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Le dossier «Afghanistan-Pakistan» géré par la «présidente Clinton»

On l'a vu la semaine dernière, une présidence Trump serait, à première vue, plutôt une mauvaise nouvelle sur le dossier afghan et pour les relations américano-pakistanaises. Mais une présidente Clinton ferait-elle mieux?
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On l'a vu la semaine dernière, une présidence Trump serait, à première vue, plutôt une mauvaise nouvelle sur le dossier afghan et pour les relations américano-pakistanaises. Mais une présidente Clinton ferait-elle mieux? On pourrait se laisser aller à répondre positivement: elle a une longue expérience des affaires internationales, comme femme politique, ancienne Première Dame, ancienne Secrétaire d'État. Mais expérience ne signifie pas fine compréhension du monde. Surtout quand l'idéologie s'en mêle. Chez toutes les grandes puissances, une certaine idéologie nationaliste/impérialiste domine, naturellement. C'est très clair à Moscou, la "Troisième Rome"... mais c'est tout aussi marquant à Washington, dominé par un "exceptionnalisme" américain justifiant, trop souvent, l'emploi de la force. Cette idéologie se retrouve y compris chez des analystes sérieux faisant partie de la petite élite intellectuelle spécialisée dans les relations internationales... Et Hillary Clinton l'incarne parfaitement. En fait, les interventionnistes néoconservateurs, et plus largement de droite façon McCain ou Cheney, ont plus de chance de se retrouver en elle qu'en Donald Trump.

Hillary Clinton en politique étrangère: une préférence pour l'affirmation de la puissance américaine, surtout par la force

En effet, par le passé, elle semble avoir systématiquement soutenu le choix du hard power sur différents dossiers. Elle souhaitait le bombardement de la Serbie en 1999, alors qu'elle était Première Dame; elle a apporté son soutien à la guerre en Irak de 2003; elle aurait préféré garder des troupes en Irak; mais elle voulait aussi voulu bombarder la Syrie, a soutenu l'envoi d'armes aux rebelles syriens, et le changement de régime en Libye qui a créé le chaos que l'on sait... Enfin, elle n'est clairement pas en faveur d'une continuation de l'apaisement des relations irano-américaines voulu par le couple Obama-Kerry. En fait, elle aura été, toute sa vie, un soutien fidèle à l'interventionnisme américain, classique depuis l'administration de Bill Clinton. Un interventionnisme qui ne fait pas confiance aux autres grandes puissances et aux puissances moyennes qui ne sont pas inféodées aux États-Unis (Russie, Chine, Iran principalement aujourd'hui). Et qui voit l'utilisation de la force militaire comme un outil parmi d'autres de sa diplomatie. Le problème de cette politique, c'est qu'elle peut être considérée comme en partie responsable de la montée en puissance d'Al Qaïda (par la destruction de l'Irak de Saddam Hussein) ainsi que du développement de Daech (impossible sans les chaos irakien et syrien)...

Sur le dossier afghan, on peut ajouter que cette politique américaine classique a permis la naissance, puis la survie, et le retour en force des talibans. À la fin des années 1980, Washington oublie l'Afghanistan et son allié pakistanais, parce qu'ils ne sont plus intéressants dans une logique d'opposition entre grandes puissances. Ils abandonnent donc un pays en ruines et un autre en grande difficulté. Les talibans sont la conséquence des problèmes sécuritaires locaux associés à cet abandon. Par la suite la politique classique évoquée, soutenue par Hillary Clinton, a amené, dès 2002, à un abandon du champ de bataille afghan pour mieux préparer l'invasion de l'Irak. Retirant à l'Afghanistan des moyens essentiels pour sa stabilisation définitive, et prouvant au Pakistan que cette fois encore, Washington abandonnerait la région à la première occasion. Les talibans ont ainsi pu survivre la chute de leur régime fin 2001, et se renforcer, jusqu'à redevenir la force incontournable qu'ils sont aujourd'hui.

Mais pour Hillary Clinton comme pour les analystes en vue à Washington, tout cela n'a pas vraiment amené à une remise en question. La Secrétaire d'Etat Clinton a illustré parfaitement la réaction américaine aux échecs de plus en plus visibles en Afghanistan: utiliser le Pakistan comme bouc émissaire des erreurs américaines. Elle est connue, à Islamabad, pour être la voix américaine qui demandait toujours d'en faire "plus"... une demande considérée comme injuste par un pays devant gérer sa propre guerre contre le terrorisme.

Son instinct interventionniste a également amené la Secrétaire d'Etat Clinton à soutenir l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, lors du débat à ce sujet en 2009. Le président Obama l'a suivi sur ce point, et certains présentent aujourd'hui ce choix comme la plus grande erreur de ce premier mandat. En effet, cet envoi de troupe en plus était sensé réussir à changer la donne sur place sur dix-huit mois... Cela n'aurait pas été une erreur si Washington avait accepté d'être en Afghanistan sur le long terme, et d'en faire une priorité non seulement militaire, mais diplomatique. Il aurait également fallu combattre radicalement la corruption locale, minant l'impact de l'aide occidentale. Mais la Secrétaire d'État américaine ne s'est concentrée que sur l'aspect militaire. Ce qui explique le semi-échec américain en Afghanistan aujourd'hui.

Les choix d'H. Clinton par le passé peuvent donc être source d'appréhension pour l'avenir, en général, et sur le dossier "AfPak". Mais imaginons-la, malgré tout, en 45e président des États-Unis. Que pourra-t-elle faire dans la région?

Une présidente Clinton ferait-elle mieux que Donald Trump en "AfPak"?

Il n'est pas certain qu'une administration Clinton s'intéresse vraiment à l'Afghanistan. Mais si c'est le cas, elle pourrait être tentée de suivre ses instincts interventionnistes. Et vu l'état de l'Afghanistan en ce moment, un renforcement de l'aide militaire, direct ou indirect, pourrait, cette fois, être une bonne idée.

Pourtant, elle risque d'avoir un problème de taille très rapidement: il va lui falloir convaincre des pays importants dans la région qu'ils peuvent lui faire confiance. En effet, Hillary Clinton est à l'origine de l'idée d'un "pivot" de la diplomatie américaine vers l'Asie-Pacifique. Ce qui, quand on met de côté le politiquement correct, veut dire s'opposer à la montée en puissance de la Chine dans la région. Montée en puissance naturelle quand on regarde une carte de l'Asie, quand on connaît l'Histoire... Mais l'Amérique de Clinton, première puissance mondiale, est dans son rôle: empêcher la réussite de la concurrence. Cette position sous Obama/Clinton est dans la continuité du rapprochement indo-américain sous W. Bush, qui s'est fait (aussi) dans une logique d'opposer Inde à Chine. Donc, convaincre la Chine que la politique de la présidente Clinton se ferait, à Kaboul, sans penser à Beijing, risque d'être difficile.

Mais une administration Clinton aurait aussi fort à faire pour prouver sa bonne foi au Pakistan. Dans le sous-continent indien, Clinton la Secrétaire d'État était considérée comme clairement pro-Inde. Ses positions sont souvent comparées, à New Delhi et à Islamabad, avec celles de John Kerry le Sénateur puis le Secrétaire d'État. On a rappelé son choix d'une critique systématique du Pakistan, à la fois allié des États-Unis, et bouc émissaire des échecs de l'"Hyperpuissance"; Kerry a limité la rhétorique. Il a su plus ou moins réparer les liens Washington-Islamabad, et s'est concentré sur une politique réaliste, visant à utiliser tous les liens nécessaires pour stabiliser l'"AfPak", autant que possible. Il y a fort à parier qu'une administration Clinton resterait sur la ligne de la Secrétaire d'Etat Clinton plutôt que du Secrétaire d'Etat Kerry.

En bref, une présidente Clinton risque d'être vue avec suspicion par Islamabad et par Beijing sur le terrain afghan... Il lui faudrait faire des actions conséquentes pour changer la donne. Car sans le soutien du couple sino-pakistanais, il devient quasiment impossible d'aider à la stabilisation de l'Afghanistan. Et il est clair que tout investissement militaire renouvelé des États-Unis sous une présidente Clinton dans ce pays, ou dans le voisinage centrasiatique, même si c'est pour le protéger des problèmes afghans, serait également vu avec suspicion par Moscou. Enfin, quand on prend en compte qu'Hillary Clinton n'a pas vraiment vu d'un bon œil les négociations de John Kerry avec l'Iran, on imagine facilement la 45e présidente des États-Unis ne pas avoir beaucoup d'amis à Téhéran également.

En fait, surtout dans cette région, la meilleure chose qu'une présidente Clinton pourrait faire... c'est de préserver l'héritage de John Kerry à Téhéran, Islamabad, et Kaboul. Voire même de demander à ce dernier de rester Secrétaire d'État dans son administration. Une diplomatie intelligente et ouverte avec les voisins de l'Afghanistan, associée à une aide militaire renforcée mettant les talibans en difficulté, ce serait sans doute la meilleure formule pour qu'un processus de paix interafghan puisse voir le jour. Mais cela voudrait dire que la présidente Clinton irait à l'encontre de son instinct profond en politique étrangère depuis plusieurs décennies...

Ce billet de blogue a été initialement publié sur le HuffPost France

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