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Des taliban en Syrie?

Si la Syrie semble se transformer en nouvelle Somalie ou en nouvel Afghanistan, c'est aussi parce que les combats vont au-delà de la lutte interne. Il s'agit également d'un champ de bataille entre l'Iran et ses ennemis, dans le monde musulman et ailleurs.
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Quiconque est allé en Syrie sait à quel point ce pays a été un des plus sympathiques à visiter sur le pourtour méditerranéen. Hélas, aujourd'hui, seuls les djihadistes sunnites les plus durs y débarquent en nombre. Bien entendu, l'explication des causes de la guerre civile par la situation politique du pays, sous le régime des Assad, fait sens. Mais si la Syrie semble se transformer en nouvelle Somalie ou en nouvel Afghanistan, c'est aussi parce que les combats vont au-delà de la lutte interne. Il s'agit également d'un champ de bataille entre l'Iran et ses ennemis, dans le monde musulman (d'abord des pétromonarchies sunnites de la péninsule arabique) et ailleurs. Ce combat a, bien entendu, attiré des combattants djihadistes venus soutenir la composante islamiste de la rébellion contre Damas. Et de fait, si le camp des radicaux est moins important numériquement, il est plus efficace. Ainsi, les territoires tenus par la résistance anti-Assad dans le nord de la Syrie sont avant tout contrôlés par les djihadistes.

On comprend donc l'inquiétude de certains quand il a été dit que des membres du TTP (Tehrik-i-Taliban Pakistan, le Mouvement des taliban pakistanais, combattant contre Islamabad) se joignaient à la lutte contre Bachar al-Assad. Les médias ont vite parlé de plusieurs centaines de combattants arrivant ou se préparant à venir en Syrie, citant des sources anonymes chez les taliban pakistanais. Une telle information est-elle crédible?

Il est clair qu'elle ne peut pas être juste rejetée d'un revers de main. Des djihadistes pakistanais se sont retrouvés sur des champs de bataille étrangers par le passé, dans le Caucase du Sud (du côté azéri dans la guerre opposant Azerbaïdjan et Arménie, 1988-1994), dans les Balkans (lors de la guerre civile bosniaque, 1992-1995) ou en Irak (une présence réduite, mais avérée en 2004), notamment. L'intérêt pour les luttes ailleurs dans le monde musulman a donc entrainé des cas de départs pour différents "djihads". Par ailleurs, le TTP a plus d'une fois affirmé son désir d'avoir un rôle qui dépassait la lutte contre Kaboul et Islamabad. On se souvient par exemple de l'attentat raté sur Times Square en 2010: son commanditaire, Faisal Shahzad a été entrainé par le TTP.

Les taliban luttant contre le Pakistan se sont également fait une habitude de protéger et d'intégrer dans leurs troupes des djihadistes étrangers. On pense par exemple aux djihadistes ouzbeks du Mouvement islamique d'Ouzbékistan et de l'Union du Djihad islamique, qui ont été de solides auxiliaires des taliban ces dernières années. Et dans leurs prises de position, les représentants du TTP font régulièrement savoir leur intérêt pour des luttes ailleurs en Asie du Sud et dans le monde musulman (au Cachemire par exemple). Donc à bien des égards, une présence du TTP sur la Syrie n'aurait rien d'étonnant.

Par ailleurs, l'annonce d'une présence de taliban en Syrie était significative vu la situation sur le terrain: elle a fait son apparition alors que les forces de Bachar al-Assad ont repris du terrain face à la rébellion grâce à l'aide de forces chiites pro-iraniennes, notamment le Hezbollah. Certains disent même au Pakistan (surtout dans les milieux islamistes) que cette mobilisation de taliban pakistanais serait une réponse à un recrutement antérieur de 200 Pakistanais chiites par l'Iran. Ces derniers auraient combattu à Alep ou à Homs. L'engagement des taliban pakistanais serait donc une réponse à une poussée chiite qui s'appuie elle aussi sur des forces étrangères. Cette supposée présence de taliban arrive également à l'époque où les tensions entre djihadistes et l'Armée libre syrienne deviennent sanglantes. Dans ce sens, la déclaration faite à Reuters par certains taliban pakistanais selon laquelle le TTP serait présent en Syrie à l'invitation de djihadistes présents sur place ferait sens, dans le cadre d'une lutte interne pour la suprématie sur le camp anti-Assad.

Des images des rebelles syriens au quotidien, compilées par nos collègues du HuffPost Canada

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Tawfiq Hassan

Syria's Rebels In Their Former Lives

Maintenant, cette présence de taliban pakistanais, si elle peut être réelle, doit être relativisée. Comme un chef du TTP assez important pour être membre de la "shura" (le premier cercle de décision) du mouvement l'a fait savoir à l'AFP, les taliban pakistanais soutiennent la lutte contre Assad, mais ont encore beaucoup à faire en Afghanistan et au Pakistan. Dans le même esprit, des troupes américaines se trouvant encore en "AfPak", les combattre apparaît comme autrement plus important, pour l'instant, que faire tomber le régime à Damas. Par contre, il y a bien eu des combattants quittant l'Afghanistan et le Pakistan pour aller mener le "djihad" en Syrie, et cela depuis début juin, si l'on en croit certaines sources pakistanaises. Certes, il s'agirait en majorité d'auxiliaires étrangers du TTP, des combattants arabes et centrasiatiques. Mais des taliban pakistanais feraient également le voyage pour participer à la guerre contre Assad. Et cela sans forcément avoir l'aval des djihadistes sunnites locaux: en effet, les rapports ont été contradictoires à ce sujet, mais il semblerait que les combattants radicaux déjà présents en Syrie aient fait savoir à leurs alliés du TTP qu'ils avaient déjà assez de soldats.

Il n'y a pas de réelle possibilité de mener une enquête de terrain digne de ce nom pour savoir s'il y a effectivement un nombre significatif de taliban dans les rangs des rebelles islamistes syriens. Mais ces derniers, s'ils étaient relativement nombreux, passeraient difficilement inaperçus. La différence de langue, comme de champs de bataille (les collines des zones tribales pakistanaises n'aident en rien pour mener une guérilla urbaine en Syrie) rendrait d'ailleurs une présence massive de combattants plutôt contre-productive. D'ailleurs, avec la démultiplication d'articles citant des "commandants" et autres chefs de taliban trop souvent anonymes, on en a presque oublié l'article qui a lancé l'information (celui de BBC Urdu du 12 juillet 2013 publié par Ahmed Wali Mujeeb). Ce dernier parle non pas de plusieurs centaines d'hommes, mais de 12 experts dans le domaine militaire et des technologies de l'information, formant une cellule active depuis deux mois. Elle s'appuierait sur l'aide de djihadistes arabes ayant combattu en Afghanistan et s'étant replié sur la Syrie depuis un certain temps. Le but de cette cellule serait de juger des besoins de leurs alliés syriens, et de là de leur fournir une aide adéquate.

En bref, la présence de taliban en Syrie est fortement à relativiser... pour l'instant. On est loin des centaines de combattants sur place, mais l'information n'est pas à rejeter totalement parce qu'elle a été exagérée. Toute cette affaire montre le désir du TTP de s'internationaliser, ses liens avec le djihadisme transnational, et son positionnement comme une force de nuisance au-delà du Pakistan. Les médias européens ont beau oublier l'Afghanistan et le Pakistan au profit de la Syrie ou de l'Iran, peut-être avec la silencieuse bénédiction de certains politiciens et diplomates. Mais il sera difficile à l'Occident d'abandonner l'"AfPak" comme après le départ des Soviétiques à la fin des années 1980. Même après 2014, il faudra continuer à suivre les événements au Pakistan et en Afghanistan, et soutenir ces deux États dans leur lutte visant à stabiliser leurs territoires. Leur lutte, qu'on l'admette ou non, reste encore un peu la nôtre.

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