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La médicalisation et la médicamentation des difficultés de l'existence

Comment s'étonner si le spectre de la «maladie mentale» ne cesse de s'élargir si l'on scelle d'un sceau de pseudo science une foule d'événements, d'émotions, d'affections?
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Aujourd'hui, vendredi 10 octobre, c'est la Journée mondiale de la santé mentale. Une journée où il sera amplement question de diagnostics psychiatriques, mais très peu de la médicalisation du social et de son corollaire, la médicamentation.

On peut l'appeler la médicalisation du quotidien, du social, de l'existence, des problèmes sociaux ou des étapes normales de la vie, mais elle renvoie au même phénomène : celui de qualifier des problèmes non médicaux de pathologiques. On assiste ni plus ni moins à un passage du «normal» au «médical».

La médicalisation n'est pas que l'apanage de la psychiatrie. Ainsi, on médicalise la naissance, la reproduction, la mort, la sexualité, la ménopause, l'enfance, l'adolescence, la vieillesse, les difficultés scolaires, la timidité, la gourmandise, la tristesse, la peine d'amour, la perte d'emploi et plus encore! Il ne s'agit pas non plus d'un phénomène nouveau, mais la publication du DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) en mai 2013 l'a certes exacerbé.

Plus que jamais, la souffrance psychique et sociale est traitée comme un trouble de comportement. Faut-il rappeler que depuis le DMS-5, une personne en deuil pourrait souffrir de «dépression majeure» si ses symptômes persistent au-delà de... deux semaines!

Cet exemple illustre à lui seul à quel point on assiste à la baisse du seuil de tolérance face aux problèmes sociaux et à la souffrance psychique. Ainsi, il n'est pas rare que des membres de l'entourage incitent un proche à consulter en expliquant que telle réaction ou tel état émotionnel semble anormal et qu'un traitement pharmacologique doit pouvoir y répondre. L'entourage ira même à parler de déficit de sérotonine dans le cerveau pour persuader, avec les meilleures intentions, un tiers de consulter!

Or, la psychiatrie n'est pas une science exacte. À preuve, quand un psychiatre émet un diagnostic, il se base sur des symptômes répertoriés dans le DSM-5, aucun test physique ne pouvant confirmer le diagnostic psychiatrique. Mais l'idée, soutenue par moult psychiatres et professionnels de la santé, ainsi que par des médias peu critiques, que les problèmes de santé mentale ont une origine biologique est largement répandue, bien qu'il ne s'agisse que d'une hypothèse. C'est ce qu'on appelle l'hypothèse biochimique.

Comment s'étonner si le spectre de la «maladie mentale» ne cesse de s'élargir si l'on scelle d'un sceau de pseudo science une foule d'événements, d'émotions, d'affections? Et qui dit «maladie», dit «pilules» n'est-ce pas? Ne sommes-nous pas conditionnés, depuis l'absorption de nos premiers antibiotiques, à avaler la pilule sans trop de questions parce qu'elle nous fera du bien? Après tout, la médication n'incarne-t-elle pas la technologie, le progrès, le pouvoir de guérir?

Il faut dire que l'hypothèse biochimique comporte bien des «avantages». Elle permet de tout aborder comme n'importe quel problème d'ordre physiologique, ce qui vient légitimer, en quelque sorte, le fait de privilégier la pilule comme traitement. Il ne faut pas se le cacher, il est plus facile de prescrire que de rechercher les causes psychosociales des problèmes de santé mentale et des maux de notre société!

Les résultats sont lourds de conséquences : une banalisation du geste de prescrire et de consommer un médicament.

La médication apparaît donc, trop souvent, comme la seule réponse. Dans l'imaginaire collectif, le mythe d'une médication efficace et indispensable persiste, renforcé par les médias qui présentent les médicaments de façon généralement positive et peu critique, et par les compagnies pharmaceutiques dont les pratiques de promotion obéissent à une éthique pour la moins douteuse.

Dans les faits, les psychotropes ne diminuent pas toujours les symptômes qu'ils sont censés traiter, ils peuvent générer de nombreux effets indésirables lesquels nécessitent la prise d'autres médicaments, et ainsi de suite! Malgré tout, notre société médicalisée perçoit les effets secondaires comme étant un moindre mal, la sanction médicale dont ils font l'objet étant plus forte que le poids des critiques.

Lors de la dernière révision du DMS, le diagnostic de dépendance (addiction) à Internet a été rejeté en raison de l'indignation qu'il a soulevée. En sera-t-il toujours ainsi?

À force de voir tous les comportements différents, dérangeants, contre-productifs comme des troubles, la société en viendra-t-elle à désirer de plus en plus de diagnostics pour «soigner» (normaliser!) ceux qui en «souffrent» sans trop se poser de questions?

Si le passé est garant de l'avenir, nous pouvons craindre le pire. L'étau de la médicalisation se resserre, le seuil de tolérance face aux problèmes sociaux et à la souffrance psychique est en chute libre et pendant ce temps, le rang des personnes sous médication psychotrope se gonfle entraînant une foule de conséquences néfastes sur la santé publique. Pas étonnant que les pronostics de l'Organisation mondiale de la santé soient si sombres : d'ici 2030, les problèmes de santé mentale représenteront la principale cause de morbidité dans les pays industrialisés.

Il est donc impératif de renverser la tendance. D'une part, il faut collectiviser les problèmes psychosociaux, c'est-à-dire agir sur les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent, vieillissent ainsi que sur les systèmes mis en place pour faire face aux problèmes psychosociaux et à la maladie.

D'autre part, il est grand temps de repenser la façon d'aborder la souffrance pour cesser de la «pathologiser». Il faut revenir à la souffrance singulière des personnes, à leur récit personnel, au contexte dans lequel évolue cette souffrance. Il faut revenir aux sages paroles que l'on peut lire dans le Rapport Harnois, ayant donné naissance à la Politique de santé mentale (1989) : «Je suis une personne, pas une maladie.»

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