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La pratique aberrante du pourboire

On n'est pas responsables des gens qui ont un mauvais salaire et on n'a pas, en leur donnant de l'argent supplémentaire pour un service reçu, à équilibrer leur paie.
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Au Québec, trois salaires minimums ont été établis: un taux général, un taux pour les salariés de l'industrie du vêtement et un taux pour les salariés aux pourboires. Pour la Commission des normes du travail, «le pourboire comprend les sommes remises volontairement par les clients au salarié, ou les frais de service ajoutés à leur note».

Grosso modo, la pratique du pourboire consiste, pour un client, à remettre sur une base volontaire une somme supplémentaire à la facture, et ce, proportionnellement à la qualité du service reçu. La logique du pourboire s'étend sur deux fronts: d'une part, permettre au client de se prononcer sur la qualité du service en remettant une somme de son choix, d'autre part encourager un employé, sachant qu'une somme supplémentaire peut lui être versée, à offrir un bon service.

Le pourboire est probablement l'une des pratiques les plus aberrantes du monde du travail.

Puisque les salariés aux pourboires sont rémunérés sur la base d'un taux horaire se situant sous le taux général du salaire minimum, cela devient en soi une raison pour en recevoir. Autrement, ils n'accepteraient pas d'être sous-rémunérés et iraient travailler ailleurs, au moins au salaire minimum. Sur la base de ce raisonnement, le pourboire est donc pris pour acquis, voire comme un droit, pour les salariés de ce domaine, alors qu'il s'agit en vérité d'un privilège. Pour plusieurs clients, cet argument de la sous-rémunération est aussi une raison les incitant à en donner.

Déjà, la logique du service/satisfaction accolée au pourboire ne tient pas. Les clients donnent toujours du pourboire et les salariés s'attendent toujours à en recevoir, même si le service a été moyen ou mauvais.

Dans le même esprit, plusieurs personnes affirment que, puisque les salariés aux pourboires ont un mauvais salaire de base, leur donner du pourboire est une façon de leur assurer de meilleurs revenus. Des tas de salariés sont rémunérés au salaire minimum: le commis à la boulangerie, la caissière au supermarché et le travailleur à l'usine. Pourquoi faudrait-il se soucier uniquement du sort économique des salariés à pourboires? On n'est pas responsables des gens qui ont un mauvais salaire et on n'a pas, en leur donnant de l'argent supplémentaire pour un service reçu, à équilibrer leur paie.

Il est d'ailleurs de mauvaise foi d'affirmer que tous les salariés aux pourboires sont dans une situation économique précaire. On sait à quel point les serveuses dans les restaurants et les bars font énormément d'argent à l'aide de leurs pourboires.

Une autre aberration du pourboire est qu'il est souvent calculé sur le montant de la facture, et non pas uniquement sur la qualité du service obtenu. La coutume au Québec en matière de pourboire est de donner environ 15% du montant de la facture. Si on commande une boisson gazeuse et une assiette de pâtes et que la facture s'élève à 15 $, on donnera environ 2,25 $. Si on commande une bouteille de vin et un filet mignon et que la facture s'élève plutôt à 60 $, on donnera environ 9 $. L'aberration est bien entendu que le montant de la facture ne reflète en rien la qualité du service qui a été rendu au client. Dans cet exemple tiré du milieu de la restauration, le serveur a travaillé de manière identique dans les deux cas.

Un autre argument souvent mis de l'avant par les adeptes du pourboire est celui voulant que les salariés qui en bénéficient travaillent sous pression. Les restaurants, les hôtels et les bars sont bondés de clients qui veulent être bien servis et qui sont parfois pressés, ce qui justifierait la nécessité d'offrir un bon service et, par le fait même, de donner ou de recevoir du pourboire.

Cet argument ne tient pas la route.

Premièrement, ces salariés sont loin d'être les seuls à travailler sous pression. Dans tous les domaines, la majorité des travailleurs le sont. D'ailleurs, il serait assez farfelu de prétendre que les salariés aux pourboires subissent un niveau de pression insupportable. Au contraire, il ne serait pas surprenant que le niveau de pression de cette catégorie d'employés provienne justement du fait qu'ils travaillent à pourboire et qu'ils désirent en obtenir le plus possible. C'est probablement la possibilité d'obtenir un pourboire qui cause de la pression, et non l'inverse.

Outre les travailleurs du domaine de la restauration et de l'hôtellerie, plusieurs autres emplois sont rémunérés partiellement avec des pourboires. C'est le cas par exemple des pompistes, des coiffeuses et des camelots. Quel est le niveau de stress du pompiste à la station-service? Quel est le niveau de stress du camelot?

Deuxièmement, il n'y a pas que dans les hôtels, les restaurants et les bars qu'on désire être bien servis et qu'on est pressés. On désire être bien servi partout et on est pressé la majorité du temps.

Certains soutiendront une prémisse discutable qui avance que si le pourboire n'existait pas, les salariés actuellement à pourboires feraient moins bien leur travail. Ils se soucieraient moins de la qualité de leur travail et travailleraient plus lentement. Ce postulat semble farfelu, car si un tel phénomène se produisait, les employeurs auraient tout simplement à faire comme dans n'importe quelle entreprise, c'est-à-dire licencier les employés qui n'atteignent pas le rendement exigé.

Finalement, une autre aberration concerne la notion de «service» pour catégoriser le domaine d'emploi des salariés à pourboires. La catégorie de gens qui «doivent» recevoir un pourboire est très arbitraire. L'Occident en entier est une société de services!

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