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La France ne sera pas déstabilisée

L'échec terrible de ce 13 novembre, qu'il faut regarder en face, n'annule pas les nombreuses années de réussite qui précèdent. Les djihadistes n'ont pas les moyens de leurs ambitions démesurées.
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Les massacres absurdes qui ont eu lieu à Paris le vendredi 13 novembre 2015 ne sont une surprise pour personne, et ce ne sont, hélas, certainement pas les derniers attentats de cette nature sur le sol français ou occidental. La politique de terreur engagée par l'État islamique en Syrie et en Irak et ses intentions terroristes à l'égard des «infidèles» sont, depuis longtemps, clairement affichées, et font même l'objet d'une publicité maximale.

Un carnage comme celui qui vient d'avoir lieu à Paris, immédiatement répercuté dans le monde entier, porte à son maximum d'intensité la stratégie terroriste: perturber les esprits, affaiblir les volontés.

Il ne faut toutefois pas confondre la publicité avec la qualité du produit. C'est précisément l'une des obsessions de ce que, faute d'un meilleur mot, on appellera le «djihadisme», que de chercher à masquer ses faiblesses par la maîtrise de la communication, des réseaux sociaux et par le terrorisme spectaculaire.

L'enjeu, pour lui, est vital puisque, de cette publicité et de ce spectacle de sang, dépend en partie sa capacité de mobilisation. Il est donc vital pour nous de garder présente à l'esprit la part mensongère d'une telle communication, et de rétablir, par l'intermédiaire de l'analyse géopolitique disponible dans les livres, une évaluation de la situation plus conforme aux véritables rapports de forces.

Les attentats de vendredi sont, certes, une preuve supplémentaire et manifeste de la détermination, de la capacité d'organisation et de destruction des mouvements islamistes radicaux. Il serait vain d'en démystifier le discours en faisant l'erreur inverse d'en sous-estimer la force. Ce n'est pas jouer au prophète que de dire qu'il y aura d'autres boucheries, d'autres familles salement endeuillées. Il nous faudra encore, et encore, descendre dans les rues de Paris ou d'ailleurs, et, inlassablement, placarder l'affiche de Spinoza comprenant ces deux mots: Ultimi Barbarorum.

Mais s'il est, de fait, dangereux de sous-estimer l'adversaire, il ne l'est pas moins de relayer de manière quelque peu bruyante ses fantasmes et de faire comme si l'État islamique avait les moyens de mettre l'Europe, ou la France, à genoux. Les djihadistes n'ont pas les moyens de leurs ambitions démesurées.

L'échec terrible de ce vendredi 13 novembre 2015, qu'il faut regarder en face, n'annule pas les nombreuses années de réussite qui précèdent: on parle peu des attentats déjoués, cela ne veut pas dire qu'ils n'y en ait pas.

Il y en a, au contraire, beaucoup. Ils témoignent, en réalité, du haut degré de protection dont bénéficie généralement la population. La qualité reconnue des services de police français ne doit toutefois pas nous rendre aveugles sur les graves insuffisances propres à la France, non moins réelles, auxquelles les gouvernements de droite et de gauche, vont devoir s'attaquer - enfin ! - sérieusement: il est urgent de rompre avec l'ancienne «politique de la ville», dont l'échec est patent, et de rétablir progressivement la force du droit dans ce qu'il est convenu d'appeler les «zones de non-droit» du territoire national. Exercer des responsabilités politiques ne peut pas consister seulement ou principalement à soigner la communication ou à afficher son émotion dans les circonstances tragiques. La politique relève de l'action et du risque. La parole politique n'a de sens que lorsqu'elle accompagne ces actions risquées, elle n'en a pas lorsqu'elle prétend se suffire à elle-même.

Pour l'État islamique non plus, la capacité à mobiliser de nouvelles recrues ne peut pas reposer uniquement sur la communication et les déclarations fracassantes. Il lui faut, sur le terrain, en Irak et en Syrie, remporter des batailles pour attirer de nouveaux combattants. Ce sont précisément ses premières victoires qui lui ont permis de faire venir sur place de nombreux volontaires. Mais ses capacités, sur le plan militaire, ne doivent pas être surestimées. Les bombardements de la coalition actuelle, ne peuvent certes pas, à eux seuls, régler le problème, mais ils réduisent de façon non négligeable la capacité d'action de l'adversaire. Nul doute que ces opérations ne soient, désormais, intensifiées. Les Kurdes, soutenus par les Occidentaux, ont montré et montrent encore leur efficacité.

Dans un article de mai 2015, Gérard Chaliand, écrivait: «On est dans une guerre d'usure où Daech connaît un recul par rapport à l'année dernière. Nuisance considérable, le djihadisme, très coûteux à contrer doit être évalué à son aune : il ne peut remettre en cause le statu quo mondial - ce que la Chine, grâce à sa croissance économique, est en mesure de faire.»

C'est une constante des analyses géopolitiques de Gérard Chaliand que de chercher à distinguer ce qui, en raison de son caractère spectaculaire, attire l'essentiel de l'attention, notamment médiatique, et ce qui, bien souvent, reste inaperçu, mais modifie pourtant en profondeur l'ordre du monde: il faut, pour le percevoir, la distance historique sans laquelle la contextualisation, condition nécessaire de la compréhension, est impossible. La thèse centrale du livre que Gérard Chaliand a écrit en collaboration avec Michel Jan en 2013 (Vers un nouvel ordre du monde) est que le changement de rapport de forces qui se dessine sous nos yeux avec la fin de l'hégémonie absolue de l'Occident sur le reste du monde se joue très largement dans la zone géographique qui s'étend de l'Inde au Japon, notamment en raison de l'impressionnante montée en puissance de la Chine.

On oublie un peu trop souvent, en Europe ou en Amérique, qu'il y a, dans cette région du monde, environ 4 milliards d'êtres humains, dont l'activité n'est pas aussi spectaculaire que les décapitations de l'organisation État islamique, mais qui pourtant transforme, elle, en profondeur, le statu quo mondial. En réorientant leur stratégie vers l'Asie/Pacifique, les États-Unis ont pris acte de ce changement capital et visent désormais à contenir Pékin, notamment en soutenant plusieurs pays voisins de la Chine, inquiets de sa nouvelle puissance.

Le combat contre le djihadisme va, certes, se poursuivre avec détermination, mais le spectaculaire potentiel de nuisance de l'État islamique et des autres mouvements islamistes ne doit pas nous aveugler sur ce qui transforme en profondeur l'ordre mondial. Le djihadisme n'a rien à offrir à ceux qu'il soumet à sa politique de terreur, ni émancipation sociale, ni croissance économique. Il n'a pas d'autres perspectives que de répandre la terreur pour tenter d'imposer ses fantasmes. L'ivresse identitaire et la volonté de nuire ne sont pas, en elles-mêmes, suffisantes pour vaincre.

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