le seul à avoir condamné l'État sénégalais. Les multiples victoires internationales du candidat à la présidentielle, Karim Wade, sont récemment résumées dans un récent communiqué du collectif de ses avocats.

Après son emprisonnement et sa déportation au Qatar, le président Macky Sall s'en est pris à un deuxième adversaire de taille, le maire socialiste de Dakar.

Le cas du député et maire de Dakar Khalifa Sall

Un audit de l'Inspection générale de l'État dans les comptes de la mairie de Dakar avait épinglé le maire alors qu'au même moment, d'autres dossiers de détournement des partisans du président dormaient dans les tiroirs. Une procédure judiciaire expéditive a été appliquée à Khalifa Sall, qui a été condamné à cinq ans de prison.Trois de ses huit coaccusés devront aussi verser «solidairement» la somme de 4M$CAD, alors que des accusations de détournement s'élevant à plusieurs millions de dollars sont portées contre des personnalités favorables au régime, mais sans qu'ils en soient inquiétés.

Si le maire khalifat Sall avait décidé de se ranger derrière le président Macky Sall, c'est-à-dire renoncer à ses ambitions présidentielles, ce candidat au scrutin présidentiel ne serait jamais inquiété ou condamné pour «escroquerie aux deniers publics», «faux et usage de faux dans des documents administratifs» et de «complicité en faux en écriture de commerce». Personne n'entendrait alors parler de «cette pratique courante».

«Présomption d'innocence bafouée, détention arbitraire, violation du droit à l'assistance d'un avocat et à un procès équitable...», des griefs de l'arrêt de la Cour de la Cedeao du 29 juin, résumé par Jeune Afrique. La loi sénégalaise n'interdit pas à un candidat de se présenter aux élections présidentielles tant qu'il n'y a pas de condamnation définitive. La précipitation anormale de la programmation du dossier visait à le condamner définitivement en lui créant un casier judiciaire; un casier judiciaire vierge étant une condition essentielle pour être admissible à la candidature. Me Assane Dioma Ndiaye, Président de la Ligue sénégalaise des Droits de la personne (LSDH), affirmait que Khalifa Sall était victime d'une justice instrumentalisée, regrettait la «coïncidence entre le programme politique et le programme judiciaire» et exigeait la fin d'une justice aux ordres du pouvoir.

Les emprisonnements de l'ancien ministre Karim Wade et du maire Khalifa Sall ne visaient nullement à répondre à la demande sociale, mais plutôt à régler des comptes personnels politiques.

Toutes les décisions juridiques sénégalaises prononcées contre Karim Wade et Khalifa Sall ont été contestées par les instances juridiques internationales, du fait qu'elles n'ont pas garanti un procès juste et équitable pour ces deux leaders candidats à l'élection présidentielle.

Le président doit déverrouiller l'élection en permettant à tous les candidats de se présenter librement au nom de la démocratie et de la stabilité sociopolitique du Sénégal.

La récente entrevue sur France 24 (de 5:28 à 12:15) du président Macky Sall est un aveu de taille sur ses règlements de compte politique avec ses deux farouches adversaires. L'instrumentalisation de la justice à des fins politiques favorables au pouvoir est une réalité encore aggravée sous le régime de Macky Sall. La Ligue sénégalaise des Droits de la personne, la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l'homme, le forum du Justiciable, l'Association des chroniqueurs judiciaires et Amnesty International, de la section sénégalaise, ont récemment mis en place une plateforme des Acteurs de la société civile pour l'indépendance de la Justice (PASCIJ).

Une justice inféodée au pouvoir même s'il existe toujours en son sein des juges et magistrats indépendants. C'est le président Macky Sall lui-même qui avouait, en août 2014, dans une entrevue à Jeune Afrique «avoir mis sous le coude des dossiers de justice» au sujet du dossier de la traque des biens mal acquis. «Il n'y a pas d'acharnement, sur qui que ce soit. Vous seriez surpris par le nombre de dossiers auxquels je n'ai pas donné suite.»

L'obsession du deuxième mandat du président

Le président Macky Sall doit déverrouiller l'élection du 24 février, en permettant à tous les candidats de se présenter librement à l'élection présidentielle, au nom de la démocratie et de la stabilité sociopolitique du Sénégal. En éliminant ses deux redoutables adversaires politiques, en l'occurrence Karim Wade et Khalifa Sall, le président sénégalais pense s'offrir un boulevard qui le mènera à un deuxième mandat.

Il est le seul candidat à l'élection présidentielle à avoir accès intégralement au fichier électoral, une iniquité dans un État de droit pour les candidats de l'opposition qui ont souvent exigé, en vain, l'accès à un fichier réel et équitable. La fiabilité du fichier électoral a été remise en cause dans le cadre du parrainage citoyen par les révélations explosives du journaliste investigateur Mamadou Bane sur l'existence de deux fichiers électoraux et des preuves accablantes ont été aussi fournies par certains candidats recalés.

«Prison à ciel ouvert» pour certains leaders de l'opposition, marquage à la culotte du candidat Idrissa Seck par les Renseignements généraux dans toutes ses tournées au Sénégal, les gestes du président sénégalais pour intimider les opposants présidentiables se multiplient sans cesse.

Le président Macky Sall a par ailleurs radié de la fonction publique un lanceur d'alerte dont le seul crime est d'avoir diffusé, dans un langage accessible aux Sénégalais, les injustices fiscales. L'ancien inspecteur principal des impôts et domaines, par ailleurs leader du parti Patriote du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), Ousmane Sonko, est aujourd'hui le candidat à abattre du régime depuis la sortie de son livre Solutions, dans lequel il présente sa vision d'un Sénégal nouveau. Ce jeune leader charismatique propose un changement du système et une politique participative, a brillamment exposé les différents actes posés par le président candidat Macky Sall pour dérouler arbitrairement son coup de force électorale.

Seules une mobilisation citoyenne et une intervention de la communauté internationale peuvent faire reculer, avant qu'il ne soit trop tard, le président le plus impopulaire de l'histoire du Sénégal.

Lire la suite de ce billet sur le blogue personnel de Doudou Sow.

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