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Guerre civile au Yémen: pourquoi l'Afghanistan soutient l'Arabie Saoudite

Kaboul a décidé de se positionner clairement sur un sujet géopolitique bien loin de ses frontières, la situation yéménite. Et les Afghans ont choisi un camp: celui de l'Arabie Saoudite, qui a lancé une offensive militaire contre les Houthis, chiites considérés comme alliés à l'Iran.
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On l'a vu à la fin de l'année dernière: la situation sécuritaire afghane n'est pas encourageante. L'Afghanistan est en général dans une telle situation qu'on pourrait imaginer que le gouvernement Ghani se concentrerait sur la situation intérieure uniquement... mais on aurait tord. Kaboul a décidé de se positionner clairement sur un sujet géopolitique bien loin de ses frontières, la situation yéménite. Et les Afghans ont choisi un camp: celui de l'Arabie Saoudite, qui a lancé une offensive militaire contre les Houthis, chiites considérés comme alliés à l'Iran.

Pourquoi un tel engagement? Vu de loin, cela n'a aucun sens. D'autant plus que tous les Afghans ne sont pas d'accord avec un tel choix. Certains géopoliticiens de salon y verront uniquement l'alignement d'un pays sunnite sur la ligne de l'Arabie Saoudite, leader de cette version de l'islam grâce à ses pétrodollars et à son contrôle des lieux saints, La Mecque et Médine. Cet argument, pourtant, ne tient pas: l'importance politique des Hazaras, les Afghans chiites, a été expliquée ailleurs. L'Afghanistan est certes un pays à majorité sunnite. Mais sa minorité chiite est puissante politiquement. Le choix d'une politique ouvertement anti-chiite serait suicidaire à Kaboul. Et ni Ghani, ni Abdullah Abdullah, les deux leaders du gouvernement d'unité nationale afghan, rejettent une telle approche sectaire de toute façon.

La justification officielle n'est pas convaincante non plus. La déclaration venant du Palais présidentiel en fin de soirée, le 1er avril, dit en effet que l'Afghanistan, pays qui soutient la démocratie et l'Etat de droit, ne peut que soutenir le gouvernement légitime du Yémen... et donc l'action militaire voulue par Riyad. Bien des analystes afghans sont les premiers à pointer la faiblesse d'une telle argumentation, qui soutient l'emploi de la force par un pays wahhabite, donc anti-chiite, face à des acteurs yéménites eux-mêmes chiites... renforçant le sentiment d'une guerre moyen-orientale entre sunnites utilisés Riyad, et chiites soutenus par Téhéran. Et l'argument "défense de la démocratie" passe très mal, quand on se souvient que l'Arabie Saoudite a encore quelques progrès à faire dans ce domaine.

Pour comprendre ce positionnement, il faut donc éviter d'en rester à la parole officielle. Et plutôt se concentrer sur la relation afghano-saoudienne. On sait que l'Afghanistan s'est déjà tournée vers l'Arabie Saoudite par le passé, quand le gouvernement légal a essayé de discuter avec la rébellion. Le but serait donc ici d'obtenir à nouveau l'aide saoudienne pour amener les Taliban à la table des négociations. Car un épisode récent a prouvé encore une fois que, seul, Kaboul n'y arriverait pas.

Au début de l'année 2015, on a appris que le gouvernement Ghani a tenté de se gagner au moins une partie des Taliban en offrant à certaines figures connues des postes au gouvernement... Plus précisément: Wakil Muttawakil, l'ancien ministre des affaires étrangères des Taliban; mollah Zaeef, l'ancien ambassadeur de l'"Emirat" des Taliban au Pakistan; et Ghairat Baheer. Ce dernier est particulièrement important car très proche de Gulbuddin Hekmatyar, lui-même associé à la rébellion contre les Taliban. Mais un certain nombre des siens ont abandonné la lutte armée et se sont intégrés dans le jeu politique afghan depuis quelques années. Il n'est pas rare de retrouver de ses partisans, y compris au cœur du pouvoir à Kaboul, dans différents ministères. Hekmatyar a évoqué plus d'une fois, ces derniers mois, ses bonnes dispositions à l'égard d'un éventuel processus de paix avec le gouvernement. Et un certain nombre de forces pachtounes proches de Ghani, dont l'ancien président Karzaï, sont en faveur de négociations amenant les forces d'Hekmatyar à abandonner la rébellion.

Donc le but de Ghani avec sa proposition était bien de réussir à retourner les "maillons faibles" de la rébellion menée par le mollah Omar: les forces d'Hekmatyar, mais aussi les Taliban les plus pragmatiques. Les deux premiers personnages cités plus haut représentent, en effet, l'ancienne vieille garde des Taliban, et sa tendance historiquement plutôt modérée et nationaliste. Déjà dans la deuxième moitié des années 1990, le ministère des Affaires étrangères des Taliban était connu pour son hostilité à la politique voulue par Al Qaida. Faire entrer ces trois personnages au gouvernement aurait donc été la première pierre d'un processus de paix déjà voulu ces derniers années par Hamid Karzaï, le président précédent.

Pour atteindre ce but, le gouvernement était prêt à offrir, entre autre, le ministère des douanes aux Taliban, ainsi que de nommer trois gouverneurs Taliban dans le sud, à Helmand, Nimruz et Kandahar. Pourtant, les Taliban ont refusé cette offre généreuse. Pourquoi? Rappelons nous du discours de mollah Omar pour l'Aïd el-Fitr. D'un point de vue militaire, les rebelles qui le suivent se sentent en position de force. Et si on écoute le mollah Omar, ils ne croient pas du tout à la démocratie, donc la légitimité d'un gouvernement élu ne peut être que nulle à leurs yeux. Enfin, et surtout, il semble que ce qui a provoqué le refus de négocier des Taliban soit l'accord permettant aux forces américaines de rester après 2014. Sur ce point, Taliban et gouvernement sont irréconciliables, ce qui rend le dialogue inter-afghan, sans tiers, impossible.

Après cet échec, il est donc bien clair que Kaboul ne pourra pas faire sans une aide venant de l'étranger. Et cela, le gouvernement Ghani l'a déjà compris: le travail diplomatique mené pour une meilleure coopération avec le Pakistan va déjà dans ce sens. Mais l'Arabie Saoudite devient, dans cette situation, un partenaire encore plus indispensable aux yeux des Afghans. Après tout, les services saoudiens ont leurs canaux de communication avec les Taliban; et, étant très proches du Pakistan, notamment de l'actuel gouvernement Sharif, les Saoudiens, s'ils le souhaitent, pourraient aider à une coopération poussée entre Afghans et Pakistanais sur le plus long terme. Riyad est donc indispensable pour avoir les moyens de mettre la pression sur les Taliban, d'un point de vue militaire et diplomatique. En tout cas si on accepte la logique du gouvernement Ghani.

En fait, ce choix n'est pas sans risques. Déjà, au niveau régional: cette prise de position ne peut pas ne pas être prise comme un alignement afghan sur la politique anti-Iran des Saoudiens. Téhéran va voir ce choix diplomatique comme une attitude ingrate d'un régime traité comme un ami depuis la chute des Taliban. On imagine ici que le président afghan mise sur la réelle modération de la République islamique iranienne pour ne pas subir les conséquences de sa politique pro-saoudienne. Mais même sans tensions diplomatiques, la vraie prise de risque, pour Ashraf Ghani, est d'abord en politique intérieure. Les Hazaras seront forcément mis mal à l'aise par cet alignement avec une puissance idéologiquement anti-chiite, et qui a monté une coalition pour entrer en guerre contre les Houthis, d'autres chiites. Un sentiment qui va sans doute se renforcer dans cette partie de la population dans les jours à venir. Après tout, un autre Afghan a affirmé son désir de soutenir Riyad, même militairement... Gulbuddin Hekmatyar. Son groupe terroriste s'est dit prêt à envoyer des "milliers" de combattants pour "perturber les desseins sinistres de l'Iran sur le Yémen". Et est allé jusqu'à appeler tous les pays musulmans à s'unir contre l'Iran... Une rhétorique trop proche de Daesh pour ne pas nourrir un malaise en milieu chiite, que ce soit en Iran ou chez les Hazaras.

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