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En finir démocratiquement avec le régime de Macky Sall au Sénégal

Le président a érigé en système une justice sélective et une mauvaise gouvernance économique.
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Michele Cattani/AFP via Getty Images

Le Sénégal, qui a connu une belle histoire avec deux alternances démocratiques en 2000 et en 2012, et aucun coup d'État, constituait un modèle de la démocratie africaine. Mais depuis son arrivée au pouvoir, le président Macky Sall a posé successivement des gestes antirépublicains et dictatoriaux, sans être nullement inquiété.

Celui qui est allergique à la critique sortait encore renforcé de ses rapports de force avec l'opposition qu'il avait juré de réduire à «sa plus simple expression». Prenant en otage le peuple sénégalais, il n'a cessé de dérouler son plan de confiscation du pouvoir tout au long de son mandat présidentiel (reniement du mandat de 7 ans à 5 ans, emprisonnement et déportation de l'ancien ministre Karim Wade, emprisonnement de l'ex-maire et député Khalifa Sall, imposition du référendum et du parrainage, choix des candidats et des électeurs pour l'élection présidentielle, coup de force électorale par des stratagèmes de fraude électorale déjà mis en place lors des élections législatives de 2017).

En réalité, ce qui ne l'a pas tué l'a rendu plus fort, malheureusement sur le dos et l'honneur du peuple sénégalais. Ses réalisations sur le plan du respect des droits humains, de la démocratie, du dialogue national et de la bonne gouvernance sont incontestablement une catastrophe pour l'image du Sénégal. Un bilan mitigé sur la gouvernance économique, la politique de l'emploi des jeunes et l'amélioration de la qualité de vie des Sénégalais.

Quel bilan?

La bonne gouvernance a toujours été une préoccupation fondamentale de la population sénégalaise. Le gouvernement de Macky Sall s'était engagé pourtant à plus de transparence dans la gestion des deniers publics. Sur la chaîne d'une télé privée sénégalaise, Sen TV, le leader politique, Ousmane Sonko, dénonçait, en juillet 2016, un scandale relatif au fait que «le gouvernement qui a encaissé 22 milliards de francs CFA (l'équivalent de 50 M $CAN) sur la transaction d'exploitation des blocs pétroliers Saloum On Shore et Sénégal Sud n'a jamais versé ces fonds dans les caisses du trésor public sénégalais». Quand le président de la République du Sénégal Macky Sall se réclame chantre de la bonne gouvernance, le peuple sénégalais s'attend à ce qu'il allie la parole aux actes.

Si l'on se fiait aux déclarations d'un président qui se targuait d'une «gestion sobre, transparente et vertueuse», cet inspecteur des impôts qui possède 15 ans de bons et loyaux services dans la fonction publique, devrait être promu pour son travail de conscientisation sur la bonne gouvernance économique. M. Sonko, le porte-étendard de la compétence et des valeurs de transparence, a été radié parce qu'il dénonçait les iniquités fiscales ou cas de délinquance fiscale, des faits connus par tous les Sénégalais et accessibles dans des rapports publics.

Autre dérive du président sur les questions de bonne gouvernance, c'est le limogeage de la présidente de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (l'OFNAC) Nafi Ngom Keïta. Selon certaines informations, Mme Keïta s'apprêtait à publier un rapport incriminant la gestion du frère du président Macky Sall dans le dossier du pétrole sénégalais. Elle avait fait le déplacement aux États-Unis pour y mener des enquêtes complémentaires. Cette femme avait jugé illégal le décret de limogeage du président Macky Sall à son endroit et certains membres de l'opposition et de la société civile parlent également de la violation de la loi par le président sénégalais.

Le président sénégalais souhaiterait que la transparence dans la gestion du pétrole sénégalais soit un sujet tabou dans la conscience collective des Sénégalais.

Toutes les personnalités qui dénoncent la mauvaise gestion ou les scandales financiers de son frère Aliou Sall suscitent la colère noire du président Macky Sall. Toutes les personnes qui se préoccupent de la gestion saine de nos ressources naturelles par le président et son frère ont reçu le couperet y compris les cinq enquêteurs impliqués dans l'établissement des faits.

Le président sénégalais souhaiterait que la transparence dans la gestion du pétrole sénégalais soit un sujet tabou dans la conscience collective des Sénégalais. Lui et sa famille seuls, doivent avoir le droit de décider comment on devrait gérer les maigres ressources actuelles et futures des contribuables sénégalais.

Celui qui soutient «(avoir) mis en œuvre (depuis 2012 des) politiques avec des finances publiques mieux gérées sur la base de principes de bonne gouvernance et une croissance économique soutenue, en hausse régulière» oublie souvent de souligner qu'il a érigé en système une justice sélective et une mauvaise gouvernance économique.

Des accusations de détournement s'élevant à plusieurs millions de dollars sont portées contre des personnalités favorables au régime, mais sans que celles-ci ne soient inquiétées. (218 M $CAN du directeur des domaines et le scandale des 67 M $CAN disparus du Programme des domaines agricoles communautaires.)

Jeunes et emplois

Le chef d'État qui avait promis de créer, en avril 2012, des milliers d'emplois pour des jeunes plus précisément 500 000 emplois «dans un pays où, tous les ans, environ 200 000 jeunes diplômés arrivent sur le marché du travail» est incapable de tenir ses engagements. Il ne faut pas donc s'étonner de voir davantage de jeunes préférer l'exil même dans des conditions dramatiques.

Le rôle d'un gouvernement est de créer des conditions pour permettre aux jeunes d'avoir un emploi décent et durable en fonction de leurs qualifications et compétences. Il ne suffit pas seulement de se réfugier sur le manque de qualifications des jeunes pour se déresponsabiliser. Selon l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), les jeunes de moins de 20 ans, qui représentent 52,7 % de la population sénégalaise et 60% des demandeurs d'emplois au Sénégal, n'ont aucune qualification professionnelle. Le taux de chômage chez la cible 15-35 ans varie de 12,7 % à 26,6 %.

Comme le président Macky Sall se vante d'avoir un bon bilan économique, la qualité de l'environnement des affaires rendue publique en janvier 2019 vient relativiser son triomphalisme.

Dans un article du journal Walf quotidien, repris par Xalimasn, intitulé Classement 2019 du magazine Américain Forbes: Le Sénégal de Macky Sall parmi les derniers, il est fait mention que «depuis sept ans, les autorités étatiques tympanisent l'opinion nationale et internationale sur la qualité de l'environnement des affaires du pays. Pourtant, le Sénégal perd des places dans l'ensemble des classements sur la compétitivité économique des pays du monde ou du continent africain. Ce qui montre une dégradation de l'environnement des affaires dans le pays (100e sur 161 pays)».

«Il faut souligner que ce classement du magazine américain se base sur 15 critères, poursuit l'article. Il s'agit entre autres le droit de propriété, l'innovation, les taxes, la corruption, la liberté personnelle, économique et monétaire, la bureaucratie et la protection des investisseurs, la disponibilité de la main-d'œuvre, les infrastructures, la taille du marché et la qualité de vie».

Le bilan ne se mesure pas seulement sur les infrastructures mais sur les valeurs régissant les institutions, l'amélioration de la qualité de vie, la lutte contre le chômage et la bonne gouvernance.

En sept ans d'exercice, il n'a amélioré ni le sort économique des Sénégalais, encore moins leur qualité de vie (santé, éducation, logement, augmentation du pouvoir d'achat ou amélioration du panier de la ménagère, etc.). Des femmes qui meurent lorsqu'elles accouchent ont des difficultés pour obtenir des ambulances pour les transporter ou ne trouvent pas d'équipements adéquats (plateau technique) dans les hôpitaux pour mettre au monde leurs bébés. «C'est un scandale au Sénégal...Le PSE avec tous ces milliers de milliards ne peut pas offrir un lit d'accouchement aux femmes», titrait ainsi un journal sénégalais.

Le bilan ne se mesure pas seulement sur les infrastructures mais sur les valeurs régissant les institutions, l'amélioration de la qualité de vie, la lutte contre le chômage et la bonne gouvernance. C'est le rôle même du président de la République de construire des infrastructures, surtout avec des budgets colossaux en sa disposition. On constate que plusieurs projets d'infrastructures entraînent des surcoûts estimés à des milliards de dollars endettant du coup des générations actuelles et futures alors que des besoins de base ne sont pas pris en compte (hôpitaux, écoles, accès à l'eau potable, autosuffisance alimentaire, etc.). Le président Macky Sall qui a redressé l'usine française d'Alstom de Belfort en sauvant des emplois s'est endetté au nom du Sénégal pour un «TER de 30km (qui) coûte à peu près 1 milliard €, alors que le TGV marocain de 300km coûte 2 milliards», fustigeait l'architecte international Pierre Goudiaby Atepa.

Le Sénégal devant un choix

Le Sénégal qui est à la croisée des chemins peut choisir un des cinq candidats dont quatre ont échappé à l'élimination ou l'instrumentalisation politique (l'ancien inspecteur des impôts Ousmane Sonko (44 ans), l'expert sur les questions électorales Issa Sall (63 ans), l'avocat Me Madické Niang (65 ans), l'ancien premier ministre Idrissa Seck (59 ans) et Macky Sall (57 ans), candidat à sa propre succession).

La figure montante de l'opposition Ousmane Sonko incarne «l'antisystème» optant ainsi pour une rupture systémique, une position qui rejoint l'écrasante majorité des jeunes tout comme ceux qui rêvent d'une démocratie participative. Le candidat Idrissa Seck a une expérience d'État avérée et en est à sa troisième tentative. L'informaticien Issa Sall est une force tranquille dirigeant un parti discipliné et structuré qui a beaucoup progressé dans l'électorat.

La réélection du président Macky Sall apparaîtra comme une caution, une carte blanche du peuple sénégalais pour la poursuite de l'impunité, de la privation des droits, de la mauvaise gouvernance, du népotisme, de la spoliation des ressources naturelles, bref une prime contre la démocratie. La consolidation d'un seul parti politique, le Sénégal, est la boussole de plusieurs citoyens engagés pour la restauration de la dignité humaine, la sauvegarde de la démocratie et l'instauration d'un État de droit.

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