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Face à l'Iran et aux chiites afghans: la grande transformation des talibans?

La diplomatie réaliste et intelligente des talibans, ainsi que leur politique d'apaisement et, même, de rapprochement avec les chiites afghans, n'est pas passée inaperçue à Téhéran.
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Certains analystes aiment voir les relations internationales comme une «science» dure, avec des lois rigides, permettant une analyse automatique. C'est compréhensible: plus besoin de faire des terrains difficiles quand des poncifs considérés comme vrais de toute éternité permettent d'analyser une situation donnée sans même y réfléchir. Le problème, c'est que les relations internationales, comme d'autres sciences humaines et sociales, traitent, par définition, de l'humain, un être changeant, adaptable, parfois inconstant. Les intérêts nationaux sont choses subjectives, définies dans un ordre de priorité qui sera différent selon le groupe politique, ethnique ou religieux qui dominera une nation particulière à un moment donné. Et, surtout, les intérêts primordiaux d'un groupe politique ou d'un pays dans son ensemble amènent son leadership à s'adapter à la situation sur place s'il ne veut pas connaître la défaite.

C'est ce qui semble se passer, en tout cas pour l'instant, du côté des talibans, notamment dans leur rapport à l'Iran et à leurs concitoyens chiites. Les rebelles afghans qui considèrent le mollah Omar comme leur leader ont une histoire de suprématistes sunnites, détestant viscéralement les chiites, et fondamentalement hostiles à l'Iran, cœur du chiisme, une position très proche de l'organisation État islamique... Or, ÉI commence à devenir un concurrent pour les talibans. On ne peut pas reconnaître deux «commandeurs des croyants», les militants doivent choisir entre mollah Omar et al-Baghdadi. Et il semblerait que le premier ait bien compris la menace que représentait le second pour lui.

Les partisans du mollah Omar, à partir de là, semblent faire depuis quelque temps quelque chose qui doit bluffer bien des géopoliticiens de comptoir: tout simplement agir en hommes politiques, en s'adaptant à la situation présente pour mieux lutter contre la concurrence. Ce qui veut dire, par exemple, renier toute politique qui les rend trop proches d'État islamique, et jouer de cette différence pour faire des gains politiques et diplomatiques.

Les talibans sont responsables de la mort de bien des civils en Afghanistan? Ils appellent État islamique à être moins extrémistes sur le territoire syro-irakien. Cet appel à la modération est, par la suite, moqué par les djihadistes d'al-Baghdadi. Bonne nouvelle pour les talibans: cela leur permet de faire passer un message clair au gouvernement afghan, aux voisins de l'Afghanistan, à l'Amérique elle-même: nous ne sommes pas comme ces extrémistes, vous pouvez donc parler avec nous... Un message qui passait relativement mal jusqu'à la naissance du pseudo-califat en territoire syro-irakien, mais qui aujourd'hui semble plus crédible, l'extrémisme d'État islamique amenant presque à un «recentrage» politique des talibans afghans dans certains esprits, en «AfPak» comme en Occident.

Le gouvernement afghan accuse les partisans du mollah Omar d'avoir enlevé, puis assassiné cinq Afghans chiites le 17 avril 2015? Ces derniers répondent dès le 18 avec un communiqué très clair: non seulement ils protestent de leur innocence, mais ils font savoir qu'ils ont tout fait pour retrouver leurs «concitoyens» enlevés. Sur ces derniers mois, en général, les partisans du mollah Omar semblent avoir tenté à plusieurs reprises de prouver à la communauté hazâra, représentant le chiisme en Afghanistan, qu'ils n'étaient pas son ennemi, bien au contraire. On l'a rappelé ailleurs, l'évolution semble avoir été bien comprise du côté des communautés chiites afghanes, dont certaines, localement, vont jusqu'à discuter avec les talibans pour obtenir leur soutien contre les rebelles se réclamant de l'organisation État islamique.

Les djihadistes sunnites, y compris l'allié des talibans, Gulbuddin Hekmatyar et son Hezb-i-Islami, applaudissent quand l'Arabie saoudite se lance dans sa guerre contre les Houthis chiites au Yémen? Les talibans du mollah Omar, quant à eux, ont pris garde de ne pas suivre cette voie, qui est celle de ceux qui souhaitent une guerre religieuse entre sunnites et chiites, et qui s'opposent clairement à l'Iran. Ils ne se sont pas véritablement positionnés sur ce sujet. Un choix politique particulièrement intelligent des talibans à bien des égards.

En effet, tout d'abord, occulter cette question, ou la mettre au second plan, est une façon de continuer à affirmer ce que les talibans nouvelle génération disent depuis quelque temps maintenant: le fait selon lequel ils seraient, d'abord et avant tout, des patriotes afghans soucieux de la situation dans leur pays, et pas des djihadistes transnationaux. Cela leur permet en fait de se différencier non seulement des extrémistes islamistes sunnites, mais aussi du couple Ghani-Abdullah: après tout, le gouvernement légal de Kaboul soutient la guerre saoudienne en Afghanistan, au nom de sa logique politique propre. Ce choix est sans doute la première grande erreur diplomatique du gouvernement Ghani: clairement les talibans, par leur propre attitude sur le sujet, prouvent qu'ils ne sont pas les pantins du royaume saoudien. Et en se ralliant aux Saoudiens, Kaboul donne aux talibans l'occasion inespérée de se présenter aux Iraniens comme une force politique afghane qui, aujourd'hui, ne suivra plus forcément les influences sunnites extrémistes venant de l'extérieur. Donc comme un partenaire potentiellement plus digne de confiance qu'un gouvernement afghan qui semble prêt à se rapprocher de toute force capable de l'aider à amener la paix sur un territoire national qu'il ne maîtrise pas dans son intégralité.

La diplomatie réaliste et intelligente des talibans, ainsi que leur politique d'apaisement et, même, de rapprochement avec les chiites afghans, n'est pas passée inaperçue à Téhéran. Un certain nombre de forces politiques iraniennes commencent à accepter la bonne foi, au moins temporaire, de cette nouvelle génération de talibans, quand cette dernière affirme qu'elle a bien compris l'importance de forger des liens amicaux et pacifiques avec leur environnement régional.

C'est ce qui explique les rumeurs récentes d'alliance Iran-talibans, forcément exagérées, bien plus complexes que ce que les médias ou les géopoliticiens de comptoir ont pu en dire ces derniers jours. Mais ce sujet est assez complexe pour nécessiter un développement plus poussé, qui sera mené dans la prochaine Chronique d'Asie du Sud Ouest.

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