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Des combattants tchétchènes en Ukraine?

On ne se rend compte de l'importance de l'impact du facteur étranger sur le conflit ukrainien que lorsque des Tchétchènes, et plus largement des citoyens russes du Caucase du Nord se trouvent impliqués sur place... dans les deux camps.
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Il est évident que la question ukrainienne ne concerne pas que les Ukrainiens, et cela depuis longtemps. Mais on ne se rend compte de l'importance de l'impact du facteur étranger sur ce conflit que lorsque même des Tchétchènes, et plus largement des citoyens russes du Caucase du Nord se trouvent impliqués sur place... dans les deux camps. Bien sûr, il ne faut se laisser prendre au sensationnalisme prisé par certains géopoliticiens de salon, nous parlant de l'espace post-soviétique avec l'aplomb de ceux qui n'y vont plus beaucoup. À propos des Tchétchènes pro-russes, pour l'instant le chiffre le plus probable est de 500 combattants. Du côté des soutiens de Kiev, il suffit de se rappeler que le fameux bataillon "Dzhokhar Dudayev", du nom du premier président tchétchène, n'a en fait que 17% à 25% de ses 200 membres qui sont effectivement ethniquement des Tchétchènes. Mais ils apportent avec eux, le plus souvent, presque deux décennies d'expérience militaire. Les Tchétchènes pro-Kiev ont été très utiles pour perturber les lignes de ravitaillement des séparatistes. Et sans les Tchétchènes pro-russes, certaines des plus belles victoires des rebelles au pouvoir central, comme la prise de l'aéroport de Donetsk début 2015, n'auraient pas été possibles. Il ne serait donc pas superflu de comprendre les raisons d'une telle implication de Caucasiens du Nord aussi loin de chez eux...

Du côté des indépendantistes tchétchènes, en fait, il s'agit d'une longue histoire d'amitié avec les nationalistes ukrainiens, et d'un positionnement idéologique logique de leur point de vue. L'UNA-UNSO (Assemblée nationale ukrainienne - Autodéfense ukrainienne), aujourd'hui intégré au parti de droite dure Secteur droit a été un soutien non négligeable pour les rebelles dans le Caucase du Nord en 1994/1995. Des volontaires de ce groupe ont même formé une "Brigade Viking" (à peu près 200 hommes) pour combattre sur place et aider à la formation militaire des Tchétchènes. Nationalistes ukrainiens et tchétchènes sont devenus des compagnons d'armes, et il existe une dette de sang entre eux, des Ukrainiens étant mort au combat pour l'indépendance tchétchène. Certes, au-delà du nationalisme, les deux nations n'ont pas beaucoup de points communs... si ce n'est une haine viscérale de la Russie en tant que grande puissance. Bien des Tchétchènes l'ont compris dans les années 1990: se limiter à la lutte pour l'indépendance de leur seul territoire n'est pas suffisant pour les rendre assez forts face à Moscou. Le contrôle de leur territoire n'est possible qu'avec des alliés, et l'affaiblissement de la Russie.

Cette logique a rendu la rhétorique autour d'un "djihad" pour la "libération" de l'ensemble du Caucase du Nord nécessaire, en tout cas pour ceux qu'une évolution vers l'islamisme radical ne gênait pas. Mais cette formule elle-même trouve ses limites aujourd'hui: si Moscou n'a pas réussi à vaincre la rébellion de l'"Émirat du Caucase", ce dernier n'a pas réussi à s'imposer; le choix djihadiste a transformé d'anciens indépendantistes en pro-Russes, et a en partie marginalisé les séparatistes qui refusaient l'exploitation de la religion par une idéologie politique profondément étrangère à l'islam du Caucase. Il est de notoriété publique que le fondateur du bataillon Dudayev, Isa Munayev (mort au combat en Ukraine), pourtant nationaliste convaincu, a pris ses distances avec le leadership tchétchène combattant sur place quand ce dernier a décidé de se présenter comme l'Émirat islamique du Caucase, se ralliant à l'idéologie djihadiste. Quant au leader actuel du bataillon, Adam Osmayev, il présente sa vision, et son combat ultime, comme un challenge pour deux idéologies qu'il considère comme ses ennemies: le nationalisme russe, mais aussi le jihadisme transnational. Cette lutte en Ukraine, c'est l'occasion pour les nationalistes non-djihadistes, souvent exilés en Europe, de reprendre la main pour la conquête des cœurs et des esprits du côté de la rébellion anti-russe. Une reconquête qui devrait, de leur point de vue, aider à bloquer le recrutement de Tchétchènes et autres Caucasiens du Nord par Daesh. Et réorienter cette jeune génération vers un combat direct contre Moscou.

On sait qu'il y a également des Tchétchènes, et des Caucasiens du Nord en général, combattant du côté des pro-russes/pro-séparatistes ukrainiens. Qui sont-ils et que représentent-ils? Bien entendu, les Tchétchènes pro-russes viennent combattre en Ukraine avec la bénédiction du leader de leur territoire, Ramzan Kadyrov. En décembre 2014, ce dernier a, après tout, tenu un discours public, devant les représentants de l'ordre en Tchétchénie, dans lequel il leur disait ouvertement qu'ils devaient se considérer comme "l'infanterie de Vladimir Poutine", mobilisable en Russie, mais aussi au-delà. Des centres de recrutement de volontaires pour soutenir les séparatistes d'Ukraine auraient été actifs en Grozny et ailleurs. Mais pour des Tchétchènes faisant partie des forces de sécurité pro-Kadyrov, qui ont fait le choix, après la seconde guerre de Tchétchénie de 1999, d'abandonner l'indépendantisme pour le soutien au rattachement à la Fédération de Russie, on peut considérer qu'un tel engagement va de soi. Pour Ramzan Kadyrov comme pour ceux qui le soutiennent, leur sort est lié à une Russie forte se maintenant dans le Caucase du Nord et au-delà, comme une grande puissance. Si le Kremlin s'affaiblit, cela pourrait avoir des répercussions, fatales pour eux, sur le territoire qu'ils contrôlent.

Plus largement, il serait réducteur d'imaginer des combattants du côté de Kiev forcément idéalistes, et des pro-Russes forcément aux ordres, ou uniquement opportunistes. Il y en a sûrement qui sont présents juste pour obéir à des ordres, mais il serait cavalier d'en faire une généralité. Le fait est qu'on retrouve d'autres nationalités de l'ex-URSS du côté des pro-Russes, de la même manière qu'on en retrouve du côté des pro-Ukraine: des Caucasiens du Nord, mais aussi des Arméniens, des Azéris, des Centrasiatiques... Des combattants qui ne peuvent pas systématiquement être considérés comme des "mercenaires" uniquement. Le discours tenu par des représentants d'autres nationalités est en fait aussi idéologique que celui de leurs opposants pro-Kiev: ils mettent en avant la nostalgie de l'URSS et le désir d'une Eurasie clairement unifiée autour de la nouvelle Russie, et de son idéologie conservatrice, telle qu'officiellement présentée par Poutine lors de son message au Parlement russe en 2013. Ainsi, du côté des indépendantistes comme des pro-Russes, il y a donc bien un authentique engagement idéologique et politique, au moins pour beaucoup d'entre eux.

Quels enseignements peut-on tirer de cette analyse? D'abord, la présence de Tchétchènes dans les deux camps est la preuve que dans le Caucase du Nord, la paix n'est pas pour demain. Clairement, une partie des Caucasiens du Nord se sentent liés à la Russie avant tout, alors que d'autres rejettent définitivement cette idée, l'entente entre les deux positions étant impossible, on a sans doute ici la recette d'une guerre civile qui ne va pas diminuer d'intensité. ,Mais surtout, cette situation nous permet de constater que la crise ukrainienne est d'abord à propos du statut de la Russie. Il y a clairement deux camps qui s'affrontent dans cette population caucasienne, comme dans la communauté internationale. Il y a ceux qui acceptent que la Russie soit une grande puissance, avec des prérogatives de grande puissance dans son environnement régional, et ceux qui rejettent l'idée avec force. Ce qui unit nationalistes ukrainiens et séparatistes tchétchènes, c'est que pour leur projet réussisse, il faut que la Russie s'affaiblisse durablement, voire s'écroule.

Les diplomaties française et européenne devraient prendre ce fait en compte, et se poser la question suivante: veulent-elles vraiment s'opposer à la Russie comme grande puissance? Alors que les Américains mènent une politique subtile à ce sujet, mais relativement claire depuis les années 1990, et dans le sens de leurs intérêts nationaux tels qu'ils les conçoivent, les Européens sont encore pris dans leurs contradictions. Et les élites françaises, sur ce sujet comme sur tant d'autres, semblent avoir des difficultés à définir clairement les intérêts de leur propre pays...

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