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Comment les Hazaras en Afghanistan sont passés d'esclaves à figures politiques

Historiquement, les mots utilisés pour désigner les Afghans appartenant à la minorité ethnico-religieuse des Hazaras étaient très durs. Grâce à la démocratie, il semble qu'ils soient devenus des faiseurs de roi.
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Historiquement, les mots utilisés pour désigner les Afghans appartenant à la minorité ethnico-religieuse des Hazaras étaient très durs: "Hazara-e-mushkur" (Hazaras mangeurs de souris) ou "qalfak chapat" (nez plats). Ils ont des traits d'Asiatiques de l'Est plus que d'Afghans, et en plus, pour la majorité d'entre eux, ils sont chiites, en territoire sunnite. Une combinaison de facteurs qui en a fait un groupe particulièrement isolé, qui a subi humiliations et persécutions.

On présente les Hazaras comme les descendants de 1000 familles mongoles qui se seraient installées en Afghanistan après l'invasion de Genghis Kahn en 1221. L'Amir Abdur Rehman, qui a régné sur l'Afghanistan de 1880 à 1901, a déclaré les Hazaras "infidèles", car chiites. Cela a permis un massacre et une spoliation de terres au profit de colons pachtounes. Les Hazaras échappant au massacre ont fui en Iran, en Inde, en Asie Centrale, ou se sont retrouvés réduits en esclavage. Il faudra attendre le roi Amanullah (1919-1929), pour que les Hazaras retrouvent leur liberté... tout en restant des citoyens de seconde zone. Jusqu'aux années 1970, un Hazara ne pouvait pas rêver devenir officier, faire des études universitaires, ou obtenir un poste dans la haute fonction publique.

C'est avec l'arrivée des communistes au pouvoir et l'invasion soviétique que la situation change pour les Hazaras, malgré quelques accrochages au départ. Pour éviter que les Hazaras rejoignent durablement le djihad contre Kaboul, le pouvoir central a laissé le Hazarajat (région centrale du pays, composé principalement des provinces de Deykandi et de Bamyan) en paix, autonome de fait. Par ailleurs, la fuite des cerveaux des grandes villes a laissé un vide que les Hazaras ont pu combler, leur offrant l'opportunité d'accéder à des postes de responsabilité. Mais la chute du régime communiste a vite été un retour aux enfers pour les Hazaras: d'abord, pendant la guerre civile, mais plus encore, sous les talibans, qui n'ont pas hésité à les massacrer.

Combien sont-ils aujourd'hui? On ne le sait pas vraiment. Rappelons que le dernier recensement fiable en Afghanistan remonte à 1978. Selon certains analystes, on disait qu'ils représentaient 19% de la population afghane. Quand vous demandez aux Hazaras eux-mêmes, ils sont persuadés d'être plus nombreux, dans les alentours de 27,5%. Les chiffres évoqués le plus souvent sont de 9 à 10%, à 15% de la population. Depuis les années 1980, on ne les trouve plus dans le seul Hazarajat, mais en milieu urbain. Dans la période post-2001, on a vu des Hazaras (re)venir en masse à Kaboul: ils représenteraient aujourd'hui à peu près le quart la population de cette ville, ou peut-être un peu plus (jusqu'à un million d'âmes). Nombreux sont ceux qui sont venus dans le cœur du nouvel Afghanistan avec à l'esprit les possibilités offertes par l'égalité démocratique et l'accès à l'éducation. Après tout, la Constitution de 2004 a été un bond en avant inimaginable pour eux: l'islam chiite était reconnu, ainsi que l'égalité entre tous les citoyens d'Afghanistan. Pour la première fois, de droit, ils devaient être respectés par les autres groupes ethniques du pays comme des égaux. Ce qui a voulu dire accès aux services médicaux, sociaux, à l'éducation, normalement à égalité avec les Pachtounes, Tadjiks, etc.

Les Hazaras se sont tout particulièrement investis dans l'éducation. Ils y ont vu leur planche de salut à long terme. D'ailleurs, le fait que de nombreuses familles hazaras se soient réfugiées en Iran a été un atout éducatif : ils ont pu y bénéficier d'un système éducatif bien supérieur à celui auxquels les réfugiés pachtounes au Pakistan ont eu droit. Surtout, cette éducation a été faite en farsi, extrêmement proche du dari, langue officielle en Afghanistan. De nombreuses preuves tangibles ont émergé ces dernières années, montrant que les Hazaras s'investissent totalement dans l'éducation. Par exemple, les deux provinces formant le Hazarajat ont le taux le plus important d'admission aux examens des meilleures universités afghanes. Et la passion pour l'éducation qui ne se limite pas aux hommes. En comparaison avec les autres communautés, notamment pachtounes, les femmes hazaras sont également très présentes en tant qu'étudiantes, mais aussi en tant que citoyennes. Pas d'opposition machiste dans cette communauté à leur droit de vote : le vote d'une femme, comme le vote d'un homme, c'est une voix allant dans le sens des intérêts de la communauté. Ce n'est pas un hasard si la première femme à devenir gouverneur provincial, Habiba Sarabi, est Hazara.

Encore meurtris par les violences du passé, ils font clairement corps quand il s'agit de peser politiquement. Certes, sur ce sujet, très vite, on entend des "experts" rappeler que c'est "plus compliqué que cela", qu'il y a des divisions à l'intérieur de la communauté. C'est vrai, mais cela ne fait pas disparaître l'impact du facteur communautaire dans les élections afghanes, qui a pu être constaté plus d'une fois. Ainsi en 2010, les Hazaras, qui ne représentent, encore une fois, que 10/15% de l'électorat, ont pu rafler 50 des 249 sièges lors des élections législatives... Les zones pachtounes ont subi la pression des Taliban, et la population pachtoune est de fait divisée sur le futur qu'elle veut pour l'Afghanistan. Les Hazaras ont une unité politique, en tout cas dans les buts à atteindre pour l'avenir, et pour les gains à conserver, qui est très claire.

Du coup, on a pu voir des situations ubuesques pendant ces élections de 2010, comme dans la province de Ghazni, largement dominée par la population pachtoune, et qui n'a élu que des parlementaires... hazaras et/ou chiites. En fait, ce n'est pas très étonnant : les communautés en Afghanistan, notamment les Hazaras, sont devenues une unité de base de défense dans la guerre civile. Ce qui a renforcé les liens communautaires, c'est ce que les Afghans appellent "l'oqda", la haine obsessive liée aux horreurs subies pendant les guerres intestines passées. Donc oui, les Hazaras votent d'un bloc, ou en tout cas une bonne partie d'entre eux votent dans le même sens. C'est ce qui explique pourquoi les candidats à l'élection présidentielle, en 2009 comme en 2014, ont courtisé sans relâche cette communauté. Le président Karzaï, qui va quitter le pouvoir cette année, a eu un vice-président et des ministres hazaras. Cette année, tous les principaux candidats ont associé à leur campagne un possible futur vice-président venant de la communauté hazara. Ashraf Ghani s'est associé à Sarwar Danish, un ancien ministre de la Justice. Le candidat Abdullah Abdullah a choisi de s'adjoindre Mohammed Mohaqeq. Zalmai Rassoul a tenté de jouer la même carte, et de toucher également l'électorat des jeunes et des femmes : il avait ainsi comme seconde vice-présidente Habiba Sarabi.

C'est sans doute Abdullah Abdullah qui a fait le choix le plus pertinent pour se gagner les Hazaras. Ashraf Ghani a, dans ses rangs, des nationalistes pachtounes qui ont tenu des propos parfois agressifs contre les autres ethnies afghanes. Cela ne représente pas l'approche de Ghani lui-même, mais il a été vu par les Hazaras comme le candidat des Pachtounes pendant le premier tour. De plus, Ghani comme Rassoul ont cru pouvoir gagner facilement leurs voix parce qu'ils ont été associés au régime Karzaï, qui a été le plus humain pour eux de toute l'Histoire afghane. L'équipe autour d'Ashraf Ghani était particulièrement sûre de son fait, étant donné qu'elle avait le soutien du vice-président hazara Karim Khalili, considéré comme particulièrement influent.

Mais c'était oublier deux points importants : tout d'abord, si les Hazaras votent souvent d'un bloc pour protéger leurs intérêts, ou pour peser, ils n'obéissent pas toujours aveuglément à un leader politique de leur communauté. Par ailleurs, ils font la différence entre le régime post-2001 et les hommes politiques afghans qui le composent. L'équipe Karzaï-Khalili n'a en fait pas tenu nombre des promesses faites à la communauté hazara pendant les élections de 2009. Et justement, Mohaqeq a publiquement critiqué Karzaï en mars 2013, en mettant en avant ce point... Dans la communauté, cet acteur politique pro-Abdullah est vu aujourd'hui comme plus légitime que Khalili. Abdullah a enfin su utiliser ses soutiens hazaras de façon particulièrement intelligente. Il a su se gagner les plus libéraux en mettant en avant l'image d'un homme avec des racines mêlées, donc provoquant une rupture avec l'Histoire politique afghane, toujours dominée par les Pachtounes. Mais en même temps, on a vu ses soutiens, par exemple dans le Bamiyan, cultiver les réseaux conservateurs et religieux des Hazaras. Leur but? Diffuser l'idée selon laquelle voter Ghani serait anti-islamique, car il est bien trop occidentalisé, et sa femme n'est même pas musulmane...

Approche machiavélique, certes, mais qui a porté ses fruits... Abdullah a remporté une grande majorité des voix dans les provinces dominées par les Hazaras : dans le Deykandi, il a raflé 75% des voix, et dans le Bamiyan, 68%. Pour renverser la tendance, Ghani va devoir faire un grand écart difficile : encore plus cultiver les Pachtounes pour faire l'unité de cette ethnie sur son nom (ce qui ne sera possible que s'il obtient le soutien Rassoul et Sayyaf, donc du "réseau" Karzaï), et en même temps réussir à se gagner plus de voix du côté des minorités. Il serait en ce moment en train d'essayer de se gagner les faveurs des Hazaras... Comme quoi, après avoir été les opprimés d'Afghanistan, ils y sont devenus des faiseurs de roi...

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