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La sortie de Londres de l'UE, cela veut dire, pour les élites iraniennes, des agents d'influence pro-américains en moins en Europe. Cette approche est logique: cela rejoint l'instinct gaulliste qui a refusé l'entrée de la Grande-Bretagne dans ce qui était alors la CEE en 1963 et 1967.
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Chroniques d'Asie du Sud-Ouest (45)

Le Brexit occupe, avec raison, tous les passionnés d'Europe. On sait l'impact fort que cet événement pourrait avoir sur l'existence même du Royaume-Uni (besoin d'indépendance pour l'Irlande du Nord, pour des raisons économiques, et évolution naturelle vers l'indépendance de l'Écosse). On pense aussi, bien sûr, aux problèmes, mais aussi à l'opportunité géopolitique que le Brexit pourrait signifier pour l'UE. Mais pour bien comprendre l'impact du Brexit, il faut aussi voir ce qu'il signifie en dehors des frontières de l'Union, notamment dans des pays clés pour les intérêts européens.

L'Iran ici, est un bon exemple: les réactions iraniennes face à la situation européenne actuelle montrent les espoirs de ce pays clé pour le Moyen-Orient. Mais aussi, sur certains sujets, la méconnaissance de certains de ses analystes face aux affaires européennes. On imagine souvent que les universitaires, les diplomates et les «conseillers du Prince», spécialistes pour des think tanks ou des ministères, ont toujours une fine connaissance du monde... ce n'est hélas pas toujours le cas, qu'on soit à Paris, à Washington, ou à Téhéran. En fait, la réaction de l'Iran face au Brexit montre certaines erreurs d'analyse typiques de bien des pays extra-européens face à l'Europe actuelle, mais elle permet aussi de mettre en lumière la façon dont l'UE est considérée à l'étranger... Deux réactions iraniennes, suite au Brexit, ont été souvent reprises pour expliquer l'état d'esprit de Téhéran, en plus du communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères iranien. Ensemble, ils illustrent bien le débat iranien sur les affaires européennes.

Un conseiller politique du président Rouhani, Hamid Aboutalebi a tweeté : «le départ de l'Angleterre de l'UE est une ''opportunité historique'' pour l'Iran». Il n'est pas clair en quoi les remous européens actuels pourraient être une opportunité pour la République islamique. En fait, les tensions internes à l'Europe pourraient être dangereuses pour les intérêts iraniens, notamment en ce qui concerne le dossier nucléaire et la normalisation des liens avec l'Occident. C'est un point qui ne semble pas avoir été saisi par tous les analystes à Téhéran. Le lobbying anti-Iran a moins de succès en Europe qu'aux États-Unis jusqu'à aujourd'hui. Et le Service européen pour l'action extérieure, le bras diplomatique de l'UE, a été particulièrement actif pour amener les États-Unis et les autres grandes puissances à un compromis sur le nucléaire iranien.

Par ailleurs, l'Iran est un dossier particulièrement bien maîtrisé par les diplomates européens, parce que c'est un des rares à être considéré comme une réelle victoire publique de l'UE. Or si l'Europe, demain, est secouée dans ses fondations à cause du Brexit, le Service pour l'action extérieure risque de repenser ses priorités. Et Téhéran a un besoin vital d'une Europe avec les yeux rivés sur le Proche Orient. Car, quoi qu'il arrive, l'Iran risque d'être l'un des grands perdants des élections présidentielles américaines: Clinton reste un faucon en politique étrangère, et Trump considère que le traité sur le nucléaire, et donc l'apaisement avec l'Iran, est une absurdité. Donc quoi qu'il arrive, la Maison-Blanche va devenir clairement plus anti-Iran après Obama. Les Iraniens vont avoir besoin de toutes les bonnes volontés pour éviter un retour en arrière diplomatique. Une UE aidant à protéger la «Détente» Téhéran-Washington risque d'être primordiale dans l'avenir proche. Dans ce sens, le Brexit n'est pas forcément une ''opportunité historique'' pour l'Iran, mais devrait être, pour ses dirigeants, une source d'inquiétude.

Le tweet de Dr. Aboutalebi représente sans doute plus un avis personnel, que certains partagent peut-être, qu'un point de vue politique. Pour savoir ce qu'on pense officiellement à Téhéran, il est plus utile de se tourner vers le ministère des Affaires étrangères iranien, qui est très clair. Le communiqué peut se résumer à ces quelques phrases: «la République islamique d'Iran a toujours cherché un essor des relations avec les pays européens fondé sur le respect mutuel et sur la non-interférence dans les affaires intérieures de chacun, et la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne ne va provoquer aucun changement dans la politique iranienne envers ce pays».

Pour lire entre les lignes de cette déclaration officielle, il faut entendre l'un des représentants les plus influents de l'armée iranienne, le général de brigade Masoud Jazayeri, le premier officiel iranien à s'être ouvertement exprimé sur le Brexit. En gros, il a dit tout haut ce qui n'est qu'une allusion possible dans le tweet de Dr Aboutalebi, et qui est sous-entendu dans la déclaration du ministère des Affaires étrangères: le problème de l'UE, du point de vue de l'Iran, c'est le manque d'indépendance face aux États-Unis. C'est en fait la seule grille de lecture de l'Iran face à l'Europe. Ce qui peut se comprendre, quand on voit à quel point les pays européens, France en tête, ont vu leurs diplomaties iraniennes placées sous la tutelle de Washington.

Avec cette approche en tête, la sortie de Londres de l'UE, cela veut dire, pour les élites iraniennes, des agents d'influence pro-américains en moins en Europe. Cette approche est logique: cela rejoint l'instinct gaulliste qui a refusé l'entrée de la Grande-Bretagne dans ce qui était alors la CEE en 1963 et 1967. Et cela coïncide avec la diplomatie anglaise très ouvertement suiviste face aux États-Unis, sur bien des sujets, jusqu'à aujourd'hui. Certes, les Iraniens simplifient les jeux de lobbying politiques à Bruxelles, et le positionnement diplomatique des pays européens; mais quand Masoud Jazayeri parle de l'UE comme d'un «pion» de Washington, il exprime brutalement ce que beaucoup pensent à Téhéran, mais aussi à Moscou, Beijing, dans bien des capitales asiatiques et africaines... L'influence de la Grande-Bretagne était un symbole fort de la domination idéologique américaine sur le Vieux Continent. Dans ces conditions, voir le Brexit comme une chance, ce n'est pas forcément étonnant, même si cela peut être choquant pour des Européens.

Les dirigeants européens devraient prendre en compte ces perceptions extérieures, et peut-être réorienter plus ouvertement la diplomatie communautaire pour prouver qu'elle s'intéresse d'abord aux intérêts européens. Et donc bien montrer aux pays d'Asie et d'Eurasie, qu'en effet, l'Europe se veut véritablement indépendante du monde anglo-saxon. Cela donnerait les moyens à l'UE d'être prise plus au sérieux par les autres grands acteurs régionaux et internationaux, et à aider à ce que la diplomatie triomphe sur l'emploi de la force. En tout cas, l'Iran aurait bien besoin d'une telle Europe indépendante quand Mme Clinton ou M. Trump élira domicile à la Maison-Blanche...

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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