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Des S-300 pour l'Iran: quel impact pour le Moyen Orient et les États-Unis?

Vladimir Poutine permet à nouveau la vente du système S-300 à l'Iran. Et cela rend bien des leaders politiques nerveux au Proche-Orient, et donc, indirectement, à Washington. Pourrait-on imaginer un changement sécuritaire radical au Moyen-Orient?
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Chronique d'Asie du Sud-Ouest (24)

Pour mieux comprendre ce qu'est le système de missiles sol-air russe S-300, et ce qu'il signifie pour Téhéran, et également pour la politique étrangère russe, nous vous invitons à lire un article écrit plus tôt par l'auteur de ces lignes.

Des milieux bien renseignés, au Proche-Orient et en Europe, parfois avec des amitiés stratégiquement bien placées en Israël, commencent à tenir, étrangement, le même discours. Selon eux, l'État hébreu se sentirait menacé par les évolutions du dialogue sur le nucléaire iranien. Il se préparerait, en conséquence, à organiser des frappes aériennes contre les installations nucléaires iraniennes.

Bien sûr, il ne s'agit que de rumeurs. Et il ne faut jamais oublier la tendance des milieux censés être "bien renseignés" à intoxiquer analystes et journalistes. La rumeur en tant que telle n'est donc pas forcément à prendre au sérieux. Elle représente plutôt, sans doute, une réaction d'humeur, du côté de certains Israéliens et d'Européens opposés à un apaisement des relations entre Occident et Téhéran. Par rapport aux développements récents sur le dossier nucléaire donc, mais ce ne serait pas la seule raison.

En effet, comme rappelé dans la précédente chronique, Vladimir Poutine permet à nouveau la vente du système S-300 à l'Iran. Et cela rend bien des leaders politiques nerveux au Proche-Orient, et donc, indirectement au moins, à Washington. Pourrait-on imaginer, très vite, un changement sécuritaire radical au Moyen-Orient, à cause de la décision russe?

Barack Obama a cherché à dédramatiser la situation. Il a subtilement moqué Poutine, en retournant l'argument du ministère des Affaires étrangères russe contre lui. Il s'est dit étonné du refus d'une telle vente, par Moscou, pendant aussi longtemps. Car après tout, le système S-300 est un armement défensif, donc pas ciblé à proprement parlé par les sanctions. Des paroles qui ont choqué commentateurs israéliens et certains Américains, mais qui visent surtout à envoyer un message aux Iraniens: ne croyez pas trop vite à l'amitié de ceux qui vous tournaient le dos hier... Cette petite brouille rappelle également aux Iraniens et aux Russes eux-mêmes que lorsque les Américains le veulent, ils peuvent faire plier le Kremlin... Une réalité qui cadre mal avec l'image qu'aime à projeter Vladimir Poutine. Mais au-delà de cette petite phrase, le Département d'État n'a pas pu cacher son agacement, et donc l'inquiétude américaine face à la décision russe. Cette dernière a été présentée comme une attitude qui n'aidait pas la situation régionale. Pourquoi? Parce que, selon la porte-parole de la diplomatie américaine Marie Harf: "nous pensons que si on prend en compte les actions déstabilisatrices de l'Iran dans la région, dans des endroits comme le Yémen, la Syrie, ou le Liban, ce n'est pas le moment de leur vendre ce type de système". Car la possibilité d'une arrivée de S-300 en Iran, c'est une plus grande capacité pour l'Iran de défendre son espace aérien. Donc, une évolution gênante pour Washington et ses alliés locaux (Israël, Arabie Saoudite, Émirats, Koweït, le Qatar), qui souhaiteraient garder la possibilité d'option militaire contre Téhéran. Que ce soit pour contraindre les Iraniens sur la question nucléaire, ou plus largement pour s'opposer à leur influence, réelle ou supposée, ailleurs au Moyen-Orient.

À quel point les S-300 russes seraient-ils efficaces pour défendre l'espace aérien iranien?

Les spécialistes s'accordent pour dire que ce système de défense par missiles sol-air est sans doute l'un des meilleurs au monde. Il a la capacité de quasiment interdire le ciel aux avions de combat F-15 (principalement utilisés par les armées américaine, saoudienne, et israélienne) et F/A-18 (avion multirôle, très utilisé par les Américains, mais aussi leurs alliés canadiens, australien, finlandais, et koweïtien). Seuls des avions furtifs comme le Northrop B-2 Spirit (un bombardier stratégique), le Lockheed Martin F-22 Raptor ou le Lockheed Martin F-35 Lightning II peuvent survoler des zones protégées par des S-300, en étant à peu près assurés de ne pas se faire repérer. Mais même avec ces "joujoux" extrêmement coûteux (2,2 milliards de dollars par bombardier B-2) une mission contre le système russe ne devra pas s'éterniser sur place pendant un hypothétique bombardement. La comparaison est souvent faite avec les missiles américains Patriot MIM-14, mais ce n'est pas faire honneur au savoir-faire russe. Le système que Poutine compte vendre aux Iraniens est notamment beaucoup plus mobile. Ce qui, en terme de défense antiaérienne, rend la vie autrement plus difficile à l'agresseur. Ce n'est pas un hasard si la Russie et la Chine se servent des S-300 (et maintenant des S-400, la dernière génération) pour protéger leurs espaces aériens respectifs.

Pour Israël, cela réduirait donc les capacités d'actions militaires contre l'Iran jusqu'à la livraison des avions F-35. Le vice-président Joe Biden a fortement insisté, cette année, sur le fait que les Américains allaient fournir cet avion de chasse à l'État hébreu afin qu'il garde un "avantage qualitatif" sur les autres armées du Moyen-Orient. Et il sera le premier état, en dehors des États-Unis, à l'utiliser. Mais il faut prendre en compte les délais de livraison du produit: seuls deux avions seront en Israël en 2016, l'ensemble de la commande (33 avions) n'arriverait qu'en 2021. Par ailleurs, le F-35 semble avoir quelques soucis techniques à régler. Donc très clairement, pour l'armée israélienne, la présence de S-300 en Iran signifie une grande difficulté d'action unilatérale, sans l'aide militaire américaine. Une bonne chose pour la paix au Moyen-Orient sans doute, mais une source d'agacement pour les droites américaine et israélienne... et même sans doute, pour certains faucons saoudiens, pour qui Téhéran est l'ennemi absolu.

Au-delà de cela, il y a deux motifs d'inquiétude et d'agacement supplémentaires pour les pays qui aimeraient utiliser la force contre Téhéran:

  • Les Iraniens ont déjà été formés à l'utilisation du S-300, à partir de l'achat qui devait avoir lieu en 2007. Normalement, se former à l'utilisation de ce système prend six mois. L'armée iranienne n'aura pas besoin de mois, mais juste de quelques semaines pour le rendre opérationnel.
  • L'Iran a développé une version autochtone du S-300 russe. Dès 2010, les scientifiques iraniens se sont mis au travail dans ce sens, en améliorant des systèmes plus anciens comme le S-200. À cette époque, cela sonnait comme de la propagande. Mais aujourd'hui, on constate que les Iraniens ont fait d'énormes progrès dans la production indigène de missiles, et plus largement sur leurs moyens de défense aérienne. Le Bavar-373 est censé être la version iranienne du système S-300. Il devrait être opérationnel sur le territoire iranien cette année ou l'année prochaine.

Bien sûr, tout cela ne veut pas dire que les missiles S-300 vont rendre l'espace aérien iranien inviolable. Pour commencer, il va falloir que les Russes tiennent parole, tombent d'accord avec l'Iran sur les détails de la vente, et fournissent effectivement les S-300. Par ailleurs, les experts militaires américains comme israéliens le disent: au-delà de l'alarmisme feint ou réel de faucons dans les deux pays, le S-300 rendrait un bombardement aérien plus difficile, mais pas impossible.

Il ne serait pas erroné de penser que le fait qu'on parle autant de ce sujet à l'international soit d'abord une façon, pour certains faucons, de provoquer peurs et tensions entre les Occidentaux et les Iraniens.

Preuve que la paix ne régnera pas au Moyen-Orient même si un accord définitif est trouvé sur le nucléaire iranien.

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