Madame, voilà deux pédagogues qui demandent à vous voir.
Quels pédagogues ?
Des pédagogues de la pédagogie ; ceux que vous attendiez sur les conseils de la Très Haute Faculté des Sciences de l'Éducation.
Madame, je vous présente mon fils Simplicio, qui doit prendre en charge l'éducation de votre fille Angélique.
Madame, je viens saluer en vous la gracieuse génitrice de l'apprenante que vous avez l'honneur de me confier.
On m'avait dit, Monsieur, qu'il me serait facile de reconnaître un vrai pédagogue à son langage et voilà que vous comblez toutes mes attentes en m'attribuant la grâce d'être une génitrice d'apprenante. Ceux qui continuent, en nos temps avancés, de parler de « parents » et d'« élèves » sont bien impertinents.
Ce sont des gens, Madame, qui vivent encore à l'âge industriel et qui n'ont pas compris que nous avions changé de paradigme.
Voilà ce que c'est d'étudier à la Faculté, on y apprend à appliquer de beaux concepts.
J'ai de nombreuses maîtrises, par exemple en gestion de l'éducation, en didactique de la didactique, en technologie éducative, en TIC, en TAC, en MOOC, en TRUC et en MUCHE. Ma modestie m'interdit d'aller plus loin, mais sachez que, contrairement aux professeurs de l'âge industriel, qui se cantonnent dans des stratégies pédagogiques désuètes, obsolètes, périmées, arriérées, antiques, archaïques, et qui, de ce fait, produisent des esprits à la chaîne, j'aide les apprenants, à l'heure des médias sociaux et des forums de discussion, à développer leurs propres stratégies éducatives. Car désormais, l'accès à l'information est direct et immédiat, sauf à l'école, hélas, où l'on brime nos futurs travailleurs dans l'utilisation des téléphones intelligents.
De nombreuses maîtrises ! Quel bonheur, Monsieur Diafoirus, d'avoir un garçon comme celui-là !
Angélique aura plaisir à être de ses apprenantes s'il fait d'aussi beaux cours qu'il fait de beaux discours.
Qui parle de cours ? Il nous suffit, aujourd'hui, d'envoyer nos capsules.
Madame, ce n'est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que c'est un vrai visionnaire qui, contrairement à un grand nombre de professeurs timorés, ose se lever pour déranger l'ordre établi. On ne souligne pas assez le courage qu'il faut pour aller ainsi à contre-courant en défendant ces idées nouvelles. Depuis plus de 30 ans, nous autres, pédagogues, nous sommes exclus de l'institution, et l'acharnement avec lequel la plupart des professeurs s'accrochent encore à leurs vieilles lunes explique l'état catastrophique des collèges d'aujourd'hui. Heureusement, la pédagogie n'est plus entièrement soumise au monopole de l'école car notre nouveau paradigme, le knowledge just in time, s'installe progressivement. Un jour viendra, Madame, où l'on pourra se passer entièrement de l'école pour instruire nos jeunes, et ce jour-là, Madame, nos jeunes..., nos jeunes..., eh bien nos jeunes seront instruits sans avoir eu besoin de l'école pour s'instruire.
Vous faites des miracles et ils sont bien impertinents ceux qui veulent les instruire à l'école. Mais nous n'avons pas présenté Simplicio à son apprenante, qui est pourtant au centre du système éducatif.
Dois-je mon père faire le compliment à Mademoiselle ?
N'oubliez pas, mon fils, que vous êtes libre et autonome !
Mademoiselle, je viens révérer et saluer en vous une adulte désormais libre de faire ses propres choix. Couvrez d'ailleurs ce sein que je ne saurais voir. Alors, que désirez-vous apprendre ?
Monsieur, je n'en ai pas la moindre idée, mais quand je vois quelle chaleur vous monte, je préférerais qu'on évite les auteurs licencieux.
Que veut dire « licencieux » ?
Vous l'ignorez donc ?
C'est qu'il est inutile aujourd'hui, Mademoiselle, de s'encombrer la mémoire avec le vocabulaire, l'orthographe, la syntaxe et, d'une manière générale, les normes de la culture classique. Il suffit de savoir où chercher l'information. Celle que je viens chercher dans ces murs, ce sont vos intérêts de jeune fille afin de vous faire parvenir sous peu les bonnes capsules. Alors, à quoi s'intéresse-t-on à votre âge ?
Eh bien... euh... mais...
Vous ne serez pas motivée, Mademoiselle, si vous ne choisissez pas vos affaires, et votre mère, gracieuse génitrice d'apprenante, se métamorphosera en disgracieuse génitrice de décrocheuse.
Je crois qu'elle ne vous écoute plus, l'impertinente, mais ce n'est pas de sa faute, elle a la dispersite, cette étrange maladie moderne.
À ma connaissance, c'est toute la famille qui a la dispersite.
J'ai sur la dispersite soutenu une thèse qu'avec la permission de Madame, j'ose texter à Mademoiselle comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit.
Textez, textez, c'est toujours bon à prendre, la poubelle de son cellulaire fait un bruit bien galant.
Nous autres, pédagogues, nous soignons la dispersite par une saignée qui eût fait l'admiration de nos vieux ancêtres Diafoirus, qui étaient tous médecins. Nous soignons comme eux le mal par le mal. Les élèves se dispersent-ils ? Nous introduisons la dispersion à l'école. Ont-ils du mal à se concentrer ? Nous varions sans cesse les activités. Éprouvent-ils des difficultés en orthographe ? Nous la confions à leur téléphone intelligent. Ne parviennent-ils plus guère à lire attentivement ? Nous introduisons la lecture rapide et immédiate. Sont-ils perdus dans des millions d'informations ? Nous leur demandons de consulter tous les sites qui expliquent de quelle façon maîtriser cette multiplicité. En un mot, nous les adaptons à la société moderne.
Si vous êtes aussi bon médecin que vous êtes bon pédagogue, il y aura plaisir à contracter la dispersite.
Cela a-t-il bien été mon père ?
Optime !
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