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Comprendre le mollah Omar: analyse de son discours pour l'Aïd el-Fitr

Le monde occidental est captivé par un «Calife» à Rolex dont la montée en puissance a pris nos chancelleries par surprise. Pourtant, il n'est rien d'autre que la conséquence de politiques occidentales à courte vue sur l'Irak et sur la Syrie ces dernières années...
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Le monde occidental est captivé par un "Calife » à Rolex dont la montée en puissance a pris nos chancelleries par surprise. Pourtant, il n'est rien d'autre que la conséquence de politiques occidentales à courte vue sur l'Irak et sur la Syrie ces dernières années...

Si l'affaire du pseudo-Califat devait donner aux Européens et aux Américains une leçon collective, ce serait de ne pas perdre de vue des sujets potentiellement explosifs... Pourtant, il semblerait que cela n'ait pas été compris, vu le peu d'intérêt que l'on a, en ce moment, pour l'Afghanistan. Plus que jamais, on devrait pourtant suivre avec attention ce qui se passe dans ce qui fut le premier front de la « Guerre contre le Terrorisme ». Suivre la situation politique, mais aussi les actions, et les discours, de l'« ennemi », des talibans. Or leur chef, le mollah Omar, s'est justement exprimé récemment, par le biais d'un message de « félicitations » à la nation combattante afghane, et aux musulmans du monde entier, du 25 juillet 2014, pour l'Aïd el-Fitr (fête marquant la rupture du jeûne du mois de Ramadan). Et ce texte est riche d'enseignements...

Premier point intéressant: on y voit un grand absent, le pseudo-"Califat » syro-irakien, justement. Bien sûr, en tant que « Commandeur des Croyants », le mollah Omar ne peut pas faire l'impasse sur le Moyen-Orient. Mais le passage est court, et il ne fait référence avec précision qu'à la situation palestinienne. Dans ce cas, il en appelle à l'action de la part de tous les musulmans, et du monde en général, comme un chef d'État le ferait. Voilà ce que dit le texte: « Nous condamnons, dans les termes les plus fermes, l'action brutale des Israéliens visant à martyriser, blesser et chasser de leurs maisons des centaines de Palestiniens. (...) Des démarches pratiques et rapides doivent être mises en œuvre pour empêcher ces brutalités horribles, pour que la situation sécuritaire de la région et du monde n'empire pas davantage ». La situation ailleurs dans cette région n'est évoquée qu'en pensant, pour critiquer l'intrusion des grandes puissances qui devraient laisser les peuples moyen-orientaux exprimer leurs « aspirations légitimes ».

Dans cette part réduite de son discours dédiée à la situation hors d'Afghanistan, le chef suprême des Talibans se différencie radicalement du nouveau « Calife » sans l'évoquer une seule fois. Ce dernier s'est construit en massacrant d'autres musulmans, et en jetant l'anathème sur tous, sans rien faire pour les Palestiniens pourtant proches de son territoire géographiquement. En opposition à lui, le mollah Omar montre une certaine « modération », en revenant à l'essentiel d'un point de vue diplomatique, pour un acteur qui se voudrait leader dans le monde musulman: critique des Occidentaux pour leurs intrusions diplomatiques et politiques, et dénonciation d'Israël au nom d'une approche de fait humanitaire. C'est un discours rassembleur qui peut plaire à beaucoup, et qui sonne comme celui d'un chef d'État. Cela rejoint l'appel des talibans » à l'« État Islamique » syro-irakien à être plus modéré: au-delà de l'effet de mode autour d'Al-Baghdadi, le « Commandeur des Croyants » afghan veut montrer qu'il est là pour durer... et que, lui, a véritablement une stature de chef d'État.

Car l'une des principales idées de son texte est bien de présenter les talibans comme représentant un Émirat afghan alternatif à l'État actuel. Ainsi, quand il parle des progrès de ses forces, il ne se limite pas à la question militaire. Il se félicite des « initiatives » de l'« Émirat Islamique » dans d'autres domaines, qu'il énumère. Notamment l'économie, l'éducation, la justice... Le but est de présenter les Talibans non pas comme des rebelles contre l'État, mais comme les représentants du véritable État afghan. Et un État afghan qui ne sera pas un fauteur de troubles pour ses voisins, ni pour la communauté internationale: « Nous n'avons pas l'intention d'interférer dans les affaires de la région ou dans celles des pays du monde, ni nous ne souhaitons leur causer du tort. » Mais peut-on le croire sur parole?

C'est difficile, quand on se rappelle du passé de l'Émirat afghan dirigé par ce même mollah Omar: son territoire était devenu le refuge de différents groupes djihadistes, notamment Al Qaïda, mais aussi des extrémistes sectaires anti-chiites pakistanais, des rebelles djihadistes sunnites en guerre contre l'Iran, ou encore le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan, le principal groupe djihadiste centrasiatique... Demain, s'ils avaient de nouveau le pouvoir, les talibans afghans pourraient offrir refuge et soutien aux talibans pakistanais, risquant de déstabiliser un voisin nucléaire représentant 180 millions d'âmes... L'Asie Centrale pourrait aussi être mise en danger, les liens entre djihadistes centrasiatiques et taliban étant bien réels jusqu'à aujourd'hui. En bref, dans son discours, le mollah Omar se veut rassurant, mais les faits le sont bien moins...

Par ailleurs, on ne voit pas, dans ce texte, le désir d'accepter un quelconque dialogue politique tel que voulu par le pouvoir en place à Kaboul, et par les Américains. Un processus par lequel certains imaginent voir des talibans accepter de déposer les armes pour un Secrétariat d'État, voire pour entrer dans le jeu démocratique. Mais cette logique refuse une réalité toute simple, rappelée dans ce discours du mollah Omar: ceux qui combattent l'OTAN et l'armée afghane ne croient pas en la démocratie. Voilà ce que dit le mollah Omar des élections présidentielles afghanes de 2014, et de la démocratie en général dans son pays: « le courant faux processus sous le nom d'élections a fait sombrer l'administration de Kaboul et la démocratie occidentale dans le discrédit. En fait, leurs envahisseurs, et leurs alliés internes ont voulu, par ce processus, montrer aux Afghans qu'un changement tangible avait lieu. Mais les Afghans ont compris leurs projets dès le début. C'est pourquoi la majorité du peuple a boycotté ce processus. Maintenant, tous ont été convaincus que l'élection et les votes du peuple n'ont été que des slogans pour tromper le peuple; (et) disséminer les haines raciales, géographiques, linguistiques et autres dans le cœur du peuple ».

Ce qui est dit sur la participation aux élections est tout simplement faux, il y a eu un enthousiasme populaire, surtout au premier tour. Mais le mollah Omar sait appuyer là où cela fait mal: de fait, les espoirs placés dans ces élections ont été en partie déçus, avec les tensions existantes actuellement entre les candidats du second tour, Ghani et Abdullah. Des tensions qui recoupent, en effet, des oppositions ethniques et linguistiques, au moins en partie, le premier candidat étant vu comme représentant des Pachtounes, et le second, des Tadjiks... En opposition à cela, « l'Émirat afghan veut établir un régime dans lequel toutes les ethnies, tribus et groupes de la société afghane se retrouveront. Personne ne se sentira étranger ». Pourtant, les Talibans restent une force d'abord ethniquement pachtoune, et une minorité composée en bonne partie de chiites, les Hazaras, a gardé des souvenirs douloureux du règne du mollah Omar sur l'Afghanistan...

Ainsi, on peut constater que sur les questions de politique interne comme extérieure, le discours du mollah Omar est en fait très politique: ses promesses n'engagent que ceux qui les écoutent... Mais un certain nombre risque d'être tenté d'écouter. Pour des pays ayant parfois des relations tendues avec l'Occident, le discours du mollah Omar peut rassurer: des Taliban en position de force en Afghanistan après 2014 semblent moins effrayants, pour certains pays, qu'une présence militaire américaine. De même, le fait que le chef des Talibans insiste pour critiquer uniquement les étrangers en terre afghane peut jouer sur la fibre nationaliste de certains Afghans. Le but de ce texte est bien de conquérir les cœurs et les esprits en Afghanistan d'ailleurs: le mollah Omar rappelle d'ailleurs à ses forces que bien traiter la population est un devoir quasi-religieux, et il demande de faire bon accueil à ceux qui déserteraient les rangs de l'armée ou de la police pour les rejoindre

Pourtant, les Talibans se sentent déjà forts militairement, c'est très clair dès le début du texte: « Grâce soit rendue à Dieu, la situation militaire est en faveur des Moudjahidines sur l'ensemble du pays. (...) Les rangs des Moudjahidines sont maintenant mieux organisés, plus actifs et plus unifiés qu'ils ne l'étaient par le passé ». Mais le mollah Omar connaît bien son pays: on ne peut pas conquérir l'Afghanistan uniquement par les armes. Tenir ce territoire passe par le soutien d'une partie de la population, au moins en obtenant sa neutralité bienveillante. La non-interférence des pays de la région est également nécessaire. Ce texte est donc représentatif du désir des Talibans d'atteindre ces deux grands objectifs... Et si ces derniers les atteignent après 2014, la guerre d'Afghanistan sera perdue...

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