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Quel impact la mort du chef des talibans peut avoir sur le champ de bataille?

Alors que l'offensive de printemps de la rébellion, cette année, semblait être particulièrement violente, cette exécution permettra-t-elle une évolution plus favorable pour le gouvernement à Kaboul sur le champ de bataille?
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L'Afghanistan n'intéresse plus grand monde. C'est une erreur. Plus encore aujourd'hui, alors qu'on semble être à un tournant. En effet, le leader des talibans, le mollah Akhtar Mansour a été liquidé par un drone américain le 21 mai 2016. Alors que l'offensive de printemps de la rébellion, cette année, semblait être particulièrement violente, cette exécution permettra-t-elle une évolution plus favorable pour le gouvernement à Kaboul sur le champ de bataille?

On est en droit d'en douter. Voici pourquoi:

1. La mort d'un seul homme ne peut pas briser une rébellion aussi importante

La rébellion des talibans, ou plutôt des néo-talibans est complexe. Son plus haut leadership était souvent déjà actif et proche du mollah Omar dans les années 1990. Mais les lieutenants combattant sur place, et leurs soldats, sont issus des souffrances afghanes, des guerres et des tensions ethnico-religieuses qui déchirent ce pays depuis des décennies. Leur formation s'est faite, souvent, dans les camps des réfugiés et les écoles religieuses rigoristes à la frontière afghano-pakistanaises, pour ceux qui combattent depuis le début de la décennie 2000. La génération formée après 2001 l'a été avec l'aide de djihadistes étrangers, notamment Al Qaïda. Idéologiquement, ce sont islamo-nationalistes radicaux, pour beaucoup d'entre eux: ils ne baisseront pas les bras si facilement.

De plus, la rébellion ne fonctionne pas d'une façon purement pyramidale: décapiter son leadership ne signifiera pas une paralysie généralisée. Sinon, la mort du mollah Omar aurait déjà signé l'arrêt de mort des talibans.

Surtout, cette rébellion représente aussi l'échec des gouvernements successifs à Kaboul post-2001. En effet, certaines poches d'opposition au pouvoir légal sont nées de tensions locales face à la corruption et à la mauvaise gouvernance de leaders ne devant leurs postes qu'à des amis bien placés dans la capitale afghane... Parfois des tensions ethniques ont également poussé des victimes à se tourner vers les talibans. Certes, ces tensions se sont estompées au niveau des élites politiques, et de la jeunesse dorée de Kaboul. Mais au niveau de l'Afghan du quotidien, elles restent une réalité, surtout entre Pachtounes et non Pachtounes. En tout cas, dans ces deux cas de figure (tensions locales et ethniques, que le gouvernement de Kaboul n'a pas su apaiser), la mort d'un leader n'entrainera pas un changement radical dans la motivation et l'organisation des rebelles. Cette rébellion représente des problèmes profonds en Afghanistan, qui ne pourront pas disparaître uniquement par l'emploi de drones.

2. La division des Taliban, une victoire possible pour Kaboul et Washington?

Bien sûr, la mort d'un leader peut toujours mettre en danger la cohésion d'une organisation. C'est sans doute l'espoir des Américains avec la mort du mollah Mansour. Ce n'est pas un mauvais calcul. Mais une rapide analyse de la situation sur place amène à ne pas vraiment miser sur un développement positif dans le sens voulu par Washington.

Tout d'abord, les talibans ont le sentiment de s'imposer militairement. Ensuite, miser sur l'explosion des divisions entre rebelles maintenant, c'est répéter un vieil espoir qui s'est avéré faux par le passé. On s'attendait à ce qu'ils s'entre-déchirent à la mort du mollah Omar: cela n'a pas marché; on imaginait que l'arrivée de Daech sur leurs territoires allait les affaiblir, les pousser à accepter le processus de paix. Cela a été une erreur. Il serait dommage qu'au plus haut niveau à Kaboul, à Washington, et dans les capitales européennes qui s'intéressent encore à l'Afghanistan (sans avoir toujours les outils pour comprendre ce qui s'y passe), on sous-estime encore la rébellion contre le gouvernement afghan. Certes, il est possible que des tensions naissent entre prétendants au leadership, après la mort du mollah Mansour. Le gouvernement de Kaboul travaille, d'ailleurs, à les exacerber: une nouvelle unité des services de renseignement afghans a été spécialement créée pour infiltrer les territoires tenus par les talibans, et pousser leurs leaders à la suspicion. Mais il est trop tôt pour savoir si les efforts de Kaboul portent leurs fruits, et si les divisions vont devenir assez importantes pour être significatives. Par ailleurs, ces dernières ne vont pas forcément dire que les rebelles vont s'entretuer pour le plus grand bénéfice du gouvernement de Kaboul, ou qu'ils vont abandonner le combat.

Par contre, ce qui est possible, c'est que des lieutenants rebelles qui n'obtiendraient pas satisfaction lors de la redistribution du pouvoir à l'intérieur des talibans décident de se tourner vers Daech. Il est aussi possible que si des divisions irréconciliables émergent entre rebelles, des forces importantes se laissent séduire par la propagande du pseudo-Califat de Raqqa. On a analysé ici la présence de l'EI en Afghanistan. On avait rappelé également ailleurs la politique des talibans de s'allier même à ses ennemis d'hier pour cibler les ralliés à al-Baghdadi. Daech était une menace limitée en AfPak jusqu'à aujourd'hui, face à des talibans unis. Si ces derniers se divisent suite à la mort de Mansour, le Califat de Raqqa pourrait donc récupérer en Afghanistan soldats, territoires, moyens de financement... Une situation dangereuse pour l'Afghanistan, mais aussi pour ses voisins. Depuis des années les talibans cherchent à rassurer les voisins de leur pays, en promettant qu'ils ne combattent que pour reprendre Kaboul. Daech ne limite pas ses ambitions à la seule Afghanistan: si le groupe terroriste peut prendre pied dans ce territoire, il frappera, demain, le Pakistan, l'Iran, l'Asie Centrale...

En bref, si les talibans ne se divisent pas, ce sera un échec pour Kaboul et Washington. Par contre, s'ils se divisent... cela risque d'être une victoire pour une menace djihadiste plus importante importante, dangereuse pour la région et pour le monde.

Mais les divisions entre talibans risquent d'être contenues, quand on sait qui est réellement aux commandes de la rébellion depuis ce début d'année au moins...

3. Le mollah Mansour était dans la situation du mollah Omar avant lui, à savoir celle d'être "la reine d'Angleterre" du mouvement des talibans afghans.

C'est-à-dire un symbole, mais plus véritablement la seule personne aux commandes. Le vrai leader militaire de la rébellion contre le gouvernement afghan, c'était, depuis quelques mois au moins, Sirajuddin Haqqani. Il est le leader du fameux réseau Haqqani: une force islamiste née dans les années 1980, aujourd'hui partie intégrante de la rébellion contre Kabul. Il est très proche des djihadistes étrangers, qu'il sait utiliser et contrôler pour le plus grand profit des talibans depuis plusieurs années. Et il a été fait n°2 des talibans par Mansour lui-même, pour assurer son leadership quand il était contesté à ses débuts officiels, c'est-à-dire l'été 2015. Très vite, c'est S. Haqqani qui a pris en main les communications directes avec les lieutenants rebelles, ceux qui mènent effectivement les talibans au combat chaque jour contre les forces gouvernementales. Dès le début de l'année 2016, c'était lui qui semblait avoir le contrôle sur les promotions et les mouvements de troupes chez les talibans afghans en général.

Le réseau Haqqani était déjà, depuis plusieurs années, la force terroriste la plus efficace en Afghanistan. Certains la considèrent aussi comme la "Cosa Nostra" de l'Afghanistan et du Pakistan, pour son implication dans le trafic de drogues. Il s'agissait d'une force militaire et financière faisant de Sirajuddin Haqqani un personnage clé de la rébellion contre Kaboul. La mort du mollah Omar lui a permis de voir son influence s'étendre sur d'autres groupes de taliban, d'autres territoires. Avec la mort du mollah Mansour, le n°2 pourrait devenir le n°1. Directement ou tout en restant dans l'ombre, en utilisant par exemple mollah Yacub, le fils aîné du mollah Omar, qui s'était opposé à l'ascension du mollah Mansour. Quoi qu'il arrive, la mort de Mansour, c'est la confirmation du règne d'Haqqani sur l'ensemble de la rébellion, sauf peut-être coup de théâtre majeur. Et ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'Afghanistan...

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